Nov / 03
En France, les nouvelles générations militantes ont-elles «oublié» l’antisémitisme ? Alors que la guerre fait rage entre Israël et Gaza, les propos polémiques d’une partie de la France Insoumise sur le Hamas réactivent un débat trop longtemps passé sous silence à gauche : celui d’éventuels biais anti-juifs jusque dans les milieux antiracistes.
Avec en miroir, l’islamophobie endémique au sein de la droite ultra pro-israélienne et même anti-palestinienne… Dans un contexte de récupération politique de toutes parts, décryptage de cet autre «deux poids, deux mesures» qui isole, cette fois, la minorité juive.
Conflit au Proche-Orient, antisémitisme, racismes
Les Juifs de France, grands oubliés du combat antiraciste ?
«Peut-on encore être juif et de gauche ?». C’est la question posée par l’hebdo conservateur Le Point, qui fustige Jean-Luc Mélenchon pour son refus de qualifier de « terroriste » le massacre par le Hamas de 1400 civils juifs israéliens, malgré des voix dissidentes à La France Insoumise. Les députés Alexis Corbière, Clémentine Autain, Raquel Garrido et François Ruffin se sont démarqués. Ruffin rappelait dans Le Monde que le Hamas «n’était pas un mouvement de résistance mais une organisation fanatique, hostile à tout compromis de paix», position officiellement adoptée par Les Écologistes (ex EELV), le PCF et le PS. Un sacré dilemme ici en France pour la gauche de la gauche ! À savoir, la place accordée à la lutte contre l’antisémitisme dans les mouvements progressistes et antiracistes qui, en miroir, sont les premiers à condamner – et à raison ! – les crimes de guerre de l’État hébreu, les terribles bombardements sur Gaza, la politique qualifiée d’apartheid en Cisjordanie. Pour autant, force est de constater que les nombreux hommes, femmes, enfants, personnes âgées, suppliciés lors du pogrom du 7 octobre, «n’ont pas été tués par haine du pompier pyromane Benyamin Nétanyahou, mais par haine des Juifs et de toute la société israélienne !», interpelle le journaliste de Libération, Jonathan Bouchet-Petersen. Et pour cause : face à la violente politique coloniale de déni des droits des Palestiniens conduite par Tel-Aviv, le but de l’organisation islamiste, réaffirmé par le chef du Hamas depuis le Qatar, n’en reste pas moins radical : «la fin de toute présence juive dans la région».
Des manifs pro-palestiniennes interdites
En l’absence d’issue politique pour Israël, né des cendres de la Shoah et gangréné par l’extrême-droite, et pour la Palestine, terre opprimée depuis 1948 toujours dépourvue d’État, ce conflit sans fin divise le monde. «Les discours clivés de certains députés et militants anti-racistes ne peuvent que réactiver ce débat déjà ancien en France : celui du développement d’un possible antisémitisme à gauche. Sans doute par une identification aux Palestiniens, elle-même exacerbée par les dérives de l’État d’Israël sous la conduite de Benyamin Nétanyahou. De quoi induire un déni ou une minimisation des atrocités criminelles et terroristes commises par le Hamas», analyse le sociologue Michel Wieviorka.
Depuis ces attaques sanglantes du 7 octobre, plus de 800 actes judéophobes ont été recensés en France. Force est de constater qu’au-delà des critiques possibles et nécessaires de la politique d’Israël «qui n’ont pas en tant que telles à être taxées d’antisémites, comme le rappelle le sociologue, la coloration antijuive de certaines manifestations pro-palestiniens par exemple, avec parfois des appels clairs à la destruction de l’État hébreu ou à la mort des Juifs, se révèlent singulièrement préoccupante».
Des expressions haineuses assez symptomatiques de cet antisionisme radical, bien qu’elles restent, pour les pires d’entre elles, plutôt à la marge de ces manifestations. Tout comme lors des très cadrés rassemblements pro-Israël quoique marqués par la présence du violent groupuscule d’extrême-droite, la Ligue de Défense Juive. Pas de quoi justifier, en tout cas, l’interdiction par le gouvernement de la moindre manifestation de soutien à la Palestine !
