Le Red Star, c’est bien plus que du football !

Juin / 29

Le Red Star, c’est bien plus que du football !

By / Florian Dacheux /

A l’heure où le mythique stade Bauer vient d’entamer sa rénovation, le Red Star, club emblématique de Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis, se sert de son histoire comme d’une arme pédagogique envers les jeunes désireux d’en savoir davantage sur les origines de la France plurielle. Plongée au cœur d’un club de football définitivement à part qui symbolise à lui tout seul notre diversité.

Le Red Star, c’est bien plus que du football !

Il y a dans ce club tout ce que le monde du football perd chaque année un peu plus. Cet amour d’un maillot, d’une étoile qui scintille quels que soient les soubresauts, d’un stade sans égal et d’une ferveur populaire centenaire. Ici, de l’autre côté de la porte de Clignancourt en plein cœur d’une Seine-Saint-Denis plus que jamais vibrante et métissée, le Red Star cultive une forte identité. Une histoire intimement liée à l’histoire de France, ses héritages et ses mouvements de population. Avec cette idée que le football est avant tout un jeu par lequel le ballon rond crée du lien, tel un théâtre universel. « Nous sommes dans un département où la mixité et la diversité sont incontournables, confie d’emblée Steve Marlet, ancien joueur du club aujourd’hui conseiller du président Patrice Haddad. Notre club est à l’image du 93. On peut le voir quand on se balade autour du stade et c’est important de cultiver ça. A l’époque, on n’avait pas tous ces problèmes de vivre ensemble. Aujourd’hui, il y a de nouveaux combats, face notamment à l’émergence des idées d’extrême droite. Il ne faut pas céder et se servir des clubs comme le nôtre, des valeurs du sport et de l’histoire, à travers de grands personnages qui venaient d’autres pays, pour passer des messages. Et montrer qu’il y avait de la tolérance bien avant aujourd’hui. »

Ces grands personnages, les joueurs de l’équipe fanion (Nationale 1) les ont arborés sur leur maillot tout au long de la saison écoulée. Elaborée sous forme de saynètes retraçant l’histoire du club, la tunique a directement été conçue pour servir de support pédagogique. Dans un département où 30% des habitants ont moins de 20 ans, ce projet volontairement éducatif, chapeauté par l’historien Pascal Blanchard, n’a pas tardé à séduire de nombreux établissements scolaires franciliens. Les élèves d’une classe de seconde du Lycée Marcel Cachin de Saint-Ouen ont été les premiers à recevoir un cours d’histoire inédit le 10 septembre 2020 en présence du champion du monde Lilian Thuram et du maire de la ville Karim Bouamrane, avant que la crise sanitaire perturbe le programme prévu.

 

Après une nouvelle intervention en octobre au Lycée Paul Eluard de Saint-Denis avec la participation de la plume de L’Equipe Vincent Duluc, par ailleurs président du Musée National du Sport, une dizaine de séances ont pu malgré tout avoir lieu jusqu’au 28 mai dernier et un ultime atelier au lycée Lamartine à Paris. L’outil clé ? Une série de cartes présentant les joueurs et les événements historiques liés à toutes les saynètes, de la Belle Epoque aux Trente Glorieuses en passant par les premières et secondes guerres mondiales.

« On joue pour un pays, un club, une ville, un quartier, un bout de Paris. Cette question d’identité est essentielle. »

Fondé un jour de février 1897 par Jules Rimet et ses compères du bistrot Villiermet dans le quartier de Grenelle à Paris, le Red Star, second club doyen de football de l’hexagone après Le Havre (1872), s’affirme très vite comme un club humaniste, ouvert aux familles de toute classe sociale. « Jules Rimet, qui est quand même celui qui est à l’initiative de la première Coupe du Monde en 1930, trouvait qu’il y avait de grosses valeurs éducatives dans le sport, voilà pourquoi il a créé ce club omnisport », poursuit Steve Marlet. Mais au fait ? Pourquoi s’appelle-t-il le Red Star ? D’où vient cette étoile rouge ? Le communisme ? « Eh bien non, sourit Steve Marlet face au destin. A partir de 1871, la compagnie maritime Red Star Line arbore un drapeau blanc à deux branches avec une étoile rouge. Cette étoile et le nom du club sont liés symboliquement à cette compagnie, d’après une idée de miss Jenny, une jeune gouvernante anglaise qui travaille chez Jules Rimet. A cette époque, nombreux sont ceux qui traversaient la Manche en bateau. Ce n’est donc pas lié au communisme comme on aurait pu le penser. Même si ensuite, Saint-Ouen et le 93 représenteront la banlieue rouge dès les années 1920. » « C’est comme un emblème de la mobilité qui inscrit déjà le football dans la circulation et le brassage des populations, rebondit Yvan Gastaut, maître de conférences à l’UFR STAPS de l’université de Nice. On voit bien, jusqu’à aujourd’hui, que le football est représentatif de l’histoire des immigrations. Nous sommes Français, Camerounais, Algériens. On joue pour un pays, un club, une ville, un quartier, un bout de Paris. Cette question d’identité est essentielle. »

