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En tête à tête avec Fela Kuti à la Philharmonie de Paris
Programmée jusqu’au 11 juin, l’exposition Fela Anikulapo-Kuti Rébellion afrobeat est la première du genre en Europe consacrée à la trajectoire musicale et politique de l’artiste nigérian. Immersion à la Philharmonie de Paris.
De Lagos à l’hippodrome de Pantin, où il s’est produit en 1981, tous les témoins de l’époque s’accordent à dire qu’un concert de Fela était une expérience inoubliable. L’exposition, qui lui est consacré en ce moment même à la Philharmonie de Paris, est du même acabit. Dès nos premiers pas, nos oreilles sont plongées dans les multiples influences de l’artiste nigérian. Des rythmes yoruba au free jazz en passant par le highlife ouest africain et autres éléments de soul et de funk, bienvenue en terre afrobeat ! Composée de très nombreuses images d’archives, de pochettes de vinyles, de témoignages, de ses plus beaux costumes ainsi que d’œuvres inédites en provenance du Nigeria, l’exposition retrace à merveille les sources et l’évolution de l’afrobeat dès le retour de l’enfant prodige, revenu en 1963 de Londres où il était parti étudier la musique occidentale. Il y est surtout question de l’engagement de Fela, connu pour avoir fait de son mode de vie un manifeste, lui qui s’est beaucoup nourri du panafricanisme de Malcolm X (ndlr : il découvre le Black Panther Party lors d’un séjour aux Etats-Unis en 1969), Kwame Nkrumah ou Cheikh Anta Diop, mais aussi des combats anticoloniaux de sa mère, la militante féministe Funmilayo Ransome-Kuti.
C’est donc au plus près de Fela, les poings levés, que nous nous immergeons au cœur des Koola Lobitos, sa première formation, jusqu’à sa maison, la Kalakuta Republic (d’après le nom d’une cellule où il a été emprisonné), un lieu de vie autonome où intellectuels noirs et personnes en situation de précarité trouvent refuge. L’occasion, grâce à de grandes projections, de revivre ses plus beaux moments sur scène où le saxophoniste, en transe, excelle comme chef d’orchestre au service de performances hypnotiques, longs parfois d’une trentaine de minutes. Mais aussi de réentendre son message militant contre la corruption des élites et la mentalité néocoloniale. « La musique est une arme. La musique est l’arme du futur », disait-il. On y apprend que l’artiste abandonne dès le début des années 1970 son patronyme Ransome, perçu comme un nom d’esclave, au profit de Anikulapo-Kuti, « celui qui porte la mort dans sa poche » en yoruba. Avec Zombie (1976), titre condamnant la violence aveugle de l’armée, il devient la cible des gouvernements nigérians successifs et multiplie les séjours en prison. Nombreux sont les visiteurs qui comprennent, voire découvrent, que le musicien a payé un lourd tribut pour ses engagements. Une vitrine entière est même dédiée à ses slips colorés, manière subtile de rappeler que Fela s’affichait très souvent en slip pour montrer ses cicatrices et ses blessures, signes de sa résistance. Une autre est quant à elle dédiée aux livres qui l’ont inspiré, tels que « How Europe underveloped Africa » de Walter Rodney ou « Stolen Legacy – greek philosophy is stolen egyptian philosophy » de George G.M. James. On conclut notre parcours en s’asseyant devant l’écran géant. Face à nous, des extraits de sa prodigieuse performance au Berlin Jazz Festival le 4 novembre 1978. Une énergie hors du commun qui continue d’inspirer les luttes d’ailleurs et d’ici. Ses hymnes sont notamment réapparus en 2020 avec #EndSARS, un mouvement contre les violences policières au Nigéria.
Florian Dacheux
(illustrations de Une : © Philharmonie de Paris – Joachim Bertrand)
Fela Anikulapo-Kuti : Rébellion afrobeat, jusqu’au 11 juin, à la Philharmonie de Paris – 221, avenue Jean-Jaurès, Paris 19e.
Fela Kuti et la France
Quels sont les liens entre Fela Kuti et la France ? Selon François Bensignor, auteur en 2012 d’une biographie de l’artiste, « ce sont des Français qui ont construit sa carrière internationale hors d’Afrique ». Après une première collaboration avec le manager Martin Meissonnier qui vire au fiasco, un autre Français, Francis Kertekian, devient le manager international de Fela en 1982. « Il le restera jusqu’à son dernier disque, sa dernière tournée, devenant aussi l’éditeur de l’essentiel de son œuvre, explique François Bensignor. Alors qu’à la mort de Fela, en 1997, aucun de ses albums n’était plus disponible sur les marchés internationaux, si ce n’est en occasion, Francis Kertekian a rassemblé tous ses enregistrements parus à partir de 1969 afin de les publier. L’ensemble des 46 albums parus en 2001 est une révélation pour de nombreux jeunes musiciens et DJs (…). Il faut aussi mentionner le rôle décisif joué par les autorités françaises dans sa libération en 1986, alors qu’il purge une longue peine de prison. » Quant à sa musique, l’afrobeat, celle-ci a rapidement conquis de nombreux adeptes. Le génie musical de Fela (ndlr : dont les fils Femi et Seun perpétuent le mouvement) a inspiré de très nombreux groupes francophones, de Fanga aux Frères Smith en passant par The Afrorockerz, Zingabe, Massonga ou Feva. « Tony Allen, le formidable batteur qui a accompagné Fela pendant quatorze ans et tient une place importante dans la création de l’afrobeat, est basé à Paris depuis 1986, ajoute François Bensignor. C’est aussi le cas de Kiala et de Chief Udoh Essiet, deux de ses anciens musiciens, ex-piliers de Ghetto Blaster, groupe devenu mythique. »
Fl.D.
(Sources RFI Musique)