Une décision inéquitable, injuste, dévastatrice pour la liberté d’expression, fort heureusement invalidée depuis par le Conseil d’État laissant le soin aux préfectures de procéder au cas par cas à d’éventuelles interdictions… Un deux poids deux mesures qui n’en reflète pas moins l’appui traditionnel de la majorité présidentielle et d’une large frange de la droite française à Israël, et ce, bien avant l’ignominie du 7 octobre, pire attaque commise contre l’État hébreu depuis sa création.
Des amalgames de toutes parts
Face à un tel cycle de violences, comment ne pas prévoir l’ampleur des répercussions de ce conflit en France nourrissant plus encore l’islamophobie et, en particulier, les violences antisémites ? D’autant que dans l’Hexagone, depuis les années 2000, seconde Intifada oblige, les Juifs subissent pleinement les conséquences de la guerre au Proche-Orient, à l’aune des nombreuses agressions, insultes, attaques, en progression constante et fulgurante (1) en l’espace d’une vingtaine d’années. De quoi dégrader toujours plus leurs conditions de vie, dans un contexte d’amalgames de toutes parts. D’abord entre Israël et la communauté juive française qui n’a pas à être assimilée – sur fond d’antisionisme dit radical – aux crimes de guerre commis par Tel-Aviv ! Mais aussi au regard du rejet, à droite, de tout soutien à la cause palestinienne sur fond d’islamophobie et d’agitation contre «l’islamo-gauchisme». Un climat délétère renforcé par les attentats islamistes des dernières années.
Alors comment sortir de cette spirale infernale ? Et poser enfin les bons mots sur cet engrenage à l’œuvre ici-même depuis des décennies. Crispations autour de la mémoire de la guerre d’Algérie après 130 ans d’un colonialisme français des plus brutaux, racisme anti-maghrébin toujours endémique trente ans après la Marche pour l’égalité de 1983 -comme l’illustre entre autres l’affaire Nahel- islamophobie croissante en France et en Europe régulièrement dénoncée par des ONG comme Amnesty International… Oui, le conflit israélo-palestinien – et son caractère, rappelons-le, si asymétrique ! – fait plus que jamais écho, pour nombre de Français musulmans, aux multiples injustices et discriminations à leur encontre. Signe d’un attachement identitaire à la question palestinienne, au cœur également des mobilisations portées par les mouvements antiracistes et anti-colonialistes. Sans pour autant dériver vers un antisémitisme.
Mais alors, qu’en est-il de la sempiternelle question juive ? Ou plutôt de la «question antisémite» si pesante dans la France du XXIème siècle, comme le démontre avec justesse la rabbine Delphine Horvilleur dans son livre éponyme (2) ? Cette «bête immonde» dont les victimes de l’Holocauste avaient déjà cherché à s’affranchir, il y a soixante-quinze ans, à travers le… sionisme. Pour le meilleur et surtout pour le pire. Le pire pour le peuple palestinien, mais aussi pour ces civils israéliens tués ou pris en otage par le Hamas islamiste. Sans oublier les minorités juives de l’ensemble du monde musulman, autres victimes collatérales de ce si vieux conflit, contraintes à l’exil, victimes d’expulsions, expropriations, pogroms, en Égypte, Irak, Libye, au Maroc…, et aujourd’hui encore d’un antisémitisme d’État et d’attentats. À l’instar de celui contre la synagogue de Djerba, en mai dernier, troisième attaque islamiste contre ce lieu de culte en quelques décennies. Autant de faits trop souvent ignorés, force est de le constater, par les gauches militantes.
Chantage à l’antisémitisme ?
‘Des Blancs comme les autres ? Les Juifs, angle mort de l’antiracisme’. Dans son livre au titre évocateur (Stock, 2022), Illana Weizman, activiste franco-israélienne, féministe, aux antipodes de la droitisation que connaît la communauté juive (voir encadré en fin de texte) n’en dénonce pas moins cet autre deux poids deux mesures à gauche. Et à l’encontre des Français juifs eux-mêmes. «Avec des silences grandissants, voire la négation totale, également dans l’Hexagone, du caractère antisémite de certains actes», déplore-t-elle. Comme lors du rassemblement antiraciste du 13 juin 2020, à l’appel du comité La vérité pour Adama, où retentissent des «Sales Juifs» et autres slogans clairement hostiles, fortement dénoncés par Assa Traoré, mais guère par le député LFI Éric Coquerel qui déclara alors : «On nous invente l’antisémitisme, ce n’est pas bien de faire ça». Voilà donc ce fameux «chantage à l’antisémitisme» tant dénoncé par une partie de La France Insoumise et, il est vrai, largement utilisé par la droite pour discréditer ce parti et, par extension, son engagement pour la Palestine.
