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Oct / 15

Juifs et Noirs américains : une lutte commune contre le racisme

By / Charles Cohen /

Deux communautés historiquement stigmatisées qui ont su s’unir pour le droit à l’égalité. Cette histoire méconnue des Juifs et des Noirs outre-Atlantique, face à une Amérique du XXe siècle, ségrégationniste et conservatrice, est au cœur du documentaire Destins croisés, solidarités entre juifs et Noirs aux Etats-Unis, réalisé par Rokhaya Diallo et David Rybojad et diffusé sur la chaîne Toute L’Histoire*. Focus.

Juifs et Noirs américains : une lutte commune contre le racisme

«L’amitié est un véritable moteur. Elle peut aider à rapprocher deux communautés a priori si différentes mais animées par la même expérience du racisme ». Dans le documentaire Destins croisés, solidarités entre Juifs et Noirs aux Etats-Unis co-réalisé avec Rokhaya Diallo, c’est donc cette capacité qu’ont les opprimés à s’allier, et plus encore, s’aimer, que les documentaristes ont voulu narrer avec force. A l’aune, donc, des liens très intenses ayant uni, outre-Atlantique, ces deux communautés au XXème siècle, face aux grands drames qui les frappent alors. Une histoire méconnue en France – « et dont la mémoire se perd peu à peu aux Etats-Unis » – ainsi contée à travers un prisme : celui « des relations interpersonnelles, facteur de solidarité et d’empathie mutuelle ». De la fondation de la National Association for the Advancement of Colored People en 1909 jusqu’à l’obtention des droits civiques et l’assassinat de Martin Luther King, en 1968, ce documentaire nous plonge donc dans le parcours de figures noires et juives « qui se sont unies pour lutter ensemble pour un changement de société, énonce Lantira M. Berger, professeure d’histoire de l’art et d’études africaines américaines, et donc, à la fois contre le racisme et l’antisémitisme ». Deux oppressions qui sont « les deux faces d’une même pièce », analysait alors W. E. B. Du Bois (1868-1963), sociologue et premier Afro-Américain à obtenir un doctorat à Harvard. On découvre ainsi l’histoire de ce philanthrope juif américain, Julius Rosenwald, qui a construit, avec l’enseignant Booker T. Washington, au début du XXe siècle, pas moins de 5300 écoles pour les enfants noirs du sud des Etats-Unis ségrégationniste. « En effet, les discriminations et lynchages qui visaient alors les Noirs, étaient insupportables pour nombre de personnes juives, qui venaient d’endroits en Europe et ailleurs où elles avaient déjà connu l’oppression et les pogroms », commente dans le documentaire Susan Neiman, directrice du Einstein Forum. Une stigmatisation qui n’a d’ailleurs jamais épargné la minorité juive américaine dont le destin fragile dans le pays de l’Oncle Sam reste celui d’un incessant passage de part et d’autre de « la ligne de couleur ». En atteste le lynchage en 1915, en Georgie, de Léo Frank, directeur d’usine juif américain, accusé, du viol et du meurtre d’une adolescente de 13 ans, sur fond d’une violente campagne antisémite. « En tant que minorité, les Juifs, savaient qu’ils devaient aider les Noirs, car sinon, ils seraient les prochains », raconte ainsi dans le film l’historien Bob Zellner, qui a perdu l’usage partiel d’un de ses yeux lors des « Freedom Riders ». Ces « voyages de la liberté », en bus, où des étudiants noirs et blancs (dont de nombreux juifs) venus de Washington, traversaient ensemble, durant les années 1960, tout le Sud ségrégationniste encore adepte des lois Jim Crow, malgré un arrêt de la Cour suprême rendant illégale la ségrégation dans les transports en commun.

« Ce film parle aussi de nous, de la France, et de ce que l’on pourrait faire ensemble... »

C’est aussi lors de ce mouvement des droits civiques porté par Martin Luther King avec l’appui de « son ami, le rabbin Abraham Heschel avec qui il partageait la même parole prophétique », raconte David Rybojad, qu’eurent lieu les meurtres des « Freedom Summer ». Le triple assassinat de trois jeunes étudiants activistes, deux Juifs et un Noir, par le Ku Klux Klan, lors de cette action militante pour enregistrer les Afro-Américains du Mississippi sur les listes électorales… « Cela étant, à travers ce film, nous avons aussi voulu montrer que l’aide était des deux côtés, lance David Rybojad, tant ils furent nombreux, au sein de ces deux communautés, à  avoir compris que la lutte contre la ségrégation comme le nazisme – qui s’était imposé en Europe vingt ans plus tôt, en s’inspirant des lois raciales américaines – relevait d’un combat contre le même mal ».

« Freedom Riders » © Getty Images

Ainsi, dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne, en 1933, les publications afro-américaines documentèrent régulièrement les persécutions anti-juives. « Non seulement, la presse noire a réagi bien plus vite et bien plus tôt que la presse blanche », comme le rappelle David Rybojad, mais les HBCUs (Universités historiquement noires, d’abord créées au sud des Etats-Unis) sauvèrent une cinquantaine de professeurs juifs allemands en leur offrant un poste afin d’obtenir un visa d’émigration. Ce que refusèrent alors les autres universités américaines qui opposèrent jusque dans les années 1950 de nombreuses restrictions pour l’inscriptions d’étudiants juifs. Loin de vouloir idéaliser les relations, complexes, ambivalentes et même parfois tendues qu’entretiennent aujourd’hui ces deux minorités aux Etats-Unis, les deux réalisateurs entendent pour autant « semer des graines, nourrir certains espoirs. Tant ce film parle aussi de nous, de la France, et de ce que l’on pourrait faire ensemble…». 

 

Charles Cohen

 

*Documentaire rediffusé sur la chaîne Toute L’Histoire le 11/6 à 18h50, le 13/6 à 15h10 et le 15/6 à 13h20.

(Illutrations © Getty Images / Photo de Une © C. Del Vecchio/The Washington Post/Getty Images)

Charles Cohen