Jan / 18
Dans une tribune publiée dans Le Monde du 16 janvier, un collectif, animé par Yoann Sportouch et Linda Torche et comprenant des historiens comme Benjamin Stora, Catherine Brun et Pascal Blanchard, des chercheurs, des politiques, des artistes, des étudiants et des responsables de la société civile, plaide pour « la création d’un institut de la France et de l’Algérie : un lieu muséal où histoire, mémoires, art, dialogue et coopération pourraient coexister ». Les signataires demandent au gouvernement de ne pas abandonner ce projet lancé il y a deux ans et que la ville de Montpellier est prête à accueillir…
« Pour la création d’un institut de la France et de l’Algérie »
Il y a deux ans, le 20 janvier 2021, Benjamin Stora remettait son rapport au président de la République française, Emmanuel Macron, dans lequel une des préconisations concernait la relance du projet de musée de la France et de l’Algérie à Montpellier, qui avait été abandonné en 2014 (« Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie »). Cette préconisation s’inscrit dans un travail de long terme mené par différentes organisations, associations et personnalités de la société civile pour l’émergence d’un institut de la France et de l’Algérie. En octobre 2021, le groupe Regards de la jeune génération sur les mémoires franco-algériennes a appuyé à nouveau cette demande auprès du président de la République, pour la création de cet institut de la France et de l’Algérie : un lieu muséal où histoire, mémoires, art, dialogue et coopération pourraient coexister. Emmanuel Macron s’y était alors engagé. Lors de son voyage en Algérie fin août 2022, il a renouvelé sa volonté de mener ce projet d’institut de manière conjointe et d’en faire, selon ses mots, un lieu « où la mémoire (…) projette un espace à la fois de recherche, de vérité, sans doute de reconnaissance, mais aussi de création, de culture, de partage ». Michaël Delafosse, maire (PS) de Montpellier, a également réaffirmé en août la légitimité de la ville, terre d’accueil de nombreux rapatriés et harkis, afin d’y construire cet institut « pour regarder courageusement le passé, mais aussi tracer des lignes d’avenir ».
Aujourd’hui, nous, associations, historiens, artistes, chercheurs, acteurs de l’écosystème culturel et de la société civile, rappelons que la concrétisation de ce projet est plus qu’essentielle au dialogue des mémoires. Nous y voyons un outil pour les réconcilier mais aussi mettre en lumière la vérité historique et construire un futur commun pour les nouvelles générations. Créer un lieu consacré à cette histoire constitue à la fois un symbole et une forme de reconnaissance. La demande de la société civile, et particulièrement celle de la jeunesse, d’un endroit où apprendre mais aussi s’approprier cette histoire doit être entendue. Le projet a été repoussé à plusieurs reprises en raison de désaccords politiques sur le rôle qu’il doit occuper, questionnant tour à tour s’il doit être davantage politique, sociétal ou muséal. Alors, est-ce vraiment la fonction du musée de se positionner sur des questions politiques ? Le rôle du musée dans notre société contemporaine est-il d’accueillir le débat public ? Et donc, plus largement, le musée est-il un lieu d’expression de la démocratie ? Nous croyons que oui, cet institut peut être à la fois politique, sociétal et muséal. Plus encore, nous voyons ce musée de la France et de l’Algérie comme un outil démocratique dans le processus de sa construction comme dans la forme finale qu’il prendra. Ce musée ne doit pas être un temple inaccessible du savoir. C’est pourquoi, plutôt qu’un musée, nous souhaitons un institut, qui soit un lieu de vie et d’accueil de toutes les histoires individuelles, coconstruit avec les Françaises et Français dépositaires de cette mémoire.
