Juil / 01
L’exposition Sur les traces de l’Exposition coloniale internationale de 1931 est proposée à Paris simultanément au Bois de Vincennes et sur le site de la caserne Napoléon jusqu’à fin septembre 2022. Celle-ci a pour objectif de replacer cet événement propagandiste dans son contexte, une époque où le colonialisme atteint son paroxysme. Une histoire à aborder sans tabou ni déni pour mieux appréhender le présent et l’avenir. Tel est l’enjeu si difficile à faire comprendre à celles et ceux qui continuent à nier l’importance de regarder notre héritage commun en face.
Sur les traces de la propagande coloniale
C’est sous des trombes d’eau que le vernissage de l’exposition Sur les traces de l’Exposition coloniale internationale de 1931 a eu lieu jeudi 30 juin 2022 rue de Rivoli à Paris. Une situation cocasse dont s’est amusé Pascal Blanchard à son arrivée sur les lieux. « Les dieux du colonialisme ne sont pas avec nous », plaisante-t-il avant d’ajouter plus tard : « Saviez-vous qu’il s’agissait du premier voyage à Paris de François Mitterrand ? Il avait 15 ans. » Dans son sourire de juin, Pascal Blanchard dévoile quelque part sa fierté de voir le Groupe de Recherche Achac, dont il est le co-directeur, proposer une telle exposition. Une exposition qui, du Bois de Vincennes, où elle avait été présentée 90 ans plus tôt, à la caserne Napoléon rue de Rivoli, explore le mythe impérial. Dressé sur les murs de ce bâtiment situé à proximité de l’hôtel de Ville, le parcours est jalonné de douze panneaux mêlant une grande diversité de documents d’archives dédiés à la plus importante manifestation coloniale organisée à Paris et en France au XXe siècle. Nous sommes le 6 mai 1931. Dominant le Palais de la Porte Dorée, qui abrite aujourd’hui le Musée National de l’Histoire de l’Immigration, l’immense statue de la France coloniale (sculptée par Léon Drivier) aux dorures éclatantes, symbolise la France dite « protectrice des peuples placés sous son autorité ». Alors peu informés sur la réalité des violences coloniales et des situations ordinaires de domination et d’exploitation, ils sont environ 8 millions de visiteurs à venir s’émerveiller jusqu’en novembre devant cette mise en scène consacré exclusivement aux colonies. Il faut dire que les troupes du maréchal Lyautey, le commissaire général de l’exposition, maîtrisaient déjà les codes de la formule marketing en proposant au public de faire le « tour du monde en un jour ». Un Disneyland amer pour les quelques 25 000 « figurants indigènes » venus animer chaque jour les 110 hectares aménagés dans le bois de Vincennes aux allures de zoo humain. Déjà omniprésente, la publicité des grandes marques et entreprises de l’époque (Banania, Galeries Lafayette, Columbia, …) prend soin de diffuser son discours primitiviste autour de ces « bons sauvages » qui ne seraient pas civilisés… « Il faut imaginer l’impact que ça a eu sur une génération d’enfants qui ne va rien comprendre à ce qui va se passer dans les colonies, explique Pascal Blanchard. Chaque soir, c’était la féerie avec des spectacles de danse, de sons et lumières pour des gens qui ne voyageaient pas, qui n’étaient jamais allés dans les espaces coloniaux. Pour l’empire colonial, c’est le moment de basculement. Tout cela cachait les mouvements nationalistes qui conduiront aux indépendances. »
Du pavillon des « vieilles colonies » au temple d’Angkor en passant par le pavillon de l’Afrique occidentale française (ndlr : pas moins de 200 bâtiments), on se laisse convaincre par la grandeur de « la plus grande France », le surnom donné à l’Empire colonial français et ses 100 millions d’habitants, ses 35 000 km de côtes, ses 700 000 km de routes et autres 75 000 km de rails… Un bourrage de crâne qui permet de comprendre certains mécanismes qui ont conduit cette génération de l’entre-deux-guerres à bien conserver les clés du déni national. Des Droits de l’homme à la fabrication d’un monde idéal en passant par l’assimilation. « Cela me semble plus que jamais important de parler de cette exposition de 1931 quand on voit encore les derniers propos tenus par le doyen de l’Assemblée nationale évoquant sa nostalgie de l’Algérie française », affirme Laurence Patrice, l’adjointe au maire de Paris déléguée à la mémoire. Au tour de son égal Jean-Luc Romero, notamment en charge de la lutte contre les discriminations, de rebondir : « Il est essentiel de comprendre cette histoire complexe pour mieux la déconstruire et ainsi mieux vivre au présent. C’est notre héritage, à regarder sans tabou. »