Pour autant, cette posture peut-elle se justifier, même en cas de propos antisémites avérés ou autres messages douteux qui pullulent sur les réseaux sociaux sans n’avoir aucun rapport avec le Proche-Orient ? Comme celui de l’été dernier posté par le rappeur Médine – dont le jeu de mots « ResKHANpée » a défrayé la chronique – à l’encontre de l’essayiste, petite-fille de déportés, Rachel Khan, aussi conservatrice soit-elle. Une véritable cabale – aux relents racistes et islamophobes – est alors orchestrée par la droite et Renaissance contre l’artiste militant, qui s’était, rappelons-le, distingué en 2004 pour son superbe morceau ‘Enfant du destin (David)’ parlant d’un Juif israélien tué dans un attentat. Le rappeur finit tout de même par présenter des excuses publiques tant pour son tweet que pour ses quenelles popularisées par Dieudonné.
Diviser pour mieux régner
Pour Illana Weizman, «il reste regrettable que les accusations d’antisémitisme soient in fine perçues par la gauche antiraciste, uniquement comme des manipulations politiques à leur encontre. Résultat : elles ne sont dénoncées que pour leur instrumentalisation, certes bien réelle, par les conservateurs. Mais guère pour ce qu’elles sont aussi potentiellement : du racisme envers les Juifs». On l’aura compris, dans un contexte où le combat antiraciste revient toujours plus sur le devant de la scène, montée de l’extrême droite oblige, la lutte contre l’antisémitisme semble, elle, être restée en marge. Résultat : c’est la droite voire l’ultra-droite, vecteurs historiques de cette si vieille haine, qui osent se présenter aujourd’hui comme les chantres de la «défense» des Juifs contre l’islamisme, voire pire encore, contre l’islam tout court. Avec des partis politiques conservateurs toujours plus enclins à fermer les yeux, ou presque, sur les violences contre les Palestiniens des gouvernements israéliens successifs, même les plus suprémacistes, tout comme sur les discriminations subies par les minorités post-coloniales en France.
Quitte à jouer plus encore le diviser pour mieux régner entre les deux communautés dans un pays où, il faut bien le reconnaître, «la lutte contre l’antisémitisme semble jouir, encore, d’une plus grande reconnaissance de la part des pouvoirs publics que le racisme anti-noir ou anti-maghrébin alimentant ainsi la concurrence victimaire», constate Illana Weizman. Même si plusieurs activistes de gauche, comme Rokhaya Diallo, cherchent à sortir de cet écueil en valorisant par exemple les fronts communs entre oppressions antisémites et négrophobes, notamment dans l’histoire américaine contemporaine (3). D’autres, toujours à gauche, s’activent depuis des années pour recréer du lien, tels les universitaires Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias. Ou encore le média musulman Saphir News qui consacre à l’antisémitisme plusieurs publications.
Pour autant, faut-il se satisfaire d’une lutte contre l’antisémitisme relevant désormais quasi-exclusivement en France du seul «combat» réactionnaire ou de partis centristes ? Comme en témoignent les manifestations contre ce fléau où les responsables politiques de droite brillent souvent par leur présence et les mouvements antiracistes par leur absence… (4). De quoi ainsi alimenter cette croyance ancestrale, et clairement antisémite, «des Juifs qui seraient protégés, privilégiés, proches du pouvoir en place, des médias…», dénonce l’autrice. Et celle-ci de s’opposer à une autre idée reçue : «À savoir, que l’antisémitisme en France relèverait finalement du passé, avec des Juifs qui ne seraient, depuis le nazisme, plus victimes d’oppression, voire même devenus désormais des ‘super-blancs’.
