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Juin / 15

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France-Algérie : une histoire en partage sur les terrains de football

By / Florian Dacheux /

De Mekhloufi à Belmadi en passant par Dahleb, bon nombre de joueurs d’origine algérienne ont fait le bonheur des pelouses françaises. Une histoire liée aux enjeux migratoires ainsi qu’à la professionnalisation du sport. Entretien avec Stanislas Frenkiel, auteur d’un ouvrage dédié à ces immigrés du ballon rond, dans lequel il croise archives et entretiens inédits récoltés entre les deux rives de la Méditerranée. 

France-Algérie : une histoire en partage sur les terrains de football

Aviez-vous un lien particulier avec le monde du football et l’Algérie avant d’écrire cet ouvrage, fruit de 15 ans de travail fouillé ?
Je n’avais pas de lien avec le football, ni avec l’Algérie. Quand j’ai démarré cette recherche, c’était le grand saut dans l’inconnu et l’altérité. J’ai été porté par l’envie de traverser le miroir post colonial avec un certain nombre de clichés sur l’Algérie et les Algériens que j’avais envie d’abattre en me rendant sur place. Je fais référence à ces clichés liés à la guerre d’Algérie, à ces mémoires fracturées, à l’immigration algérienne qui a une mauvaise image, jusqu’au match France-Algérie en 2001 et son interruption suite à l’envahissement de la pelouse qui représente la fin du mythe de la France black-blanc-beur.

 

Quel a été l’élément déclencheur qui vous a poussé à vous intéresser à cette passionnante épopée ?
C’était dans la continuité de mes recherches en master I et II. J’ai démarré ma thèse en 2005, je l’ai soutenu en 2009, puis le livre a été publié en 2021. Du temps est donc passé depuis, jusqu’à l’amélioration concrète de la thèse par le livre, avec de nouveaux entretiens et de nouvelles archives. Il s’agit d’une continuité dans mon travail sur les migrations sportives internationales et la question des élites sportives. Je me suis aperçu que l’on connaissait bien l’histoire des élites franco-algériennes au niveau politique et culturelle, mais sur le volet sportif il n’y a pas grand-chose de scientifique. J’ai souhaité raconter cette histoire des années 1930 à nos jours, en m’inspirant notamment des travaux du sociologue algérien Abdelmalek Sayad qui a beaucoup travaillé sur la condition ouvrière et la double absence des immigrés : absents du pays de départ mais aussi absents du pays d’accueil, notamment par leurs conditions de vie. C’est un travail réalisé à travers de nombreux déplacements en France et en Algérie. J’ai d’ailleurs été très marqué par l’hospitalité des anciens joueurs que j’ai rencontrés, tels que Habib Draoua dans son quartier d’El-Hamri à Oran. Un certain nombre d’arguments scientifiques m’ont semblé intéressants. A l’époque coloniale, les footballeurs issus du continent africain venaient en grande partie d’Algérie. Sur la question de la bi-nationalité, l’Algérie est le premier pays à avoir organisé le retour de ses immigrés en équipe nationale, bien avant d’autres sélections africaines. Cela m’a permis de travailler sur l’Amical des Algériens en Europe. Enfin, l’autre argument scientifique déclencheur était de revisiter l’histoire de l’équipe du Front de Libération Nationale créée en 1958 et première équipe nationale algérienne quatre ans avant l’indépendance. J’ai eu la chance de retrouver en France et en Algérie la quasi-totalité des survivants de cette équipe, ce qui donne le chapitre 4 où j’évoque le fait que le football va permettre aux ex-colonisés de se défaire de l’emprise de l’Occident. Ces derniers étaient contre le système colonial, pas contre la France.

« On ressent des crispations identitaires, des raidissements, à la fois en France et en Algérie. »

Votre ouvrage est riche de 1500 figures du ballon rond, de 200 photographies et autres entretiens. On vous sent très ému de présenter ce travail considéré comme le tout premier ouvrage sur l’histoire des footballeurs professionnels en France.
Oui, même si j’ai eu pas mal de difficultés à accéder à certaines archives dans les deux pays. Je m’appuie principalement sur des archives avant et après 1962 de la FIFA, de l’Amicale des Algériens en Europe, de presse sportive et extra-sportive, ainsi que des entretiens et récits de vie avec des anciens footballeurs professionnels algériens toutes générations confondues. Au total, il y a une centaine d’entretiens. Une soixantaine de joueurs, avec des encadrés complémentaires avec des équipiers, des femmes de joueurs, des enfants de joueurs, des entraîneurs, des élus municipaux.

 

Albert Camus aimait déclarer que les terrains de football et les scènes de théâtre resteront ses vraies universités. Peut-on dire que votre ouvrage révèle une nouvelle fois que le football est l’un des miroirs majeurs de notre société ?
Le football est un formidable miroir de notre société. C’est aussi une manière de la faire changer. Le foot permet des transgressions que la société ne permet pas. Il permet de faire évoluer les mentalités. C’est un formidable moyen d’émancipation et ascenseur social. On le voit notamment à travers le développement du foot féminin. Avec cet ouvrage, ce qui est intéressant, c’est la possibilité de l’évoquer sur un temps long.