Les tabous, le plasticien Seumboy les aborde avec brio sur sa chaîne Instagram Histoires Crépues. Spécialiste de l’histoire coloniale, il s’est fait un nom sur les réseaux grâce à des analyses complètes et de nombreux échos aux causes structurelles du racisme en France. Le verbe de Pascal Blanchard ne pouvait que lui plaire. « Près d’un siècle après cet événement, découvrir une exposition sur des murs, comme ça, dans le quartier de Châtelet qui est très fréquenté, je trouve ça très intéressant, confie-t-il. Je pense qu’il y a une génération qui est en train de lâcher des choses avant de partir. Ils sont nombreux à avoir vécu cette histoire de manière frontal. Le silence est longtemps resté. Enfin les bouches s’ouvrent. On va pouvoir commencer à faire un travail de fond vraiment important. » Soutenu dans sa démarche par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), le Groupe de Recherche Achac entend bien poursuivre ce fameux travail de fond sur les représentations et les imaginaires coloniaux et postcoloniaux. « La meilleure manière de regarder notre histoire en face, c’est de la montrer, c’est d’en parler, c’est d’expliquer, martèle Pascal Blanchard. On hérite d’une histoire très complexe, qui est loin d’être entrée dans la digestion des mémoires communes. Mais il ne faut surtout pas la mettre sous le tapis de l’histoire, car on voit bien ce que ça génère comme frustrations. Le faire ici, en plein Châtelet, c’est fondamental. »
Florian Dacheux
Visuels : Danseurs de la section de l’Afrique Occidentale française, photographie (1931) & La France d’outre-mer illustrée, couverture du livre d’Aimé Fauchère & André Galland (1931). © Achac
« Porte d’honneur de l’Exposition coloniale internationale », 60 aspects de l’Exposition coloniale internationale, photographie de Maurice Cloche, 1931. © Achac
LE SAVIEZ-VOUS ?
De Marseille à Paris
De la fascination pour les pavillons coloniaux dans les expositions nationales ou universelles naît l’idée, à la fin du XIXe siècle, de leur consacrer des expositions spécifiques. Le projet était ancien, puisque dès 1910 un député avait déposé un projet en ce sens, repris après-guerre, alors que Marseille développait aussi son propre projet, qui se matérialisa par l’Exposition coloniale de 1922 dans la cité phocéenne.
Anticoloniaux
Plusieurs journaux se montrent critique, comme Le Populaire et L’Humanité. Le 4 juillet 1931, ce dernier annonce une contre-exposition organisée par la Ligue contre l’impérialisme et l’oppression coloniale et la CGT. Les surréalistes (Aragon, André Breton, René Char, Paul Éluard) signent même un tract tiré deux jours avant l’inauguration. De son côté, Senghor, qui terminait tout juste sa khâgne, arpenta très songeur les avenues du Bois de Vincennes. À l’automne 1931, surréalistes et communistes mirent sur pied une contre-exposition intitulée La vérité sur les colonies, installée sur l’actuelle place du Colonel-Fabien — là où le siège du PCF est aujourd’hui situé.
Les Kanaks au Jardin d’acclimatation
En marge de l’Exposition coloniale internationale, 92 hommes, 14 femmes et 5 enfants sont recrutés par la Fédération française des anciens coloniaux pour être exhibés au Bois de Vincennes. S’étant portés « volontaires » pour représenter leur culture, les Kanaks, absents lors de la signature de leur contrat, sont en réalité leurrés et conduits au Jardin d’acclimatation du bois de Boulogne pour être présentés comme des « cannibales ».