« La prophétie de Dali », itinéraire d’un surdoué inattendu

Mai / 04

« La prophétie de Dali », itinéraire d’un surdoué inattendu

By / Bilguissa Diallo /

Roman biographique, fiction grandement inspirée de faits réels, difficile de classer cet ovni littéraire d’une grande puissance tant on est loin du simple récit, bien qu’on perçoive dans chaque ligne le vécu, les larmes et les pirouettes surprenantes que seule la vraie vie a le culot d’imposer. Une chose est sûre : Balla Fofana est un conteur, un enchanteur des mots, un poète des temps modernes, un djeli (griot) 2.0. Journaliste à Libé, il a choisi de tourner l’attention vers lui et d’utiliser son propre itinéraire comme matière première. Plongée dans La Prophétie de Dali, qui révèle qu’un début de vie chaotique n’est pas forcément la promesse d’une destinée entravée !

« La prophétie de Dali », itinéraire d’un surdoué inattendu

On a souvent commenté l’immigration récente des Africains subsahariens dans la presse, à la télévision, mais rarement à la première personne et encore moins à hauteur d’enfant. Il est vrai que l’aventure commence mal pour le gamin dont il est question. 1992, Val de Marne, Balla débarque à l’école maternelle. Il vient d’arriver du Mali avec sa famille, dans des circonstances compliquées puisque Wassa, sa mère, a bravé la réprobation de sa communauté en revenant s’installer seule en France alors que son mari l’a abandonnée avec ses fils. On lui promet malheur et solitude, qu’à cela ne tienne, elle se veut maîtresse de son destin, désire le meilleur pour sa progéniture et choisit de faire l’impasse sur leur blessure intime : le vide béant laissé par leur père. A six ans, Balla s’apprête à manger son premier repas au réfectoire rempli d’écoliers bruyants. Alors qu’il plonge les doigts dans le plat pour déguster ses haricots, ses voisins hurlent de dégoût. Balla vient d’hériter du statut d’enfant inadapté pour avoir mangé à la main, comme il l’a toujours fait dans son faso (patrie). Cela lui vaut d’être admis en classe de perf, celle qu’on réserve aux enfants qui souffrent d’un retard d’apprentissage. Après ce choc d’adaptation qui succède à celui du départ de son père, l’enfant devient mutique bien qu’il soit obligé de parler au Cyclope (Psychologue). Ce Monsieur si curieux avec son pantalon en bisteak hâché parvient néanmoins à contourner la consigne que Wassa a transmise à son fils : « Parle mais ne dis rien ». Balla lui confie ses premiers souvenirs et entraîne ainsi le lecteur dans son parcours migratoire chaotique : ses premières années au village de Sakora, la rugueuse arrivée en France, l’insalubrité des logements et la solidarité des Tontons et Tanties qui les hébergent plusieurs années avant qu’ils obtiennent un logement dans le quartier du Palais à Créteil.

 

Vocables mandingues

Dans une langue poétique et créolisée par l’emploi de vocables mandingues, l’enfant Balla dessine une France multiculturelle des années 90 qui préfigure la société actuelle, dans laquelle la quête identitaire devient une question clé : comment se construire dans une société qui fait de vous un éternel perdant, un étranger, un bledard en voie d’intégration ? Comment se définir lorsqu’on est plus tout à fait malien et pas vraiment français ? Pour autant, malgré l’école qui semble avoir décidé qu’il ne vaut rien et des cousins qui le surnomment sale perf, la vie recèle son lot de plaisir, avec l’amitié du sémillant Gérald qui se montre aussi bravache que Balla timide. Il y a également ces oncles et tantes qui lui prodiguent tout l’amour et l’attention dont il manque à domicile. Son salut viendra en la personne de Dali, cette griotte (conteuse, musicienne) à l’allure si princière est une amie de sa mère. Ses dons de divination révèlent que Balla est promis à un destin glorieux. A travers ses prédictions et conseils, la divinatrice exhorte l’enfant à rechercher le savoir et à croire en lui ! Une prophétie qu’il s’efforcera de réaliser par son assiduité à l’école et son sérieux, pour faire mentir une autre prophétie : celle qui condamne les enfants issus de l’immigration à demeurer en marge de la société.

 

La force des punchlines

Au-delà de l’aspect biographique et sociologique, ce qui frappe dans le roman de Balla Fofana, c’est la force des punchlines et la maestria avec laquelle il conte l’épopée d’un enfant ballotté par les soubresauts de la grande histoire. Le regard neuf et sensible du jeune homme, ainsi que la plongée dans ce microcosme mandingue immergé en France, rend le texte unique par sa fraîcheur et son caractère intime. Sans jamais verser dans le didactique ou le pathos, on y lit subtilement une exhortation à connaître et valoriser ses racines pour mieux embrasser le monde moderne et ne pas en demeurer l’éternelle victime. Histoire romancée ou pas, Balla peut se targuer d’avoir hérité du don de conteur de Dali et d’avoir fait advenir sa prophétie. Une vraie pépite à découvrir dans toute les bonnes librairies ! 

 

 

Bilguissa Diallo

 

La prophétie de Dali, Balla Fofana, Ed Grasset
En librairie dès le 3 mai 2023.

 

Bilguissa Diallo