 

Des rancœurs non résolus au rapport Stora en passant par les polémiques autour de Karim Benzema, quel est votre regard sur notre époque, vous qui donnez des clés issues du passé ?
Nous sommes dans une époque avec un très fort relent islamophobe, bien au-delà du foot. On ressent des crispations identitaires, des raidissements, à la fois en France et en Algérie. On voit bien que cette réconciliation est difficile. Elle a pourtant lieu. Elle est effective dans les faits car il y a beaucoup de mixité et de métissage, de mélange et de partage, et de discussions parfois enflammées. Les trois quarts de la population algérienne n’ont pas connu la période coloniale et beaucoup rêvent de venir en France, ailleurs en Europe ou encore au Canada. Il semble qu’il s’agit d’une rancœur plutôt entretenue stratégiquement par des hommes politiques en France et en Algérie. A la fois au niveau de l’extrême droite et des lobbies qui cherchent à surfer sur la vague du lobby des rapatriés d’Algérie. Du côté algérien, c’est un pouvoir qui se légitime en permanence du point de vue du combat indépendantiste, même si ça fait 60 ans que ça dure. En gros, à les écouter, tous les problèmes algériens actuels viendraient de la France alors que c’est un pays miné par une corruption généralisée, avec un problème d’avenir et d’horizons pour la jeunesse. Une fois que les mannes pétrolières et gazières seront vides, que restera-t-il. Il y a également le Hirak, ce mouvement courageux, pacifique et connecté. Le pouvoir algérien se sent menacé et se cherche un bouc-émissaire parfait. La France joue ce rôle, même si il y a encore d’importants échanges économiques et politiques entre les deux pays.

La glorieuse équipe du F.L.N. fondée en 1958 (crédit Artois Presses Université).

« Zinédine Zidane serait une très belle passerelle entre nos deux cultures. »

Comment faire comprendre qu’affronter notre histoire commune sans tabou ni déni est une des clés de notre vivre ensemble ?
Les propositions du rapport Stora, les mouvements de la jeunesse franco-algérienne, une guerre d’Algérie qui prendrait davantage de place dans le programme scolaire, la reconnaissance des crimes coloniaux par l’Etat français, tout cela va dans le bon sens. Mais on voit bien que le rapport Stora a reçu un accueil très froid, notamment du côté algérien. La question est : est-ce que tout le monde a envie que la situation s’arrange ? Ce n’est pas certain. Côté français, le Front national n’a pas grand intérêt à ce que des commémorations se développent.

 

N’aurions-nous pas besoin qu’une tête d’affiche telle que Zinédine Zidane prenne la parole ?
Il aurait pu le faire pendant sa carrière de joueur mais il ne l’a pas fait. C’est compliqué de s’engager politiquement quand on est joueur professionnel car on est soumis à la critique, on risque de voir son contrat non renouvelé. Le football reste un milieu très conservateur. Ce n’est pas un hasard s’il y a des primes d’éthique dans les clubs. C’est pour bien rester dans le moule. Zidane, il était attendu, c’est vrai. Il serait une très belle passerelle entre nos deux cultures.

 

L’issue se nomme sans aucun doute la transmission. Au-delà de sa présence en librairie, quel est l’avenir de votre ouvrage dans son utilisation pédagogique ?
J’interviens beaucoup en milieu carcéral avec mon association Nouveau Regard Network. J’aimerais faire traduire le livre et l’éditer en Algérie. D’un documentaire à des expositions, je suis ouvert à beaucoup de projets. J’ai également une chaîne YouTube Temps de Sport qui est la première chaîne de sport dédié à l’histoire du sport. Je compte faire des entretiens vidéo avec des anciens sportifs algériens, pour évoquer leur rapport avec l’Algérie et la guerre d’Algérie notamment. C’est un livre passerelle écrit par un Français. J’y ai passé 15 ans de ma vie, avec intensité. C’est le résultat de belles rencontres humaines. Dans les prochaines années, je compte poursuivre le travail, en m’intéressant cette fois au centre d’entraînement des moniteurs de la jeunesse algérienne de 1957 à 1962. Des soldats français et nord africains y avaient été intégrés. L’idée était d’éviter le service militaire pour former des moniteurs d’éducation physique pour l’Algérie Française. Certains ont suivi six mois de formation à Issoire en France. J’ai déjà commencé à retrouver des anciens de cette époque depuis janvier dernier.

 

Recueilli par Florian Dacheux

Stanislas Frenkiel est Maître de Conférences à la Faculté des Sports et de l’Education Physique de l’Université d’Artois et membre de l’Atelier SHERPAS. Après sa thèse et plusieurs expériences postdoctorales en France et à l’étranger, il mène de nouvelles recherches historiques. Boursier de l’UEFA, de la FIFA et de l’ANOF, il est l’auteur de deux ouvrages : Une histoire des agents sportifs en France, les imprésarios du football 1979-2014 (CIES Editions, 2014), primé par l’UCPF, puis en codirection Sports in postcolonial worlds (Routledge, 2016). Dans un registre associatif, il anime des débats citoyens en milieu carcéral.

 

Pour commander l’ouvrage, rendez-vous sur le site d’Artois Presses Université.

Florian Dacheux