Or, cette représentation est complètement fausse ! Qu’il s’agisse d’un antisémitisme de tradition chrétienne ou conservatrice à droite, ou d’une hostilité plus implicite liée à la critique d’Israël ou des ‘élites capitalistes’ associées aux Juifs, à gauche, l’un comme l’autre n’ont guère disparu avec la Shoah.». Avec cette mécanique à l’œuvre à chaque grande crise ou bouleversement : la résurgence des stéréotypes ancestraux sur les Juifs, riches, dominateurs, malfaisants…
Un antisémitisme réactivé bien au-delà de l’actualité Proche-Orientale même si elle en constitue l’un des vecteurs. Comme par exemple, lorsque le co-fondateur d’Act Up, Didier Lestrade ou la militante Sihame Assbague, proche du Parti des Indigènes de la République, évoquent tour à tour en 2017 les «affinités sionistes» des défenseurs du producteur juif américain Harvey Weinstein, condamné pour viols. Mais aussi en 2018, lors du mouvement social des Gilets Jaunes, aux accents volontiers antisystème dérivant parfois en propos antisémites : des banderoles du type Macron=Drahi=Attali=Banques= Médias= Sion ou des tags plus explicites comme Macron, pute à Juifs. Et enfin, lors du Covid-19 et son lot de manifestations antivax avec ces pancartes : Qui ?, tel un code pour accuser la minorité juive d’avoir fomenté le virus. Depuis quelques mois, ce sont des tracts d’extrême-droite adressés à ‘l’homme blanc’ qui sont distribués partout en France (Jura, Côte d’Or, Finistère…) dans les boîtes aux lettres. Le message véhiculé ? Celui des ‘Juifs responsables de détruire la France par l’immigration, la promotion de la dégénérescence pédo-LGBT et la guerre’.
Propos confusionnistes
Autant d’épisodes récents qui doivent rappeler, surtout à gauche, à quel point «l’antisémitisme reste encore très ancré, véritablement inscrit dans l’inconscient collectif, alerte Illana Weizman. Au mieux, il est latent, au pire, il est manifeste, mais il est toujours présent». Dans le monde politique -on le constate bien sûr à l’extrême-droite – de Soral et Dieudonné à Civitas et le RN (5), mais à droite en général, de manière structurelle et historique. Avec aujourd’hui encore, des tentatives de réhabilitation par certains députés d’auteurs antisémites, et jusqu’au maréchal Pétain lui-même (6). Ou encore les écrits du ministre Gérald Darmanin dans son livre Le séparatisme islamiste – Manifeste pour la laïcité, où il loue la politique de Napoléon envers les Juifs de France « qui pratiquaient l’usure et faisaient naître troubles et réclamations ». Le même ministre qui a «instrumentalisé de manière odieuse la lutte nécessaire contre l’antisémitisme», dénonce le socialiste Olivier Faure, réagissant aux propos tenus mi-octobre par Damarnin face à la communauté juive de Créteil : «La haine du juif et la haine du flic se rejoignent». Décidément très vivace, ce diviser pour mieux régner à droite, pour disqualifier la gauche, et ses positions sur les violences policières, quitte à alimenter là encore les pires fantasmes anti-juifs par ailleurs également répandus au sein de la police française (7).
On retrouve un processus identique, on l’aura compris, à la gauche de la gauche de l’échiquier politique : au-delà des biais antisémites insidieux, des propos de certains leaders relèvent parfois de l’antisémitisme pur et simple. Comme lorsque Jean-Luc Mélenchon évoque en 2022 la religion juive d’Éric Zemmour pour expliquer son extrémisme : «Il reproduit beaucoup de scénarios culturels (…), des traditions liées au judaïsme», avait-il cru bon d’avancer. Ou encore quand un militant de la CGT qui croise le polémiste d’extrême-droite dans un train cet été, lui demande, plaisantin, «si celui-ci n’allait pas à Auschwitz». Tellement drôle que ces propos – des plus offensants pour les victimes de la Shoah – suscitèrent même l’hilarité sur X (ex-Twitter) de Sophie Binet, présidente de la confédération… Avant qu’elle ne fasse son mea culpa à la télé.
