Mai / 11
Une statue en la mémoire de Solitude la « mulâtresse », figure de la lutte contre l’esclavage, a été inaugurée le 10 mai 2022 à Paris. Il s’agit de la première statue d’une femme noire dans la capitale où était organisée quelques heures plus tôt la 17ème cérémonie de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage. Retour sur cet après-midi placé sous le signe de la jeunesse et de la résistance des femmes.
Une statue en mémoire de Solitude, figure de la lutte contre l’esclavage
C’est au cœur d’un jardin qui porte déjà son nom, dans le 17e arrondissement de Paris, qu’une statue de Solitude « la mulâtresse », œuvre de l’artiste Didier Audrat, a été inaugurée mardi 10 mai 2022 par la maire Anne Hidalgo. Un acte hautement symbolique puisqu’il s’agit là de la première statue d’une femme noire dans la capitale. Fermement engagée contre les troupes coloniales, cette femme guadeloupéenne, ancienne esclave, fit partie de la révolte menée par l’officier martiniquais Louis Delgrès contre le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe par Napoléon Bonaparte en 1802. Fidèles à la devise de la Révolution Vivre libre ou mourir, Delgrès et ses hommes préfèrent se faire exploser le 28 mai 1802 plutôt que de se rendre. Capturée alors qu’elle était enceinte, Solitude fut condamnée à mort, mais les autorités coloniales attendirent pendant plusieurs mois la fin de sa grossesse avant de la mettre à mort, le lendemain de son accouchement, le 29 novembre 1802. A partir de cet épisode de la résistance de la Guadeloupe au rétablissement de l’esclavage, l’écrivain André Schwarz-Bart, survivant de la Shoah, et sa femme guadeloupéenne Simone Schwarz-Bart (ndlr : présente lors de l’inauguration de la statue) ont imaginé un cycle romanesque sur l’héritage de l’esclavage dans les Antilles. Paru en 1972, le roman La mulâtresse Solitude a fait resurgir le souvenir de Solitude, qui s’impose enfin en cette année 2022 comme le symbole de la résistance de toutes les femmes à l’esclavage.
Un timbre à son effigie sera lancé en avant-première vendredi 13 mai 2022 au Carré d’Encre à Paris. A noter par ailleurs que des monuments existent déjà en l’honneur de Solitude à Bagneux dans les Hauts-de-Seine et en Guadeloupe, dans la commune des Abymes.
L’exposition « C’est notre histoire » : 11 panneaux pour raconter l’esclavage colonial et ses héritages.
Le choix du 10 mai ne doit rien au hasard. Depuis 2006, et ce dans la lignée de loi Taubira de 2001, la France commémore la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions. Une cérémonie s’est tenue dès 16h au Jardin du Luxembourg, en présence notamment du Président de la République Emmanuel Macron, du président du Sénat Gérard Larcher ainsi que du président de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage Jean-Marc Ayrault. Cette cérémonie s’inscrivait dans le Temps des Mémoires impulsé par la FME depuis sa création en 2019, un cycle annuel qui rassemble les deux journées nationales des 10 et 23 mai, et les 7 journées locales célébrant l’abolition de l’esclavage dans les collectivités d’outre-mer. Accueillis par l’exposition intitulée « C’est notre histoire », les officiels ont pu entendre la chanteuse réunionnaise Christine Salem qui a interprété deux chansons de maloya de sa composition, un genre musical né à La Réunion de la résistance à l’esclavage. La cérémonie s’est surtout tenue en présence de 400 jeunes venus de toute la France. Certains d’entre eux, lauréats du concours scolaire de la Flamme de l’Egalité, ont interprété des extraits de leurs travaux. Des élèves de CM1-CM2 de l’Ecole élémentaire Ferdinand Buisson de Sotteville-lès-Rouen ont d’abord lu un extrait du Carnet de Ruby à propos de Joséphine Baker. Des élèves de CM2 de l’Ecole élémentaire Immaculée Conception de Saint-Denis-de-la-Réunion ont interprété la chanson Noirs et marrons autour de la mémoire du marronnage à La Réunion. Des élèves de 4ème du Collège Julien Maunoir de Saint-Georges de Reintembault, accompagnés par leurs homologues du Lycée agricole Jean-Baptiste Le Taillandier de Fougères, ont lu le poème Zumbi à propos d’un rebelle marron dans le Brésil au XVIIe siècle. Sans oublier les élèves de la classe de 2nde du lycée Scheurer Kestner de Strasbourg qui ont évoqué leur vidéo engagée « Non l’esclavage n’est pas terminé ! Mobilisons-nous ! » au sujet de l’expérience d’une jeune femme victime d’esclavage moderne en France au XXIème siècle. Alors que des élèves du collège Ampère d’Arles ont lu des extraits du roman La mulâtresse Solitude d’André Schwarz-Bart, la chorale Les Petits Ecoliers Chantants de Bondy a interprété La Marseillaise après le traditionnel dépôt de gerbes et la minute de silence devant la sculpture « Le cri, l’écrit ». On peut seulement regretter le mutisme d’Emmanuel Macron qui ne s’est pas du tout exprimé. Après son départ, on a notamment pu voir des jeunes du Pré-Saint-Gervais prendre la pose avec Jean-Marc Ayrault. Ces derniers portent un projet vélo à vocation citoyenne qui les mènera du 29 juillet au 6 août sur les routes des mémoires de l’esclavage, de Nantes à La Rochelle. Une action parmi d’autres autour de notre histoire commune qui nous invite plus que jamais à nous rassembler contre toutes les formes contemporaines de racisme. Une question de lucidité.
Fl. D.
(Illustrations/Photos : FME, Mairie de Paris & F.D.)
Après notre reportage paru en janvier 2022 sur le travail mémoriel exceptionnel réalisé par la ville de Nantes, nous avons eu le plaisir d’apprendre que notre ouvrage L’histoire de l’esclavage et de la traite négrière, 10 nouvelles approches (Librio) a été distribué à une centaine de jeunes nantais à l’occasion de la cérémonie du 10 mai en direct du Mémorial de l’Abolition de l’Esclavage.
Nantes et la traite négrière : une ville lucide face à son histoire – dailleursetdici.news
L’équipe de D’Ailleurs & D’Ici vous donne rendez-vous le 11 mai à 18h en Mairie d’Epinay-sur-Seine pour la restitution de notre atelier mémoire & journalisme.
Atelier Mémoire & Journalisme à Epinay-sur-Seine #1 – dailleursetdici.news