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Oct / 31

Racisme dans le foot : actes isolés ou fidèles à notre société ?

By / Florian Dacheux /

Comment en finir avec la violence, l’homophobie et le racisme dans le football ? Depuis d’énièmes cris de singe dans plusieurs gradins de l’hexagone couplés aux dérives dans le monde amateur, politiques et éditorialistes usent de rhétorique pour trouver des solutions et désigner les coupables. Un questionnement légitime mais un brin hypocrite si on ne s’attaque pas aux racines.

Racisme dans le foot : actes isolés ou fidèles à notre société ?

Deux jours après s’être fait à nouveau insulté de singe par des supporters catalans nichés dans les travées du vieux stade olympique Lluis Companys de Barcelone, Vinicius José Paixao de Oliveira Junior, plus connu sous le nom de Vinicius Junior, s’est vu remettre le Prix Socrates lors de la cérémonie du Ballon d’Or du 30 octobre 2023. Fondateur de l’Instituto Vini Jr., qui favorise l’épanouissement et l’éducation d’enfants défavorisés au Brésil, l’ailier du Real Madrid a saisi l’opportunité de sa présence sur la scène du Chatelet à Paris pour envoyer ce message : « Je peux parler du racisme. Combien de fois nous avons dû faire face au racisme. Il est important, ensemble, de lutter contre cela. Il faut continuer cette lutte. Je souhaite passer ce message à tous les enfants qui nous regardent. » « Tu n’es pas seul dans ce combat, lui répond d’emblée l’Ivoirien Didier Drogba, coprésentateur de la cérémonie. Cela dure depuis trop longtemps, et je demande au gouvernement et aux autorités du football d’agir. Il est temps de mener des actions pour éradiquer le racisme, non seulement dans les stades, mais également partout dans le monde. » La veille, à l’occasion du match OM-OL à Marseille, reporté après le caillassage du bus des joueurs lyonnais, des supporters du club lyonnais ont effectué des saluts nazis et lancé des cris de singe à l’adresse de leurs homologues marseillais, tout en agitant leurs passeports et cartes d’identité. Plusieurs de ces actes ont été filmés et relayés sur les réseaux sociaux. Des personnes présentes dans le parcage ont également témoigné de ce qu’ils ont entendu : « Musulmans de merde » ou encore « les flics on est avec vous, faut niquer ces bougnoules. » Douce France.

Un racisme davantage systémique qu’ordinaire

Alors que faire ? Oui, que faire ? « On a vu dans ce stade à peu près la totalité de ce que l’on ne veut pas voir : propos homophobes, des signes racistes », a réagi la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra, qui veut « des interdictions de stades pour ces abrutis ». « Abrutis », c’est aussi le qualificatif employé par l’éminent Vincent Duluc dans son dernier éditorial paru dans le quotidien sportif L’Equipe. D’autres parlent à l’antenne de « bêtise humaine » ou encore de « défouloir ». Les clubs réagissent en réaffirmant que ces actes sont contraires à leurs valeurs et le lot d’une minorité. Fédérations, ministères, préfectures… Chaque instance se renvoie la balle au cœur d’un automne particulièrement xénophobe aux quatre coins de la France, en particulier sur ces terrains du monde amateur ou semi-pro qui échappent encore aux caméras. Il suffit simplement de remonter à quelques semaines de cela pour dépeindre un racisme davantage systémique qu’ordinaire… Dimanche 1er octobre, un match de Coupe Gambardella opposant Vierzon à Bourges a tourné au cauchemar. Le match a été interrompu à la 70e minute à la suite de cris de singe et de menaces de mort de la part d’une vingtaine de spectateurs. « Qu’est-ce que font nos institutions ? À part de belles paroles, ils ne font pas grand-chose pour nous aider », a déclaré, écœuré, Thierry Pronko, le président du club de Vierzon, à nos confrères de France 3. Maire de Vierzon, Corinne Ollivier a quant à elle annoncé que des caméras de surveillance seront installés. « On arrêtera autant de matchs qu’il le faudra », a pour sa part annoncé Antonio Teixeira, le président de la Ligue de football de Centre-Val de Loire. Avant de poursuivre dans les colonnes de L’Humanité : « Dans le milieu rural, il ne faut pas se le cacher, quand ils voient arriver des équipes composées en grand nombre de joueurs de couleur ou apparentés à l’immigration, certains ont des attitudes racistes, peut-être au regard de tout ce qu’ils perçoivent de faits qui marquent notre société loin de leur quotidien. Ils confondent tout. (…) Quand il y aura plusieurs exemples, ça marquera. Mais, au niveau du tribunal, ça se termine souvent par un rappel à la loi, ce n’est pas suffisant. Il faudrait peut-être des obligations de travaux d’intérêt général, une sanction financière. » 

