Mai / 13
Reportage à Marseille pour l’arrivée de la flamme olympique qui a marqué le début des célébrations des Jeux sur le territoire français. Si l’ambiance générale était à la fête en ce 8 mai, d’autres signaux prouvent le chemin à parcourir avant de voir jaillir une France multiculturelle véritablement unie et fière de l’être. Loin de toutes crispations identitaires et autres inégalités.
À Marseille, entre flamme et flemme olympique
Il est tout juste 10h sur le Vieux-Port quand quelques privilégiés préparent leurs voiliers pour une sortie en mer pas comme les autres. Arrivé le matin même dans la baie de Marseille, le Belem, ce célèbre trois-mâts à coque en acier – un des plus anciens en Europe – les attend dans la rade de la cité phocéenne pour une parade maritime d’exception. Le temps de remonter le premier tiers de la corniche en passant par la plage des Catalans où volleyeuses et volleyeurs ne changent rien à leurs habitudes, nous voici au pied de la Porte de l’Orient. Des centaines de spectateurs affluent sous le regard bienveillant des bénévoles de la ville, fiers d’accueillir la flamme olympique. Au même moment, alors que c’est déjà l’heure du déjeuner, des premières crispations apparaissent en terrasse. Des petits malins ont trouvé bon de s’installer à une table avec vue, pensant qu’un café sans sucres suffirait. Bien décidés à faire des marges importantes en ce 8 mai, certains patrons n’hésitent pas à montrer les muscles, gonflant leurs menus à 40 euros. Passons. Juste le temps de se positionner que le Belem jaillit enfin dans la baie, escorté par pas moins de 1024 embarcations qui font raisonner les sirènes et les klaxons. Le spectacle peut commencer.
Le Belem, escorté par pas moins de 1024 embarcations, sous les yeux des Marseillais. © F.Dacheux
Pendant que des animations sportives (handi basket, breakdance, foot freestyle, …) occupent petits et grands sur le Vieux-Port, l’ambiance est beaucoup moins festive un peu plus haut sur la Cannebière. Des membres de la coordination anti-JO s’étaient en effet donnés rendez-vous en début d’après-midi pour scander avec ferveur leur « flemme olympique ». Réunis le long d’un parcours soigneusement fléché par le ministère de l’Intérieur pour éloigner cette fronde des télés du monde entier, un millier de personnes ont manifesté des Réformés à la Porte d’Aix pour faire entendre leur opposition aux Jeux Olympiques. Tour à tour, ces derniers ont dénoncé les dérives du sport business, de « l’exploitation des travailleurs sans papiers » au « greenwashing à la gloire de multinationales climaticides ». Tout comme les millions d’euro dépensés pour la Marina, le nouveau stade nautique du 8e arrondissement de Marseille où se tiendront les épreuves de voile, à contrario de bon nombre d’équipements publics laissés à l’abandon, dans le centre-ville comme dans les quartiers Nord, sans parler de ces logements loués à des prix exorbitants, à l’instar du quartier du Panier. D’autres s’inquiètent des mesures de surveillance policières, en particulier la vidéosurveillance algorithmique autorisée par la loi olympique de mai 2023. A leurs côtés, des militants en soutien à la Palestine ont appelé à l’exclusion des équipes sportives israéliennes, comme l’avait été le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud (ndlr : Jeux Olympiques de Tokyo, 1964). En commémorant les massacres du 8 mai 1945 en Algérie, ils ont appelé au droit à l’autodétermination des Palestiniens comme de tous les peuples.
Une manifestation anti-JO, dite « flemme olympique », a eu lieu des Réformés à la Porte d’Aix. © F.Dacheux
Après plusieurs contrôles d’accès, retour au Vieux-Port qui s’est progressivement rempli. Des dizaines de milliers de personnes sont d’ores et déjà présentes, à un peu plus d’une heure de l’entrée du Belem dans la ville. L’impatience grimpe. La préfecture annonce près de 150 000 personnes. Sur le podium de célébration, se succèdent les anciennes gloires de l’Olympique de Marseille, à commencer par Basile Boli. L’ancien défenseur, auteur du célèbre but vainqueur en 1993 face au grand Milan, entonne un chant bien connu des supporters. En zone mixte, Marie-José Pérec s’arrête devant les caméras, confiant tout le bien qu’elle pense des Jeux en termes de vivre ensemble. « Ce sera plus grand que tout ce que j’ai vécu », s’enthousiasme la triple championne olympique d’athlétisme. Groupe de supporters incontournable du Stade Vélodrome, les South Winners préparent de leurs côtés un immense tifo sur les monuments à l’entrée du Vieux-Port pour « rendre hommage à l’histoire et à l’origine grecque de Marseille ».
C’est finalement sur les coups de 19h30 que le Belem pénètre enfin dans le Vieux-Port, cette calanque du Lacydon où les Grecs fondèrent Massalia, il y a 2600 ans. Survolé par la Patrouille de France, il jette l’ancre à l’issue d’un show pyrotechnique qui restera en mémoire des familles de plus en plus serrées les unes contre les autres. Après quelques pas sur un ponton flottant en forme de piste d’athlétisme, le nageur marseillais Florent Manaudou passe le premier relais à la championne paralympique d’athlétisme Nantenin Keita, la fille du célèbre musicien malien Salif Keita. Ce mercredi 8 mai marquait également la fin de l’odyssée des éclaireurs du Belem. Sélectionnés à l’issue de plusieurs stages de navigation orchestrés par la Fondation Belem Caisse d’Epargne, ces 16 étudiants, âgés de 16 à 24 ans, ont escorté la flamme olympique du Pirée (Grèce) jusqu’aux côtes françaises. Enfant des quartiers Nord, Yassine n’en revenait pas : « Notre arrivée sur le Vieux-Port, c’était l’apothéose de toute la traversée, la dernière partie de notre rêve. Au-delà de ce que j’ai appris en tant que matelot, cela m’a permis de décompresser, de souffler, d’avoir un sentiment de liberté. Je réalise que beaucoup de jeunes auraient rêvé d’être à ma place. Cela m’a permis aussi de savoir ce que je veux faire. Je veux découvrir le monde et travailler dans la communication. » Il ne manquait plus que l’arrivée surprise de Jul pour embraser une foule de plus en plus imposante. Qu’on aime ou non son style musical, le rappeur le plus écouté de France a allumé le chaudron en qualité de troisième relayeur, se délectant de son fameux signe des deux mains, scandant « merci la zone ». Car, n’en déplaise à ses détracteurs du lendemain sur les réseaux sociaux et autres médias, Marseille reste avant tout une ville populaire et Jul, originaire du quartier de Saint-Jean-du-Désert, fait aujourd’hui partie de ses symboles. A quelques centaines de mètres plus haut, les marchands de Noailles, le ventre bouillonnant de Marseille, ne s’étaient pas arrêtés de vivre, toujours au service d’un quartier qui, comme Belsunce, témoigne de la persistance d’une extrême pauvreté. Bref, c’était le feu sur le Vieux-Port. Et au lieu de crier au scandale sur la présence de Jul, on devrait s’inquiéter davantage de la progression des partis d’extrême droite partout en Europe. Puisque les Jeux sont politiques, espérons que les bonnes vieilles valeurs de l’olympisme transcenderont une bonne fois pour toute notre humanité. Qu’en penses-tu Zinédine ?
Florian Dacheux
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