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Jan / 27

Un pas concret dans la lutte contre le contrôle au faciès

By / Bilguissa Diallo /

On en parle depuis des décennies, il fait régulièrement partie des déclarations d’intention des candidats aux élections présidentielles et il est le marqueur de l’altérité des citoyens français non blancs. Autant dire que le constat de la nocivité de la pratique du contrôle au faciès ne fait pas question. Pour autant, il demeure clair que rien n’a été entrepris pour la stopper concrètement en France. Un état de fait qui pousse six instances à poser un acte fort : mettre en demeure l’état français de mettre en place les mesures concrètes qui mettront fin aux effets délétères du contrôle au faciès. Eclairage sur les détails de cette action de groupe.

Un pas concret dans la lutte contre le contrôle au faciès

Ce ne sont pas moins de six organisations et non des moindres qui, ce matin même, entament une action concrète et groupée envers l’État français. Human Right Watch, Amnesty International, Open Society Justice Initiative, Reaji (réseau égalité, anti-discrimination et justice), MCDS (Maison Communautaire pour un Développement solidaire) et Pazapas Belleville ont produit conjointement un document de 145 pages comprenant des témoignages de victimes, recensant les manquements de l’état français face à ce problème du contrôle au faciès et rappelant l’obligation d’éradiquer ce phénomène illégal et discriminatoire. Par conséquent, le premier ministre, le ministre de la justice ainsi que celui de l’intérieur ont reçu en date du 27 janvier 2021 une injonction de la part de Me Antoine Lyon-Caen, avocat à la Cour de Cassation et au Conseil d’État, les invitant à traduire sous quatre mois, par des dispositions légales et règlementaires, leur volonté de mettre fin à la discrimination factuelle dont font l’objet trop de citoyens français sur la simple supposition d’une origine étrangère ou de par leur couleur.

« Ces quatre mois permettront au gouvernement de prendre des initiatives concrètes, en se basant notamment sur nos propositions. Nous entendons initier le changement par le droit et utiliser le levier juridique pour impulser une transformation sociale » explique Me Lyon-Caen.              
S’appuyant sur la loi de modernisation de la justice au XXIème siècle votée en 2016 et autorisant l’action groupée, les six organisations entendent utiliser cette disposition habilitant le juge à prendre en dernier recours des mesures correctives, y compris en contraignant le pouvoir exécutif à adopter des réformes systémiques garantissant l’égalité de fait des citoyens.          
« On mesure mal l’impact concret de ces contrôles sur les citoyens non-blancs qui ne peuvent que se considérer comme des citoyens de secondes zones » précise Omar Mas Capitolin du MCDS, « Il peut arriver de se retrouver à passer trois heures au commissariat après un contrôle inopiné, et ce de manière régulière… ».   
Une question cruciale à l’heure où on évoque les séparatismes et le communautarisme, le travail ainsi initié met donc en lumière certaines des raisons profondes du sentiment d’exclusion d’une frange de la population française. « Chez Human Right Watch, nous travaillons sur cette question depuis 2011 et nous l’avons entre autres documentée par le biais de deux rapports dont il ressort que cette discrimination commence dès l’enfance et constitue la première confrontation à une forme de racisme », précise Bénédicte Jeannered. Et malgré la condamnation de l’état français par la Cour de Cassation en 2016 dans le cadre du procès intenté par douze jeunes du XIIème arrondissement pour discrimination, le constat de l’inaction étatique reste clair.  
L’un des nœuds du problème réside dans le fait que les prérogatives de la police en matière de contrôle sont trop grandes. Ils n’ont en effet pas à justifier de la nécessité ni la quantité des contrôles, ne sont pas tenus de fournir un justificatif, même lorsqu’il y a garde à vue. Des pouvoirs étendus qui laissent donc la possibilité à des dérives et entretiennent également les stéréotypes que la pratique alimente. De plus, la quantité de témoignages accumulée par les associations et reproduite dans le rapport traduisent un mécanisme systémique qui rend caduque la considération du phénomène comme isolé.         

Par ailleurs, la tenue du Beauvau de la sécurité, auquel n’ont pas été conviées les organisations et qui n’a pas mis le profilage racial à l’ordre du jour, fait craindre que les mesures qui seront envisagées ne soient qu’un écran de fumée visant à redorer la perception de la police et à en optimiser l’organisation.
« La demande que nous adressons à l’état concerne un ensemble de mesures indivisibles, il ne s’agit pas d’opérer à quelques modifications éparses, mais de s’appuyer sur l’expérience et les constats de terrain pour répondre à toutes les dimensions de la discrimination » précise Me Lyon-Caen.
Un acte fort qui contraindra peut-être pour la première fois un état français toujours réticent à sortir des voeux pieux. « En comparaison à d’autres pays confrontés aux mêmes questions, la France brille par son déni et son refus de mettre en place des mesures. On stigmatise même les associations qui pointent le problème », décrit Lanna Hollo d’Open Society.      
Une situation que ne tolèrent désormais plus les acteurs qui combattent farouchement cette discrimination systémique dont souffrent encore trop de français.

 

Bilguissa DIALLO

 

Pistes de requête des six associations 

  • Modification du Code de procédure pénale pour interdire explicitement la discrimination dans les contrôles d’identité, exclure les contrôles d’identité

administratifs et circonscrire les pouvoirs de la police afin que les contrôles ne puissent être fondés que sur un soupçon objectif et individualisé ;

– Adoption de règlements et d’instructions spécifiques pour les contrôles ciblant les mineurs ;

– Création d’un système d’enregistrement et d’évaluation des données relatives aux contrôles d’identité, et de mise à disposition de toute personne contrôlée d’une preuve de contrôle ;

– Création d’un mécanisme de plainte efficace et indépendant ;

– Ratification du protocole 12 de la Convention européenne des droits de l’homme sur la non-discrimination ;

– Des modifications des objectifs de la police, des instructions et de la formation de la police, notamment en ce qui concerne les interactions avec le public.

 

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Bilguissa Diallo