« ON BANALISE TOUT ÇA
c’est toujours pareil »

Autre fait récent du même acabit ? Accusée d’être « trop noire », l’équipe fanion de l’Olympique Lyon Sud, fusion des clubs de Saint-Genis-Laval et Pierre-Bénite, se désintègre rapporte Le Progrès. Ancien international ivoirien, Mamadou Doumbia a démissionné le 16 septembre de son poste d’entraîneur en raison de remarques racistes à son encontre et celle de ses joueurs. Une vingtaine d’entre eux l’ont suivi, par solidarité. « Ils comptent le nombre de Noirs alors que nous voyons une belle bande de copains ! C’est trop ! », a-t-il dénoncé sur son compte Facebook. « On a eu droit à des trucs comme ‘c’est la Zambie ici’, ‘c’est trop bronzé’ ou encore ‘il y a trop de noirs, les autres sont mis de côté’ », a raconté un joueur à BFM. Un mois plus tard, le 23 octobre, une réunion de conciliation a été organisée par la ligue Auvergne-Rhône-Alpes, en présence de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. Tout cela pour rien. « Ça n’a pas bougé, le président n’a pas nié, mais n’a répondu à aucune question. Nous avons envoyé une déclaration sur l’honneur des faits qui sont signalés. Nous sommes ressortis de cette réunion sans avoir eu gain de cause », a déploré Mamadou Doumbia à BFM Lyon. On continue ? Direction cette fois Nancy où le Stade Marcel Picot a été le théâtre de cris racistes le 11 octobre lors de la réception du Red Star. Entraîneur de l’emblématique club populaire de Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis, le Sénégalais Habib Beye n’a pas caché sa colère : « Trois de mes joueurs me rapportent des cris de singes, et on laisse des choses comme cela se produire. On banalise tout ça. C’est toujours pareil. C’est inacceptable et je vois les joueurs de Nancy aller saluer leurs supporters après ça ? Je me battrai toujours contre ces choses-là. J’espère qu’il y aura des sanctions. » La commission de discipline de la Fédération française de football (FFF) a depuis ouvert une procédure disciplinaire.

« Pas besoin de chasubles pour eux, ils sont déjà Noirs »

Pire encore, c’est la situation dans laquelle se retrouve le club de l’US Orléans depuis que cinq de ses joueurs ont rapporté le 9 octobre des propos à caractère raciste prononcés par leur entraîneur Bernard Casoni. « Au bout de cinq minutes de conversation, le coach me dit : ‘vous n’êtes pas plus cons que des Maghrébins, on va y arriver’ », révèle un joueur à France Bleu. Un cadre de l’équipe poursuit : « J’entends souvent cette comparaison de la part de l’entraîneur ». Un troisième confirme : « Cette phrase sur les Maghrébins, on l’entend toutes les deux semaines à l’entraînement. » Et ce ne serait pas les seuls propos choquants tenus par Bernard Casoni en interne. « Nous étions en train de faire un exercice où deux équipes s’affrontent en cinq contre cinq, raconte encore un joueur. Mon équipe était composée uniquement de joueurs de couleur. Là, le coach dit, ‘pas besoin de chasubles pour eux, ils sont déjà noirs’, soi-disant sur le ton de l’humour. Moi, ça m’a choqué. » Selon les informations de France Bleu Orléans, plusieurs membres de l’organigramme de l’USO confirment ces propos. Alors que la procureure de la République, Emmanuelle Bochenek-Puren, a ouvert une enquête pour provocation à la haine ou à la discrimination raciale et pour injures publiques à caractère raciste, le technicien, originaire de Cannes, a été suspendu par son club. Il a depuis présenté ses excuses pour des « propos déplacés » mais s’est dit « tout sauf raciste ». « J’ai fait 20 ans de Magreb, c’est impossible que je sois raciste. » Réponse tout simplement lunaire… Au sujet de cette phrase prononcée lors d’un entraînement, « pas besoin de chasubles pour eux, ils sont déjà noirs », il s’explique de cette manière : « C’est du chambrage ! Je suis un gars du sud, c’est du football, ce n’est que du chambrage. Aujourd’hui, on ne peut plus rien dire. » Toujours aussi lunaire. Selon lui, l’autre déclaration affirmant que ses joueurs « ne sont pas plus cons que des Maghrébins », « c’est juste une phrase qui n’est pas adaptée de nos jours. (…) Quand je dis cette phrase, je ne me rends pas compte de l’impact qu’il peut y avoir parce que j’étais formaté comme ça. »  

 

