Juin / 10
A Marseille au Plan d’Aou: Ensemble, on va plus loin !
Une association des quartiers nord de Marseille a travaillé avec Banlieues Santé pour ouvrir un lieu innovant et solidaire à la cité du Plan d’Aou. Au menu : chaleur, convivialité, socio-esthétique pour inspirer et développer des actions structurées en faveur de l’indépendance des femmes.
Nous rejoignons en voiture la cité du Plan d’Aou, située dans les quartiers Nord de Marseille. Juste après le nouveau quartier de la Joliette, nous passons sous un pont. Yassine Ennomany, responsable de l’antenne locale de la structure nationale Banlieues Santé, me dit : « Tu vois ce pont ? C’est un check point. A partir d’ici, on entre ailleurs ».
Banlieues Santé s’est créée en 2018 et se développe aujourd’hui dans plusieurs régions : « À l’origine de Banlieues Santé, explique Yassine, il y a des parcours (plusieurs initiateurs de la structure sont infirmiers) nés de beaucoup d’observation. Du terrain, de ce qui se faisait, de ce qui marchait et de ce qui marchait moins bien. De ces constats, nous avons élaboré trois phases. » Aujourd’hui, Banlieues Santé est partenaire de l’association des « Femmes du Plan d’Aou en action » pour la création d’un café de femmes au cœur de la cité, dont l’ouverture a eu lieu le 11 mars dernier. « On va d’abord travailler sur la confiance, l’estime de soi, et donc l’image de soi. L’association partenaire a repéré des femmes qui sont vraiment en difficulté. On va proposer durant cette première phase des activités autour du bien-être. Par exemple, on a créé une salle de socio-esthétique, faite pour des soins individualisés. Et on va positionner chaque semaine deux ou trois séances individuelles et collectives pour des femmes à qui on proposera de prendre soin d’elles, de prendre du temps pour elles. C’est vraiment un petit cocon dédié à se remobiliser. Voilà la première phase : socio-esthétique, socio-coiffure, activité physique, sorties culturelles, etc. Après, quand on arrive sur la situation des gens, au moment où les femmes ont envie d’en parler, on rencontre de nombreuses problématiques. La permanente du centre, Fatna Sid El Hadj, va accueillir les femmes pour les écouter individuellement ou bien collectivement. C’est la phase 2 qui démarre dans le but de solutionner les problématiques du quotidien. Fatna va les accompagner individuellement ou dans une dynamique collective, selon la nature du problème. Cela peut concerner la santé, les violences conjugales, l’accès à une couverture sociale, un surendettement, la déscolarisation du petit… On va aller convoquer toutes les solutions possibles, parce que des solutions existent pour aider les femmes à prendre leur envol. Le but, c’est de laisser les problématiques émerger et les traiter. »
Ensemble, on va plus loin !
Quand on arrive à la cité, on est d’abord surpris par le cadre exceptionnel. Une vue superbe, pic sur la mer, des jeux d’enfants, des bâtiments bien réhabilités… Pourtant les problèmes sont là, à vif. Chômage et précarité, trafics, délinquance et isolement sont aussi le quotidien du quartier. Yassine me mène jusqu’à l’entrée du café. Un panneau donne la tonalité : Ensemble on va plus loin. Il me présente la permanente du lieu, Fatna, une jeune femme rayonnante et dynamique, qui m’ouvre la porte du café. Un endroit accueillant, où tout est pensé pour mettre à l’aise, la déco, le mobilier, l’espace enfants, tout est fait pour s’y sentir bien : alors, voilà, c’est là !
