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Théâtre: Le 17 octobre 61 entre en scène !
Notre rédacteur est allé voir et ressentir Nuit d’Octobre de Myriam Boudenia et Louise Vignaud (Cie La Résolue). Une expérience scénique qui convoque le drame et le crime du 17 octobre 1961, un spectacle intense qui nous vaccine contre l’oubli.
La pluie. La pluie, la pluie de l’eau tombée du ciel. Un ciel gris attristé de perdre une partie de lui-même. La pluie, qui lave la terre souillée. Qui se teinte de vermeil lorsque les Hommes se sont défoulés. La pluie vient oindre les mises en terre et cortèges funèbres, couvrant de son fracas les oraisons de même teneur. La pluie est la fidèle témoin de maints drames et tragédies. Rien d’étonnant de la retrouver sur scène pour habiller ce 17 octobre et tout l’opprobre qu’aurait dû recouvrir un tel massacre.
Myriam Boudenia, autrice et Louise Vignaud, co-autrice et metteuse en scène vont nous conter cette dramatique journée en prenant appui sur des scènes qu’on pourrait penser issues du théâtre boulevard. On y voit des employés d’usine fêter un heureux évènement, des camarades policiers rigoler ensemble. On se prend à rigoler à notre tour. Mais comme le petit Poucet, afin de ne pas se perdre en route, des petites phrases sont disséminées dans ces tranches de bonne humeur. Le contexte de la guerre d’Algérie plane au-dessus de toutes les têtes. Et un « Nous » se distingue d’un « Eux ». Une démarcation que certains tentent de nier ou de dépasser. Mais la réalité les rattrape bien assez vite. Elle les rappelle à l’ordre. En rang, au garde-à-vous, regards noirs. Car les fins heureuses, ici, ne sont permises. Parmi ceux sur scène, nombreux finiront dans la Seine. Au-delà du bon mot, c’est « la vérité vraie et c’est vrai en plus »[1].
La troupe nombreuse qui foule de part en part les planches du théâtre Molière à Sète donne vie à une myriade de personnages auxquels on se surprend à s’attacher. Et l’écriture tout en nuance n’est en rien manichéenne. Les policiers, aussi cruels soient-ils, ont leurs doutes, leurs failles, leurs questionnements. Il y a bien entendu des victimes et des bourreaux. Mais il y a surtout une politique raciste qui broie les individus, qui broie ses propres soldats.
Ce qui est brillant, vibrant et terriblement vivant dans ce spectacle, c’est la capacité qu’ont les autrices et la metteuse en scène d’avoir réussi à pratiquer l’autopsie de ce massacre politico-policier. D’avoir su, avec justesse et douceur, disséquer ce qui s’était passé. Ici pas de cours magistraux, pas de ton professoral ou de leçon de morale. Non, juste des personnes normales, prises dans les plis d’un conflit qui les dépasse, qui les déborde, qui les renverse. Ce 17 octobre, c’est le symptôme qui ronge notre société. C’est l’héritage de ce qui a permis, autorisé, encouragé la colonisation. C’est le racialisme dans toute sa vérité nue. Celle qui dénie l’humanité à l’Autre et lui confère les traits les plus bestiaux. Cette bestialisation qui a frappé des pires stigmates les Arabes d’alors est encore à l’œuvre de nos jours. Cette police s’est armée d’une langue avant de saisir une matraque. Les Arabes devenaient, dans des discours tout officiels, des hordes de sauvages, des minorités violentes, des nuisibles. Ces mots ne datent pas de 1961. Mais de 2023, employés par un syndicat de police pour parler des jeunes de banlieue. Ce qui a noyé les Algériens, c’est avant tout cette réduction au rang d’animal de toute une population. Ce n’est pas révolutionnaire que de dire cela. Mais ayons à l’esprit que l’Histoire à tendance à bégayer.
Et tout au long de la pièce, les boyaux et les poings se serrent. Le public est ému, certains étaient enfants en 61 et vivaient à quelques mètres des massacres. Jeunes et moins jeunes saisissent la terreur qui fut celle des victimes, l’horreur que l’uniforme bleu devait représenter dans cette nuit de fracas. Et à tous, campés dans nos sièges, s’impose à l’esprit le parallèle édifiant avec le massacre en cours en Palestine. Un massacre qui dure depuis plus d’une nuit, plus d’une décennie et qui procède par la même bestialisation de toute une population.
Cette pièce est plus qu’une pièce. C’est une pièce à conviction(s). Dans tous les sens du terme.
Soufyan Heutte
[1] Sameer Ahmad, Drago, Perdants Magnifiques, 2014.
Cette police s’est armée d’une langue avant de saisir une matraque. Les Arabes devenaient, dans des discours tout officiels, "des hordes de sauvages".
Prochaines dates : saison 2024-2025
Nuit d’Octobre
Myriam Boudenia – Louise Vignaud – Cie La Résolue
Nuit d’Octobre suit les destins de plusieurs duos qui convergent le soir du 17 octobre 1961. Ce jour-là, à l’appel du FLN, trente mille Algériens et Algériennes participent à une manifestation pacifique organisée contre le couvre-feu raciste imposé par le préfet Papon. La manifestation est violemment réprimée par la police. Des gens disparaissent. Mais le lendemain, aux informations, le ministre de l’Intérieur affirme : « il ne s’est rien passé ».
Proposer une pièce sur le 17 octobre 1961, c’est questionner un tabou historique et interroger l’organisation du silence qui entoure les crimes d’État. L’action débute au cœur d’une pharmacie ouverte ce jour-là sur le boulevard Saint-Michel, devenue refuge pour les blessés et coulisse de l’horreur. Louise Vignaud s’empare de la fiction comme d’un révélateur, pour parler de la différence et du deuil confisqué. Par la force du théâtre, elle entreprend, avec acuité et finesse, de nous réconcilier avec notre Histoire et d’en explorer la dimension universelle.
Texte Myriam Boudenia, Louise Vignaud
Mise en scène Louise Vignaud
Avec Simon Alopé, Lina Alsayed, Magali Bonat, Mohamed Brikat, Pauline Coffre, Ali Esmili, Yasmine Hadj Ali, Clément Morinière, Sven Narbonne, Lounès Tazaïrt, Charlotte Villalonga
Direction technique, régie générale Nicolas Hénault
Assistanat à la mise en scène Margot Théry
Scénographie Irène Vignaud
Lumière Julie-Lola Lanteri
Son Orane Duclos
Costumes Emily Cauwet-Lafont
Perruques et maquillage Judith Scotto
Construction du décor Marc Valladon et l’atelier Phalanstère
Production La Résolue, Comédie de Béthune – CDN Hauts-de-France
Coproduction La Criée – Théâtre national de Marseille, Théâtre Gérard Philippe – CDN de Saint-Denis, Théâtre Molière – Scène nationale archipel de Thau-Sète, Le Vellein – Scènes de la CAPI – Villefontaine, Les Théâtres – Marseille/Aix-en-Provence
Avec le soutien du Fonds SACD Théâtre. Ce texte est lauréat de l’aide nationale à la création de texte dramatique – ARTCENA. La compagnie La Résolue est conventionnée par la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes et subventionnée par la Région Auvergne-Rhône-Alpes.Avec la participation du Jeune Théâtre National et de l’École de la Comédie de Saint-Étienne. Louise Vignaud est artiste associée à la Comédie de Béthune et à La Criée – Marseille.