Nous pensons que cet institut peut être un lieu de rencontres et de coopération où doivent œuvrer côte à côte : historiens et chercheurs, pour contribuer à une meilleure connaissance de cette histoire ; artistes, pour créer de nouveaux imaginaires de nos identités, de l’« autre » et de ce que nous partageons ; mais aussi citoyens français et franco-algériens, pour renforcer les relations entre les sociétés civiles de la France et de l’Algérie. Nous croyons à l’idée d’un lieu culturel qui accueille la parole des témoins des deuxième et troisième générations et où l’art fasse le lien entre écriture de la « grande » histoire et héritages familiaux pluriels. Dans une ville aussi chargée d’histoire que l’est Montpellier, ayant accueilli rapatriés et harkis, cet institut doit montrer la voie. L’ensemble des archives, à commencer par celles du Bureau central des rapatriés, doit être valorisé, et toutes les mémoires, d’appelés, de harkis, de rapatriés, d’immigrés, de pieds-noirs, d’indépendantistes, de juifs d’Algérie, de militaires français, doivent y être représentées. Depuis plus d’un an, de nombreux chercheurs se sont réunis de manière régulière pour concevoir le projet scientifique qui préfigure cet institut, tandis que l’association Jeunesses & mémoires franco-algériennes est allée à la rencontre de plus d’une centaine de jeunes. Ces jeunes ont partagé avec eux leur désir d’un espace de dialogue où puissent s’exprimer leur identité et leur double héritage culturel dans le respect de la diversité des mémoires. Tous ces témoignages, ces engagements, ces héritages sont autant de preuves qu’un institut de la France et de l’Algérie doit voir le jour, mais aussi et surtout que ce lieu doit être une émanation de la société civile.
Premiers signataires : Yasmine Abrous, Alfred Aussedat, Alma Bensaid, Nour Berrah, Antoine Bourdon, Clémence Carel, Valentin Drets, Aurélien Sandoz, membres de l’association Jeunesses & mémoires franco-algériennes ; Bénédicte Alliot, directrice de la Cité internationale des arts ; Agnès Aziza, membre de la commission Mémoires et vérité ; Yasmina Bedar, présidente de l’association Yalla ; Pascal Blanchard, historien et chercheur au CRHIM/UNIL ; Mehdi Ali Boumendjel, entrepreneur ; Catherine Brun, professeure de littérature à l’université Sorbonne-Nouvelle, membre de la commission Mémoires et vérité ; Stéphanie Chazalon, directrice de l’Institut des cultures d’Islam ; Jacques Ferrandez, auteur de la BD Carnets d’Orient ; Rostane Mehdi, juriste ; Jacques Pradel, président de l’Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs amis ; Tramor Quemeneur, historien, membre de la commission Mémoires et vérité ; Cécile Renault, maîtresse des requêtes au Conseil d’Etat ; Lyes Salem, acteur, scénariste et réalisateur ; Yoann Sportouch et Linda Torche, coprésidents de l’association Jeunesses & mémoires franco-algériennes ; Benjamin Stora, historien ; Michel Talata, artiste plasticien ; Yacine Tassadit, anthropologue, membre de la commission Mémoires et vérité ; Matthias Tronqual, directeur de la Scène nationale de l’Essonne.
(Sources : Le Monde)
Illustrations : photos extraites de « Décolonisations françaises – La chute d’un empire » (Editions La Martinière)
Vers la création d’un grand musée d’histoire coloniale à Paris ?
Selon Pascal Blanchard, co-directeur du Groupe de recherche Achac, « créer un lieu consacré à cette histoire constitue à la fois un symbole et une forme de reconnaissance ». Il poursuit : « La demande de la société civile, et particulièrement celle de la jeunesse, d’un endroit où apprendre mais aussi s’approprier cette histoire doit être entendue. Cet institut peut être à la fois politique, sociétal et muséal. Plus encore, nous voyons ce lieu de la France et de l’Algérie comme un outil démocratique dans le processus de sa construction comme dans la forme finale qu’il prendra. Il est plus que temps de bâtir le futur et de ne pas abandonner le travail d’histoire. Cet institut à Montpellier est une étape et la création d’un grand musée d’histoire coloniale à Paris sera l’étape suivante. »
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