« Et puis, il y a le côté piste de décollage, poursuit Yassine, c’est la phase 3, la dernière. On se dit : « Bon, j’ai repris confiance, je me sens mieux, on peut solutionner ensemble les boulets qui m’empêchaient d’avancer ». Et l’idée, ensuite, c’est de pouvoir aller vers l’entrepreneuriat ou vers l’emploi. C’est ça, in fine, qui émancipe et donne les solutions pérennes aux gens. On est en train de voir, juridiquement, comment monter une coopérative de femmes. Pour que les femmes soient correctement rémunérées et aussi qu’une partie de l’argent puisse être réinjecté dans le café des femmes. Bien sûr, il y a des femmes qui vont arriver directement dans la troisième phase. Des femmes avec des idées, des projets qui auront besoin d’un coup de main pour monter leur boite ou trouver un boulot. Et puis, il y a des femmes qui ne vont pas pouvoir, car leurs problématiques sont trop importantes. Mais la première victoire, c’est déjà d’être ensemble, de participer à des activités, de sortir de la maison, de rencontrer des choses qu’on ne trouverait pas en restant seule chez soi. De la chaleur, de la confiance, du sourire, de la bonne humeur. Et du pragmatisme ! »
Retour au Café des femmes. Arrive Abdel, jeune salarié de Banlieues Santé. « On vient d’ailleurs avec Banlieues Santé, d’une autre région, mais les gens ont appris à nous faire confiance. Et ça, c’est juste remarquable. Sans ces gens-là, on n’est rien. Sans ces bénévoles, sans ces femmes-là, sans tout ça, on n’est rien. Il y a de nombreuses femmes isolées. La clé de l’affaire, c’est d’établir un climat de confiance. Quand Banlieues Santé a fait des colis alimentaires pendant le Covid, on en a proposé 50 à 100 maximum par asso. Chaque colis coute 30 euros, c’est beaucoup d’argent. Souad, la présidente du collectif des femmes du Plan d’Aou, nous a répondu : « Ah Non désolé, ce n’est pas 100 colis qu’il me faut mais 450 minimum. Tu as qu’à venir vérifier sur le terrain. » Alors on a dit « OK », et on est arrivés le camion chargé de 500 colis et là, on a vu quoi ? On a vu une file d’attente de 300 personnes alors que c’est une petite association : pas de salarié, que des bénévoles. C’était la folie. On a entendu : « youyous, les colis sont arrivés, On est sauvés ! »
Yassine confirme : « Ça nous a beaucoup touchés, cette énergie. Du coup on a fait les colis avec elles. 500 colis par semaine pendant 8 semaines. Pendant tout le confinement… Et puis Souad et les femmes sont venues à la fin du confinement en nous rappelant que beaucoup de familles avaient un grand besoin de souffler. On a donc organisé un séjour de ressourcement. 90 personnes ont pu partir une semaine à la mer. Souad s’est occupée de sélectionner les familles les plus en galère. L’année d’après, on a refait le séjour de ressourcement pour 190 personnes, tout en continuant à les soutenir sur l’aide alimentaire et les produits d’hygiène. Et donc naturellement on est allé vers la création de ce café des femmes. »
Fatna, responsable du café arrivée en janvier dernier, raconte : « Ça faisait 10 ans qu’elles demandaient un local ici, dans le quartier. Elles avaient déjà un autre local pour l’aide alimentaire. Ici les femmes ont un potentiel créatif incroyable. Elles ont une énergie folle. Mon rôle est de mettre en place les activités, de faire le lien avec les intervenants, la coordination avec les partenaires. L’idée, c’est que le café des femmes soit vraiment en lien avec tout ce qui se fait déjà et qu’il propose de nouvelles mobilisations. Accueillir autour d’un café, échanger, créer le lien de confiance, tisser des relations, ça, c’est primordial. Il y a un gros problème de mobilité. C’est une vraie difficulté. Le quartier, côté bus, est très enclavé. Or en plus des questions logistiques (transports en commun, voitures…) il y a aussi un gros travail psychologique à faire parce que certaines ne bougent pas de chez elles, elles ne vont pas vers les autres. Des femmes m’ont confié, par exemple, qu’elles n’ont jamais fait de vélo. On ne leur a jamais appris à en faire. Du coup, elles aimeraient bien commencer. »
Le lieu a connu une grosse phase de travaux, soutenue par des entreprises comme Maisons du Monde ou la Fondation L’Oréal qui suit l’ensemble du projet. Fatna ne croit pas à la nécessité d’habiter ici pour intervenir, bien au contraire. « C’est une richesse pour moi de ne pas habiter le quartier. J’ai toujours travaillé dans les quartiers nord. C’est quelque chose qui a été important pour moi, qui m’a beaucoup, beaucoup, beaucoup apporté aussi professionnellement. Mais je ne suis pas de Marseille mais d’une des communes avoisinantes et ça apporte une ouverture. J’ai grandi dans un village qui, plus tard est devenu une ville. Il y avait de la mixité sociale. Mon modèle, c’est cette richesse-là. Quand j’ai démarré dans les quartiers nord, pour moi, Ça a été dur. Des quartiers enclavés, des écoles sans mixité… Tout au départ, pour moi, il y eu un Emploi-jeunes qui a révélé une vocation… » Et Fatna n’est pas une exception. Comme quoi, ces emplois si décriés par la droite et LaRem ont eu une vraie utilité…
Et puis Souad, présidente de l’association des femmes, nous rejoint. Souad, c’est d’abord un sourire à la fois plein de tendresse et de détermination. Une femme en mouvement qui rend hommage à la force de toutes les femmes : « Franchement, elles m’étonneront toujours. J’ai pendant plusieurs années vécu au centre-ville et puis je suis revenue ici, le quartier où j’ai grandi. J’ai connu de vraies difficultés, dont des violences conjugales. Alors maintenant, je veux que ça change ! La société doit se faire avec nous. Et une chose est sûre : nous ne sommes pas prêtes de renoncer ! » Qu’on se le tienne pour dit !
Marc Cheb Sun