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Fév / 24

«Les Juifs se sentent pris en tenaille»

By / akim /

«Les Juifs se sentent pris en tenaille»

La main du diable, écrit à quatre mains par Judith Cohen Solal et Jonathan Hayoun, respectivement psychanalyste et ex-président de l’Union des Etudiants Juifs de France, explore les stratégies de séduction de l’extrême droite française envers la communauté juive à travers l’histoire. Un livre attendu et nécessaire à mettre entre toutes les mains. Rencontre.

Comment vous en êtes venus à choisir ce thème ?

 

J.H. : Lors des deux dernières élections, on a beaucoup évoqué la thématique de la tentation du vote FN chez les Juifs. En parallèle, le Front National menait une sorte d’OPA envers la communauté, se présentant comme rempart face à l’antisémitisme supposé de tous les musulmans. Tout ça nous a semblé assez surréaliste et nous a motivé à chercher à décrypter ensemble ce phénomène.

J.C.S : Les récentes attaques contre les Juifs ont produit un sentiment d’impuissance qui nous a interrogé sur nos «alliés» : vers qui pouvons-nous nous retourner?

Il était intéressant de creuser les raisons de ces tentatives de rapprochement, ce qu’elles cachent et ce que cela produit au sein de la communauté juive. On voulait aussi aller voir à travers l’histoire ce qui s’était passé.

 

Comment expliquez-vous cette volonté du FN de séduire la communauté juive, sans pour autant se désolidariser de l’historique de haine lié à ce parti ?

 

J.H. : L’électorat juif ne représente pas un nombre de voix suffisant pour que ça puisse être le seul moteur. L’enjeu c’est plutôt la normalisation du FN en tant que parti fréquentable. 
Bruno Gollnisch l’exprimait d’ailleurs en ces termes : «Fait-on 15% de voix grâce aux saillies de Jean-Marie Le Pen, ou ne fait-on que 15% à cause de cela ?»

J.C.S : Leur réputation antisémite leur porte préjudice auprès d’un nombre de gens qui va bien au-delà de la communauté juive. Il n’est plus acceptable aujourd’hui de se dire antisémite. Ce fut le cas avant, au XIXème siècle, on pense à l’affaire Dreyfus, où l’on pouvait aisément le clamer. Aujourd’hui on ne peut plus, et du coup ils veulent s’acheter une sorte de virginité, sans pour autant perdre l’électorat de l’extrême droite qui très souvent le demeure.

 

Au fil des pages, on constate la dualité des réactions à cette tentative de séduction, dans la communauté juive et au sein du FN.

 

J.H. : Cette ambivalence n’est pas nouvelle. Au cœur du FN, mettre une façade présentable pour cacher le fond des idées a fait partie de leur démarche dès le début. Etonnement, Jean-Marie le Pen a fait figure d’homme présentable par rapport aux vrais initiateurs du parti -tels que François Duprat notamment. Il n’avait pas un pédigrée entaché de faits (perçus comme) aussi graves que des attentats ou autres. (pour les standards de l’époque).

J.C.S : Les instances juives locales qui font face aux mairies FN ne sont pas complaisantes, elles n’ont pas d’accointance particulière avec eux, mais elles doivent se confronter À elles pour défendre les intérêts de la communauté. Elles se montrent (juste) pragmatiques.

J.H. : L’enjeu principal est surtout de protéger les carrés confessionnels dans les cimetières qui sont tolérés par les mairies, mais qui pourraient être menacés par une interprétation littérale de la laïcité. Le souci accordé au respect des morts, donc du sort des «juifs d’hier», dirige l’action des dirigeants des communautés juives locales en terres FN.

 

Vous êtes allés à la rencontre des communautés juives locales vivant dans des villes administrées par le FN, vous avez aussi rencontré les élus en question, qu’est-ce qui vous a surpris ou qui a confirmé des intuitions que vous aviez

 

J.H. : Nous avons été surpris de constater la combativité des opposants locaux, comme Jean-Jacques Zenou à Marseille. Ils se dressent contre le FN depuis des décennies, c’est admirable. Par ailleurs, quand on visite les villes frontistes, on constate un climat de terreur tangible. Les gens parlent en regardant qui est présent, ils se sentent épiés. Ces mairies ont la possibilité de faire fermer des commerces, et elles usent de leur pouvoir de nuisance.

J.C.S : On sent dans ce parti qu’il n’y a aucune contradiction possible. Ils tentent de séduire, notamment en renvoyant dos à dos juifs et musulmans. Mais dès qu’on émet la moindre contradiction, le débat se fige. Ils ont certainement un antisémitisme ancestral, mais on constate que l’ennemi actuel est islamiste voire musulman. Et au final, dans ce parti, il est clair qu’on considère les minorités comme des corps étrangers, tolérés et pas plus.

 

Votre avis sur l’impact des thèses d’extrême droite dans la société française ?

 

J.H. : Il y a un travail de fond mené depuis très longtemps dans la fachosphère. Il a juste été mis en sourdine après la Shoah, mais ce temps s’éloignant, la parole se libère. La permanence de l’antisémitisme est surprenante et constante.

J.C.S : Il y a également une sorte de porosité entre les milieux d’extrême droite et d’extrême gauche. C’est le cas depuis le 19ème siècle au fond, on l’a juste oublié. Les gens sont partagés entre la peur physique de l’agression quotidienne qui a plutôt cours en banlieue, et la banalisation des thèses d’extrême droite et de leur exercice du pouvoir lorsqu’ils y sont. Les gens se sentent pris en tenaille parce que les attaques ont réellement lieu de part et d’autre.

 

Comment vous voyez les choses pour l’avenir ?


J.H : Le premier bilan est de dire qu’il est rassurant de voir que les gens ne sont pas dupes, malgré une opération de séduction très ambitieuse de la part de Marine Le Pen qui est allée jusqu’à exclure son père, ça n’a pas marché. Par contre, les passerelles entre l’extrême droite et l’ultra droite comme l’action française, le GUD ou le Bloc Identitaire ne cesse d’alimenter un climat nauséabond dans les faits.

J.C.S : Je suis dubitative pour ma part, on doit rester vigilant. La situation est tout de même plutôt inquiétante pour les Juifs de France.

 

Propos recueillis par Bilguissa Diallo

La main du Diable – Comment l’extrême droite à voulu séduire les Juifs de France

Judith Cohen-Solal / Jonathan Hayoun –  Ed Grasset

Categories : Juifs de France
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