Jan / 22
A l’heure où la sélection nationale de football des Comores brille pour sa première participation à la Coupe d’Afrique des Nations 2022 au Cameroun, c’est tout Marseille qui vibre.
Rien d’étonnant quand on sait que la cité phocéenne abrite la plus importante diaspora comorienne : environ 100 000 âmes. Zoom sur une ville considérée comme la cinquième île de l’archipel.
Marseille, l’autre capitale des Comores
ÀMarseille, où le ballon rond est roi, la dernière victoire de la sélection nationale de football des Comores est loin d’être passée inaperçue au soir du jeudi 20 janvier 2022. Vêtus de maillots aux couleurs vertes de leur nation, de nombreux fans se sont réunis de la cité Félix Pyat jusqu’au Vieux Port pour chanter à la gloire des Coelacanthes après leur victoire historique (3-2) face aux Black Stars du Ghana en Coupe d’Afrique des Nations. Depuis le début de la compétition, des fan zones ont même été aménagées dans les quartiers nord de la ville. Car Marseille a beau être à 7000 kilomètres de Moroni, capitale des Comores, la fierté est la même. Le chiffre peut paraître surprenant tant il est peu médiatisé mais un Marseillais sur dix est en effet originaire de l’archipel des Comores. Soit près de 100 000 personnes, composantes majeures de la diaspora insulaire. Bien devant La Courneuve en Seine-Saint-Denis qui compte environ 5000 personnes originaires de ce petit archipel aux 800 000 habitants nichés à la pointe nord de Madagascar, dans les eaux chaudes du canal du Mozambique. Dirigée par le Marseillais Amir Abdou depuis 2014, la sélection nationale de football des Comores compte dans ses rangs pas moins de onze joueurs nés dans les Bouches-du-Rhône. A l’instar de leur maître à jouer Youssouf M’Changama qui évolue en professionnel à l’En Avant Guingamp, ou encore du gardien de but Salim Ben Boina, un enfant de la ville qui évolue aujourd’hui sous les couleurs de Marseille Endoume en National 3 (ndlr : seul joueur ce niveau à disputer la CAN).
Au-delà des footballeurs, comment ne pas citer Soprano, célèbre ambassadeur des Comores, qui n’a pas manqué de célébrer la victoire des siens en posant avec le maillot de la sélection sur les réseaux sociaux. L’ancien des Psy4 de la Rime est même connu pour le titre La Patrie dans lequel il n’hésite pas à clamer son amour pour son pays d’origine au côté de ses complices comoriens de la scène rap. Extrait : « C’est la puissance d’la diaspo, tous les espoirs des locaux. De la pointe de nos crampons, on écrit l’histoire sur le drapeau. »
Pourtant, cette communauté discrète fait rarement parler d’elle depuis son arrivée progressive dans la cité phocéenne il y a près de cinquante ans. Une migration qui fait suite à la crise politique et socio-économique dans l’archipel après l’indépendance de cette ancienne colonie française en 1975. « Certains sont venus avec l’espoir de retourner un jour chez eux, d’autres se sont intégrés et n’envisagent plus de vivre leur vie ailleurs que dans la cité phocéenne, raconte Alain Tenenbaum, le réalisateur du film documentaire Des Comores à Marseille sorti en 2009. Ils ont fait le grand voyage, poussés par la misère et le manque de perspective qui règnent sur l’Union des Comores depuis 1975, date de l’indépendance du pays. Ceux des deuxièmes et troisièmes générations se sentent simplement Marseillais. » Installé à Paris depuis cet automne pour suivre un cursus en alternance au CFPJ, Nordine Ali Said a grandi dans le quartier de la Busserine à Marseille où il s’est notamment fait connaître comme commentateur officiel de la HCup, un tournoi de football inter-quartiers. Ancien éducateur sportif dans les quartiers Nord de la ville, il relaie le formidable parcours des Coelacanthes sur le réseau social Twitter. « Leur parcours nous émeut tous car nous connaissons une grande partie des joueurs qui composent la sélection, confie-t-il. La plupart sont des joueurs amateurs ou semi-professionnels qu’on a l’a habitude de croiser en ville deux à trois fois par semaine. On les a vus grandir. On a tous joué ensemble étant plus jeunes. C’est un noyau qui est né notamment à travers le Mondial des communautés, un tournoi sur Marseille à la fin des années 2000. C’est pourquoi il y a ce sentiment d’unité entre nous. Ils sont restés très accessibles et conservent une grande proximité avec les supporters. Ce sont comme des frères. Les voir à la télé chanter l’hymne national, c’est dingue. Ce qu’ils ont fait en dix jours, un homme politique l’aurait fait en 50 ans. Grâce à eux, les gens situent les Comores sur la carte du monde. Les gens commencent à se renseigner sur le pays, sur la manière dont on vit là-bas. L’exposition est énorme. On ne pouvait pas rêver meilleur coup de projecteur. Je reçois des messages de toute l’Afrique. »
De Font Vert à Consolat en passant par la Castellane, Felix Pyat, Les Cèdres ou encore la Savine, le drapeau comorien est réapparu dans de nombreux quartiers de la ville ces derniers jours. « C’est vrai que nous sommes une communauté assez discrète mais on aime la joie, la musique, les mariages, les rassemblements en famille, poursuit Nordine. Il y a une très grande solidarité entre nous et le rapport avec Marseille est très fort. Il y a eu une forte immigration dans les années 1980, notamment dans les quartiers Nord où le lien avec le football s’est fait très rapidement. Kassim Abdallah, qui évoluait à l’OM, était notre vitrine, notre représentant. On s’est longtemps fait chambrer par les autres communautés sur le fait qu’on ne gagnait rien. Grâce à ce parcours à la CAN, on s’attire la sympathie de supporters d’autres nationalités qui trouvent la sélection comorienne rafraîchissante. Ce sport n’est pas raisonnable et c’est pourquoi on l’aime. » Ainsi va la vie au bord de la Méditerranée où ils seront encore des milliers devant leur poste de télévision ce lundi 24 janvier. La sélection comorienne affrontera les Lions Indomptables du Cameroun, pays hôte, pour tenter d’entrer encore un peu plus dans l’histoire. Aux dernières nouvelles, à la veille du match, l’affaire se complique puisque l’équipe devrait être malheureusement handicapée de douze cas de covid, dont le gardien de but. Quel que soit l’issue, cette première participation est d’ores et déjà une immense victoire, qui ne peut que renforcer les liens entre Marseille et Moroni.
Florian Dacheux
(photo de Une – © Fed Com Football / photo de Couverture – © F.Dacheux)