Le fruit de notre éducation

Le formatage. On y vient. C’est bien qu’il l’avoue. Tous ces faits seraient donc le fruit de notre éducation. Il n’y aurait donc pas d’acte isolé. Nous sommes d’accord. Mais a-t-il fait l’effort depuis de décoloniser son esprit ? Même question aux autres. Savent ils au moins d’où nous venons ? De quelles histoires communes nos sociétés contemporaines sont-elles les héritières ? N’ont-ils pas appris des leçons du passé ? N’ont-ils pas entendu parler de l’histoire de l’esclavage et de la traite négrière ? Celle du Code Noir sous Louis XIV ? L’histoire de la Shoah, de la guerre d’indépendance d’Algérie, ou encore de la marche pour l’égalité de 1983 ? Fort à parier que non. Idem, sans doute, pour Philippe Boutron, le président de l’US Orléans football, qui a déclaré, toujours sur les ondes de France Bleu Orléans, qu’« il n’y a pas de racisme dans le football. » Mais bien sûr. « J’ai l’impression d’entendre encore Noël Le Graët et toute sa clique nous expliquer qu’il n’y a pas de racisme, qu’il n’y a pas d’homophobie dans le football, a réagi amer, dans Les Témoins de L’Actu, Yoann Lemaire, le président de l’association Foot Ensemble qui lutte contre toutes les discriminations. Ils font partie d’une civilisation complètement arriérée. Ce que je trouve incroyable, ce sont les phrases comme ‘Il ne faut pas déstabiliser le club’ ou ‘on ne peut plus rien dire.’ C’est terrible de couvrir ça parce que le sport, il est fait pour rassembler tout le monde. » Comment rassembler quand nos dirigeants, eux-mêmes, font mine de travailler sur le sujet ? Des cours d’école aux bistrots du coin, du maintien de Zemmour sur CNews en passant par le nombre de députés RN à l’Assemblée nationale (88), le racisme est omniprésent. Pourtant, à en croire Doudou Diène que nous avions reçu il y a deux ans lors d’un atelier journalisme à Montreuil, le fait que le racisme soit sorti du bois est un immense progrès. « Beaucoup pensent que le fait que Zemmour et le FN apparaissent veut dire que le racisme monte, avait observé le juriste sénégalais ancien rapporteur spécial des Nations unies. Non il devient plus visible, simplement. Si vos ancêtres n’avaient pas résisté physiquement et intellectuellement, vous ne seriez pas là. Vous êtes les héritiers. Non pas pour discriminer à votre tour mais pour construire les sociétés multiculturelles. (…) La condition centrale est que vous soyez unis. Cette union se fait dans des lieux comme ici à Montreuil, en banlieue, à l’école, dans vos amitiés, vos amours et tout le reséte. Vous êtes dans cette phase de transformation et vous êtes des forces de transformation. » Ne soyons donc pas sceptiques. Aux joueuses et joueurs de s’en saisir. De dénoncer. De s’éduquer. « Il faut écouter et agir, appuie Antonio Teixeira. Ce qui touche le football concerne aussi le basket-ball, le rugby. Il ne faut pas reculer. » « Face au racisme, les présidents de club, les entraîneurs et les joueurs ont une responsabilité, être neutre, c’est être complice », a récemment rappelé dans Le Monde l’ancien footballeur Lilian Thuram, auteur de La Pensée Blanche en 2020, un essai qui remonte aux racines du racisme, dix ans après l’appel Pour une République multiculturelle et postraciale qu’il avait cosigné avec Marc Cheb Sun, notre directeur de publication. « Si je suis seul face au racisme, le système va m’écraser », résume si bien Vinicius Junior à France Football dans son édition du 14 octobre. Un système qui n’ a jamais osé condamner Antoine Griezmann pour sa « blackface ». Quand, ce dimanche soir de décembre 2017, l’attaquant de l’Equipe de France de football a soudainement eu envie de poster sur les réseaux sociaux un autoportrait où on le découvre entièrement maquillé de noir, une perruque afro sur la tête, avec le maillot de l’équipe américaine de basket des Harlem Globetrotters de Chicago. Dans le plus grand des calmes.

 

Texte et photos : Florian Dacheux

 

L’info en + :

Alors que Christophe Galtier va être jugé le 15 décembre 2023 par le tribunal correctionnel de Nice pour harcèlement moral et discrimination, L’Equipe a révélé, dans son édition du 5 décembre, de nouveaux propos racistes et islamophobes que l’ex entraîneur de l’OGC Nice aurait tenu à l’encontre des joueurs. Julien Fournier, l’ancien dirigeant des Aiglons, ajoute que Galtier avait regretté qu’il y ait autant de « Noirs et musulmans » au sein de son équipe…

Florian Dacheux