Antisémitisme pernicieux
Complotisme, islamisme, négationnisme, antisionisme radical… C’est dire si le malaise est toujours réel pour les membres de la minorité juive qui cristallisent la haine d’autant de courants extrémistes. Face à un tel climat hostile, alimenté de toutes parts, Illana Weizman rappelle ainsi une évidence à l’endroit des militants de gauche : «Ce n’est pas parce que la police ne frappe pas les Juifs dans la rue que l’antisémitisme n’est pas endémique en France ! Comme les autres racismes, il fait système : du cliché sur des traits physiques ou moraux dégradants, à l’insulte, jusqu’aux agressions et même des meurtres (8) il y a un continuum. Racisés, les Juifs ne sont finalement guère ‘blancs’ au sens sociologique du terme quoiqu’en pensent certains». Un processus de racialisation, de stigmatisation au quotidien, et donc à bas bruit, pernicieux, que l’autrice narre avec émotion dans son livre à travers son vécu personnel. À l’image des commentaires contre son nom de jeune fille, Attali : «Comme le magnat du fric Jacques ! Pourquoi t’es dans une école publique, il y a des écoles pour les Juifs ?», lui sort-on par exemple au collège. Une expérience semblable que raconte également l’autrice Chloé Korman dans son livre Tu ressembles à une juive (Seuil, 2020). Au quotidien, l’antisémitisme se caractérise d’abord par « des petits stéréotypes, des petits préjugés, des micro-agressions », note Illana Weizman, sans oublier les véritables agressions que nombre de Juifs subissent, plus encore, depuis la dernière guerre à Gaza et en Israël. Pour l’intéressée, c’était il y a bien longtemps déjà, à 17 ans, dans le RER A : deux hommes l’insultent et se jettent sur elle pour lui retirer l’étoile de David pendue à son cou.
Si l’autrice se dit résignée, surtout face à ces heures terribles au Proche-Orient, et ne voit guère émerger dans un avenir proche une « société post-antisémite », elle poursuit néanmoins la lutte au quotidien pour informer au maximum. «Car, les Juifs et Juives vivent des expériences compliquées et nous, les progressistes avons besoin d’alliés à gauche. Avec des militants qui soient plus sensibilisés, inclusifs, en capacité de comprendre l’antisémitisme, comment il fonctionne, telle une rumeur, un récit opérant dans toutes les sphères de la société». Une convergence des combats avec les autres minorités qu’elle appelle de ses vœux «pour une approche enfin globale des différentes formes de racismes et de leurs mécanismes dans cette société française si divisée par les extrêmes, et toujours plus par ce conflit israélo-palestinien repliant chaque communauté sur elle-même». Car à la clé l’enjeu est de taille : avant d’espérer revoir enfin un dialogue là-bas, encore faudrait-il déjà l’ouvrir ici, loin de toutes ces récupérations politiques mettant à mal notre vivre ensemble.
Charles Cohen
Grande image en tête : Darnel Lindor
Autres photos : copyright Getty Images.
Les colleuses juives de Marseille
L’antisémitisme, c’est partout, tout le temps, ouvrez les yeux !’, ‘Vrai.e antifa s’éduque et lutte contre l’antisémitisme’, ‘ Juif ≠ colon, musulman ≠ terroriste’… Autant de messages écrits en énormes lettres noires qui parent depuis plusieurs mois les rues du centre-ville de Marseille. À l’origine de ces slogans militants : des jeunes femmes juives «puissantes, combattantes, insolentes» comme elles le revendiquent, longtemps aguerries aux collages nocturnes des groupes féministes mais qui font le choix, depuis 2021, d’étendre leur lutte vers une autre oppression à leur encontre, la haine des Juifs. C’est pour faire face à un racisme toujours plus virulent dans la société que de plus en plus de groupes intersectionnels juifs antiracistes – à rebours de cette droitisation de la communauté – s’organisent pour lutter contre toutes les discriminations. L’islamophobie entre autres, et bien sûr, l’antisémitisme sous toutes ses formes. À l’image de ces militantes de la cité phocéenne qui veillent à poster des photos de leurs messages sur leur compte Instagram Collages Féministes Juif-ves Marseille, suivi par environ 4000 personnes. À l’instar aussi du RAAR (Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes), créé le 21 janvier 2021, en mémoire du meurtre d’Ilan Halimi, séquestré́, torturé et tué parce que juif, quinze ans plus tôt, «date qui représente la résurgence des meurtres antisémites en France», comme le rappelle le collectif, figure de proue de ce nouveau militantisme. De quoi illustrer une colère montante chez nombre de Juifs de gauche et un sentiment d’avoir été abandonnés durant les dernières décennies par les mouvements progressistes.
C.C.