Stéphanie Melyon-Reinette a créé son propre nom, Néfta Poetry, comme on recrée son propre espace. Un espace de pensée – elle est chercheuse –, d’expressions multiples, poésie, musique, danse, performances… Quand on parle avec elle, on ne se demande pas ce qu’elle serait d’abord, et d’ailleurs peu importe. « C’est un continuum, tout se rejoint. » Sa cohérence ? La construction d’une histoire du peuple noir, une histoire crucifiée, écrit-elle dans son poème Crucifixion, et « rapiécée », me dit-elle aujourd’hui. Une histoire où combats et créativité s’entremêlent constamment, « une libération poétique qui a souvent amorcé le mouvement social ». Le sentiment est diffus, Stéphanie crée comme elle respire, comme elle aime. On sent ce souffle qui l’anime par-delà les distances – nous échangeons sur Skype. Elle est en Guadeloupe, moi à Paris. L’écran est irréel, cette lumière derrière elle, les sons tout autour, les déconnexions épisodiques. On la sent à la fois libre et cernée, cernée par la réalité insulaire, « ici l’anonymat n’existe pas ». Par une histoire, celle d’une famille engagée, une saga. « Lignée d’hommes du côté de mon père, de femmes côté maternel. » Reinette, un nom qui marque l’histoire de la Guadeloupe, une empreinte. Grands-parents enseignants. Son père qui fait l’ENA, sa mère directrice du collège Michelet «qui a marqué toute une génération». Son oncle bien sûr, grand militant indépendantiste arrêté en 1998 : la justice française l’accuse d’être l’un des cerveaux de la redoutée Alliance Révolutionnaire Caraïbe (ARC). Condamné pour «terrorisme» à vingt-trois ans de prison, il sera libéré un an plus tard, sous la pression d’une forte mobilisation populaire.
Après son Bac, Stéphanie vient à Paris, son « expérience fanonienne » comme elle dit, en référence au psychiatre qui scruta les process de colonisation mentale et politique dans Peau noire, masques blancs. Elle y restera trois ans jusqu’à sa licence. « C’est là que j’ai commencé à parler créole. Enfants, cela nous était interdit à l’école. Dans l’Hexagone, le contexte te retranche sur ta culture, sorte de résurgence identitaire. On t’apprend tellement qu’être français, c’est gommer ce que tu es… Je me suis aperçue que le créole s’était imprimé en moi. Je suis rentrée en Guadeloupe, suite à cette confrontation à l’autre qui ne te reconnaît pas comme français. »
Ce créole désormais et cette créolité inspiratrice, porteuse de rencontres, elle danse avec et se joue de ses mots, en poésie-performance comme dans cette nouvelle écrite pour D’ailleurs et d’ici.
Les combats de Stéphanie, et ceux de Néfta Poetry, se déclinent aussi au féminin. Toujours avec l’idée de tracer des voies, de construire. « Je suis pro black, pas anti white, féministe, pas anti hommes. » Depuis quatre ans, elle est ambassadrice française du festival Cri de femmes, initié en République Dominicaine par Jael Uribe, écrivaine et poète.
La pesanteur et la richesse de tous ses héritages, Néfta Poetry les redessine, et les conjugue à différentes formes d’art et de réflexion, toutes initiatrices d’une liberté à conquérir.