Avant de faire du stade Bauer (du nom du docteur Jean-Claude Bauer, résistant audonien de renom) son antre historique, le club audonien va fouler plusieurs terrains parisiens tels que celui… du champ de Mars. La spéculation immobilière obligera le club à trouver une solution de repli. Direction le nord de Paris, à Saint-Ouen et son célèbre marché aux puces. C’est au beau milieu des usines et lignes de chemins de fer que le club à l’étoile rouge mise sur un vaste champ de blé. L’aire de jeu accueillera le 24 octobre 1909 les Anglais des Old Westminster. Des abris en bois sont peu à peu conçus pour accueillir le public. Alors que le quartier poursuit son industrialisation avec l’arrivée d’usines d’outillage mécanique et de production d’automobiles, le Red Star Amical Club (son nom jusqu’en 1926 et sa fusion avec l’Olympique de Pantin) remporte en 1912 son premier titre de champion en Ligue de Football Association dont il est membre-fondateur. La Première Guerre mondiale viendra stopper les activités du club, qui voit plusieurs de ses meilleurs joueurs mourir au front. « Le sport s’installe dans la société française au début du 20e siècle, et le football commence à se développer pendant la première guerre mondiale, corrobore Yvan Gastaut. En 1914, lors d’une trêve le jour de Noël, des Anglais et des Allemands sont même sortis des tranchés pour faire un match de foot. Facile à pratiquer, le football est de plus en plus populaire. C’est le temps aussi où le sport devient un phénomène de société à travers des olympiades et les JO de 1912 en Suède. »

Rino Della Negra, le visage derrière lequel se lève toute une tribune !

 

Sur ces « maillots d’histoire » portés cette saison par les joueurs, figurent notamment René Fenouillère, immense joueur de l’avant-guerre avant de mourir au combat en 1916, ou encore Eugène Maës, un héros du front qui fera la une du journal Sporting en tenue de fantassin. Mais aussi et surtout Rino Della Negra, attaquant des années 1940 engagé dans la résistance. Membre du réseau Manouchian, il est arrêté en novembre 1942 par la Gestapo et fusillé au Mont Valérien à Suresnes. Un symbole. Le visage derrière lequel se lèvre toute une tribune.

 « Son esprit de résistance fait de lui une figure emblématique du club, commente Steve Marlet. La tribune du kop porte son nom. Les supporters ont un chant en son honneur. Et le club commémore sa mémoire chaque année. C’est un personnage incontournable. Un héros qui a défendu la liberté. » D’autres joueurs tels que André Simonyi sont encore présents dans les mémoires. Attaquant d’origine austro-hongroise (aujourd’hui Ukraine), il devient rapidement adulé au côté du feu follet Alfred Aston, au moment même où le Front Populaire s’envole pour la victoire électorale en 1936, époque d’un renouveau culturel sans précédent pendant laquelle les quartiers populaires sont le berceau d’une vie politique intense marquée par d’importantes avancées sociales. La présence du parti communiste y est croissante et une nouvelle génération d’immigrés épouse la vie locale. « Le Red Star va mettre en relief la diversité de la société française, explique Yvan Gastaut. André Simonyi, naturalisé, jouera pour l’Equipe de France dans les années 1940. C’est lui encore qui donnera le coup d’envoi du 1000e match du club en 1993. » Suivront les années 1950 et la volonté des politiques publiques de mettre fin aux habitats insalubres et autres bidonvilles. En marge des Trente Glorieuses et d’une forte croissance économique, le stade Bauer, qui s’appelait encore le stade de Paris, va connaître plusieurs étapes en termes de rénovation. Alors que Saint-Ouen poursuit sa mue, un ovni architectural, appelé Planète Z, pousse au pied du stade dans les années 1970. Avec sa forme pyramidale, cet ensemble de logements HLM imaginé par l’architecte Jacques Starkier est aujourd’hui connu pour être la quatrième tribune lors des matchs. Lors du récent confinement et des huis clos successifs, ses habitants étaient plus que jamais aux premières loges, comme le 6 mars dernier pour la réception du RC Lens en Coupe de France, cet autre club si représentatif du monde ouvrier.

« On n’est pas un club comme les autres »

Après le passage des virtuoses Nestor Combin, Fleury Di Nallo ou encore Safet Susic, les années 1990 seront marquées par la crise économique. La Seine-Saint-Denis, désindustrialisée, n’y échappera pas, le chômage atteignant son paroxysme. Depuis, le club ne cesse de faire l’ascenseur, dans l’ombre du richissime Paris-Saint-Germain. Sans perdre pour autant ses valeurs et son profond attachement à sa jeunesse plurielle. « Nous puisons notre force et notre combativité dans notre histoire, affirme le président Patrice Haddad. C’est notre ADN, c’est notre territoire. » Convaincu des bienfaits de ses actions éducatives et sociales, notamment à travers son Red Star Lab et ses nombreux ateliers pluridisciplinaires, le club audonien n’hésite pas à casser les codes en permettant à ses licenciés de prendre le micro, un appareil photo voire une guitare, à l’instar d’Hamidou Sène, aussi connu pour ses talents de buteur que de rappeur (Topas). « On n’est pas un club comme les autres, conclut Steve Marlet. L’acceptation des autres, la tolérance, la jeunesse, c’est dans notre ADN. On le retrouve aujourd’hui avec la féminisation du football, comme on peut le voir avec Lauryn Coulibaly, notre grand espoir et le symbole d’un football féminin qui n’en finit plus de grandir. » En coulisses, le club prépare son grand retour dans l’élite du football français. Depuis la mi-mai, les pelleteuses rythment le quotidien du quartier de la rue du Docteur Bauer où la gentrification grandissante pose, par ailleurs, question. Après la cession du stade au groupe Realites, les travaux de rénovation tant attendus avancent plus vite que prévu, laissant espérer aux Vert et Blanc la possibilité de fouler leur nouvelle enceinte dès la saison prochaine. Et leurs supporters d’entonner leur chant traditionnel : « Le Red Star, c’est uniquement à Bauer, c’est le gardien de notre histoire, il est gravé dans nos cœurs. »

           

Florian Dacheux

 

(Crédit photos: Florian Dacheux, Archives Red Star FC et Redstar.fr)

Florian Dacheux