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Mar / 31

Tribune : Violences sexuelles, le pouvoir des proches

By / Marc Cheb Sun /

Tribune : Violences sexuelles, le pouvoir des proches

En France, une femme sur deux est victime de violences sexuelles. Nos mères, nos sœurs, nos amies, nos filles, nos collègues… Elles sont partout autour de nous. Pour autant, sommes-nous bien armé·es pour les accompagner dans leur reconstruction ?

 

Pourquoi tant de femmes victimes appréhendent le moment de l’annonce à leur entourage de ce qu’elles ont subi ? Le viol, c’est le seul et unique crime pour lequel les victimes se sentent coupables et préfèrent parfois se murer dans le silence.

Alors, vers qui se tourner ? La police ? En 2018, 6 femmes sur 10 faisaient état d’une mauvaise prise en charge par les forces de l’ordre au moment du dépôt de plainte. La justice ? Seuls 1% des viols sont condamnés. Les soignant·es ? La majorité des victimes de violences sexuelles attend 10 ans, en moyenne, pour une prise en charge médicale. Pour les victimes, c’est la double-peine : la violence sexuelle suivie de la violence institutionnelle. La police, la justice et le système de santé sont, à l’image du reste de la société, pétris d’une culture patriarcale. Auxquels on ajoute un manque cruel de moyens qui nuit à la formation des professionnel·les sur ces questions.

Reste l’entourage, donc. Parents, frères, sœurs, ami·es, conjoint·es… Malheureusement, 9 victimes sur 10 connaissent leur agresseur. Le loup se cache quelque part dans la bergerie. Ces agresseurs, ce sont nos pères, nos frères, nos amis… La tentation est grande d’étouffer cette parole soudainement libérée : « Pourquoi te réveilles-tu maintenant ? », « Pourquoi n’as-tu rien dit pendant toutes ces années ? », « Tu as peut-être mal interprété ses gestes », « Tu ne vas quand même pas l’envoyer en prison ! »… Ces phrases régulièrement entendues par les victimes représentent un nouvel « anéantissement », comme le rappelle le juge Edouard Durand, ex co-président de la CIIVISE (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants). Pourtant, des proches mieux informé·es des conséquences des violences sexuelles dans la vie quotidienne des victimes deviendraient de précieux-ses allié·es.

En tant que proches, nous disposons d’un immense pouvoir : celui de devenir acteurs et actrices de la reconstruction des survivantes.

Les violences sexuelles abîment les victimes. Et elles les abîment plus lourdement et durablement lorsque, face à elles, les oreilles se ferment. Rien n’est épargné : anxiété, troubles de l’alimentation, dépression, conduites à risques, risque accrus de maladies… Le stress post-traumatique s’immisce partout, parfois pour toujours, venant empoisonner les victimes et leurs relations avec les autres. Les victimes de viols ont même 4 fois plus de risques de commettre une tentative de suicide que le reste de la population féminine.

En tant que proches, nous disposons d’un immense pouvoir : celui de devenir acteurs et actrices de la reconstruction des survivantes. Aider la victime à se délester de la honte et de la culpabilité, reconnaître son statut de victime en offrant du crédit à sa parole, identifier avec elle les séquelles du stress post-traumatique pour mieux le dépasser, l’inciter à déposer une plainte avant d’atteindre le délai de prescription, l’orienter vers des chemins de reconstruction à travers la thérapie, le sport ou l’art…

Les violences sexuelles représentent un enjeu de santé publique dont il est urgent de nous emparer pour éviter qu’elles ne détruisent davantage des existences. N’attendons plus et prenons ce rôle de proche à cœur.

 

Lisa Serero, militante et autrice de Nos survivantes (Editions Leduc société)

Marc Cheb Sun