Jan / 20
Quand l’immigration sub-saharienne entre en littérature
Fanta Dramé est professeure de français, elle vit à Paris, où elle a grandi également et enseigne à Pantin. Fin 2012, sa grand-mère décède. Celle qui avait été présente au quotidien pour cette grande famille mauritanienne émigrée provoque un cataclysme en tirant sa révérence. Avec son départ, se pose le sujet du lieu de la sépulture et les aînés de la famille imposent qu’elle repose à Ajar, dans son village natal, et ce malgré le choix de son fils sexagénaire (le père de l’auteur) qui aurait préféré qu’elle soit enterrée à Dakar, là où une grande part de la famille réside désormais. Peine perdue, la parole des anciens fait autorité sur tous et la famille parisienne accompagne le corps à Ajar. Ce voyage quasi initiatique ouvre un questionnement profond chez Fanta… Celle qui rêvait d’écrire un roman durant ses études de lettres tient là son sujet : elle va narrer le parcours de son père. Ce récit livré en toute franchise relate donc le cheminement de ce jeune homme de 26 ans qui ne parle pas français lorsqu’il débarque à Paris le 15 novembre 1975. On découvre sa quête d’un avenir, sa mission de trouver un emploi pour subvenir au besoin de tous les siens, ainsi que la fondation de sa propre famille. A travers ce texte, c’est le visage de cette nouvelle immigration qui se dessine, les coloniaux, d’origine extra-européenne, précisément ceux dont on questionne la légitimité, la présence et le parcours. Ce qui en fait sa spécificité, c’est l’humanité avec laquelle on envisage le destin personnel d’un homme au départ sans papier, dont la famille parviendra à s’ancrer totalement en France alors que rien ne les prédestinait à ça. Fanta est revenue pour nous sur sa démarche et les raisons qui l’ont poussée à rendre cet hommage littéraire à son père.
Comment est née cette idée d’ouvrage ?
En me rendant à Ajar pour la première fois, le choc a été tel que j’avais du mal à comprendre comment le père que j’avais toujours connu ait pu affronter une réalité si différente de la mienne. J’ai croisé dans ce village des gens qui m’étaient apparentés, avec qui je partageais notamment l’attachement pour cette grand-mère, mais dont la vie était aux antipodes de la mienne. Il m’a semblé alors nécessaire de faire le chemin inverse et de comprendre comment on atterrit à Paris quand on nait à Ajar. Avec ma fratrie, nous avions tous grandi à Belleville, en communauté, avec mes parents et ma grand-mère qui les avait rejoints pour les aider à nous élever. Nous sommes des Français qui vivent entre deux cultures, une à la maison, une à l’extérieur. On était très familiarisé avec la culture sénégalaise notamment, mais ce deuil m’a fait comprendre que nous ne savions rien concrètement de nos origines mauritaniennes, ni de la trajectoire familiale. Ainsi raconter mon père explique notre présence, notre façon de vivre et met en lumière le chemin parcouru.
Comment avez-vous choisi la forme du texte ?
Lorsque j’ai fini de coucher sur papier le résultat des entretiens avec mon père, je ne savais pas si mon texte avait les bases pour être qualifié de roman, mais j’avais ce désir que mon père soit un personnage littéraire. J’évoque le personnage de Rastignac parce que le parcours du provincial qui vient conquérir la capitale peut être comparé aux ambitions des immigrés, je me disais que nos parents ont droit à la fiction. On trouve souvent des personnages archétypiques dans l’autofiction française, des figures récurrentes de bourgeois solitaires de grande ville, et pour autant, on leur consacre encore des livres de fiction. Donc j’avais cette envie de ne pas me limiter au récit-témoignage pour laisser une empreinte plus forte. J’ai traité cette matière comme un roman, en choisissant ce que je voulais mettre en lumière et ce sur quoi je suis passée. Et puis, je constatais une méconnaissance de ce pan d’histoire et j’avais peur que l’on perde la trace de ces parcours. Ma propre petite sœur n’était pas consciente que son père fut jadis un sans-papier. Ecrire un roman, c’est une façon de lutter contre cet oubli ! J’ai démarré quatre ans après mon voyage à Ajar, et ça m’a pris un an pour le rédiger.
« Apprendre aux jeunes générations quel a été le parcours de celui qui a fait que nous vivions ici »
Comment avez-vous trouvé un éditeur, la démarche a-t-elle été longue ?
J’ai comme tout le monde envoyé mon manuscrit par La Poste, sans succès. En parallèle, étant enseignante en REP, je trouvais que mes élèves avaient besoin de voir des auteurs qui leur ressemblent et dans ce cadre, je m’étais rapprochée de Faiza Guène, qui vit à Pantin, pour qu’elle fasse un atelier d’écriture avec mes élèves. J’avais gardé le contact et du coup, j’ai osé par la suite lui demander si elle accepterait de lire mon texte et de me donner son avis. Elle m’a fait un retour inespéré après plusieurs mois, me disant qu’elle l’avait fait lire à son éditeur et qu’elle croyait en mon texte, elle souhaitait le défendre. J’ai fini par recevoir un mail du directeur éditorial de Plon me proposant de m’accompagner dans la publication du roman. C’était tellement incroyable que je me demandais si j’avais bien compris ce que je lisais ou s’il ne me proposait pas juste une aide sympathique et polie. Je n’ai rencontré Faiza que deux fois et elle a été une sorte de bonne fée pour moi.
Votre famille s’est-elle impliquée dans le projet ?
Au départ on ne m’a pas vraiment prise au sérieux, j’ai toujours eu l’image de la Parisienne dans ma famille, on me considère comme trop occidentalisée, donc on a pris l’idée comme une lubie qui les faisait sourire. Et puis les rituels d’entretien avec mon père ont fini par embarquer tout le monde, parce qu’à mesure qu’il nous racontait, parfois avec humour, son cheminement, on découvrait une facette de lui qu’on ignorait, et donc ça a intéressé tout le monde. Je rêvais évidemment de publier ce travail, mais je me disais qu’à minima ce serait un cadeau à faire aux membres de la famille, pour apprendre aux jeunes générations quel a été le parcours de celui qui a fait que nous vivions ici. Et en effet, quand il a été clair qu’on me publierait, et que la maison était sérieuse, tout le monde a été fier et agréablement surpris. J’ai des frères qui ne sont pas très versé dans la littérature, qui ont lu et commenté sérieusement. Des membres de ma famille en Afrique ont réagi également. Mon père a été touché de faire l’objet d’un livre.
Propos recueillis par Bilguissa Diallo
Ajar-Paris, Fanta Dramé, Editions Plon