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Mai / 20

Mémoire de l’esclavage : un timbre à l’effigie de Solitude

By / Florian Dacheux /

Exécutée le lendemain de son accouchement pour avoir lutté contre le rétablissement de l’esclavage… Si l’héroïne guadeloupéenne Solitude est largement entrée dans la mémoire collective de l’archipel depuis plusieurs décennies, elle est aussi mise à l’honneur en cette année 2022 jusque dans l’hexagone, avec l’édition notamment d’un timbre à son effigie imprimé à plus de 700 000 exemplaires. Zoom sur ce travail de mémoire de part et d’autre de l’Atlantique.

Mémoire de l’esclavage : un timbre à l’effigie de Solitude

Elle n’avait pas vraiment sa place parmi les esclaves. Et encore moins parmi les esclavagistes. Parce qu’elle était isolée, pas acceptée des deux mondes, on l’a alors appelée… Solitude ». C’est dans un café du mémorial ACTe, centre caribéen d’expressions et de mémoire de la traite négrière situé au port de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, que Jacky Poulier raconte non sans émoi l’histoire tragique de celle devenue -depuis quelques décennies déjà- un des symboles clé de la résistance à l’esclavage dans les Antilles françaises, toutes générations confondues. Le sculpteur guadeloupéen est le premier artiste français à avoir représenté « la mulâtresse » – fille d’une captive africaine violée par un négrier blanc -, avec une statue dressée à son effigie, dès 1999, aux Abymes, à Grande Terre. Aujourd’hui, il a de quoi se réjouir :  son œuvre inspire d’autres créateurs dans l’hexagone désormais mobilisés pour rendre aussi hommage à cette ancienne esclave « à la peau très claire » qui a lutté jusqu’à la mort contre l’injustice. Initialement citée par l’auteur Auguste Lacour dans son Histoire de la Guadeloupe, en 1858, Rosalie – de son vrai nom – est, en effet, largement mise à l’honneur cette année, en ce mois de mai de commémorations des abolitions de la traite négrière. Au-delà d’une nouvelle statue de la « Fanm’ Doubout » inaugurée en grandes pompes le 10 mai 2022 dans le jardin Solitude du 17e arrondissement de Paris par la maire Anne Hidalgo, un timbre à son effigie a été créé par la Poste, à l’initiative de sa filiale Philaposte. « Il y avait cette première statue en Guadeloupe que j’ai regardé attentivement…, raconte Geneviève Marnot, l’illustratrice du timbre. Et ensuite, je m’en suis détachée pour aller dans ma propre direction ». Si l’artiste avait très peu d’éléments à sa disposition pour représenter Solitude -dont il n’existe aucune photo et très peu de documents historiques- elle a pu se baser sur le roman d’André Schwarz-Bart La mulâtresse Solitude (1972) pour laisser libre court à sa création. Sous le crayonné de l’illustratrice, on voit donc celle qui a été pendue le 29 novembre 1802, le lendemain de son accouchement – pour s’être révoltée contre le rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe par Bonaparte -, avec des chaînes brisées dans une main et une autre placée sous son ventre arrondi. « C’est vraiment lors de la cérémonie organisée à l’Hôtel de la Marine, à Paris, fin mars dernier, pour dévoiler le visuel du timbre élaboré par mes soins, que j’ai réalisé à quel point Solitude était un personnage très fort en Guadeloupe », confie Geneviève Marnot, dont la préoccupation a été « d’ancrer un tel travail dans le présent alors que l’esclavage, l’oppression des femmes, le racisme… existent toujours. Aussi, je n’ai pas voulu la présenter comme une victime, mais comme quelqu’un qui se bat pour les générations futures ».

Une vision in fine en phase avec celle que les Guadeloupéens entretiennent de Solitude d’ailleurs présentée via la statue de Jacky Poulier « comme une femme poto mitan », autrement dit « avec une posture d’autorité », précise le sculpteur qui veut croire qu’à travers l’enfant qu’elle a mis au monde – resté inconnu – « réside un peu de chacun d’entre nous…». A l’occasion de la journée de commémoration de l’abolition et des victimes de l’esclavage dans l’archipel, le 27 mai, pas moins de 705 000 exemplaires du timbre seront ainsi imprimés. Il a été vendu en avant-première, dès les 13 et 14 mai, par feuille de quinze exemplaires, à Petit-Canal, Morne-à-l’Eau et Pointe-à-Pitre. Certains bureaux de poste de l’Hexagone l’ont également émis dès le 16 mai alors que la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, basée à Paris, « s’est associée à la promotion du document philatélique », rappelle-t-on chez Philaposte. Et de conclure : « l’année 2022 était largement propice à une telle initiative, marquant le 250e anniversaire supposé de la naissance de Solitude, en 1772, les 220 ans de sa disparition et le 50e anniversaire de l’ouvrage de Schwartz-Bat ». De quoi peut-être faire rentrer peu à peu sa figure dans la mémoire française dans son ensemble, et pas – comme c’est déjà le cas – dans celle des seuls outre-mer…

Charles Cohen

Florian Dacheux