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Août / 22

Prix Goncourt il y a un siècle, un auteur à redécouvrir !

By / Marc Cheb Sun /

René Maran, Un homme pareil aux autres

Prix Goncourt il y a un siècle, un auteur à redécouvrir

2021, rares sont ceux qui connaissent le nom et l’œuvre de René Maran, pourtant prix Goncourt voilà un siècle, pour son roman Batouala, qui décrit la vie d’un village africain de l’Oubangui-Chari (actuelle Centrafrique) du point de vue de son chef de village. Cette œuvre critique à l’égard du colonialisme fit de son auteur un précurseur de la Négritude. Ce mouvement, pourtant, ne lui inspirait que méfiance ; l’auteur lui reprochait une tendance à s’ancrer dans ce qu’on appellerait aujourd’hui du communautarisme.

 

L’ancien administrateur colonial pétri d’humanisme, contemporain de Felix Eboué et élevé à Bordeaux, se voulait « Un homme pareil aux autres ». Ce n’est donc pas un hasard si le roman que les éditions du Typhon ont choisi de ressortir à l’occasion du centenaire de son Goncourt, porte ce titre qui dit tant l’état d’esprit de l’auteur. Préfacé par le brillant auteur sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, ce texte évoque les états d’âme de Jean Veneuse, administrateur colonial d’origine antillaise, amoureux d’une femme blanche. Zoom sur ce roman à la fois moderne et suranné.

Paru en 1947, ce texte alors ignoré par la critique recèle tous les questionnements raciaux propres aux auteurs noirs issus de l’espace francophone. Cette France censée être aveugle aux couleurs, ne reconnaissant que des citoyens égaux, semblait pourtant susciter des contorsions et contradictions dans le cœur et l’esprit de ces hommes, à l’image du personnage de Jean Veneuse. L’homme se sent à la fois profondément et banalement français, mais ne peut se départir de l’obsession de la race. Il se sait nègre : il utilise d’ailleurs ce vocable sans le chérir ou le critiquer et, par là même, intègre les préjugés et complexes d’infériorité. Seulement voilà, Jean aime Andrée, une jolie Parisienne qui lui inspire les meilleurs sentiments et semble partager ses élans. Les amis de Jean avec qui il chemine en bateau vers sa nouvelle affectation coloniale, savent cet amour, l’acceptent et l’encouragent à avouer son penchant vers Andrée. Mais Jean ne peut se résoudre à compromettre sa belle en l’épousant, conscient des clivages raciaux des colonies où il officie, et du regard ou de l’hostilité qui naîtrait s’il s’affichait avec elle. Servi par une langue élégante et des descriptions naturalistes, l’auteur nous plonge dans cette France d’antan, si familière et surannée, et dans les colonies françaises, avec leurs habitants dont on apprend peu, qui semblent appartenir au décor. On sent l’amour de Maran pour les auteurs classiques, la forte influence de son parcours tant sa biographie épouse le parcours de Jean Veneuse (qui comme lui a grandi dans un pensionnat de Bordeaux et évolué dans l’administration coloniale). Le romantisme du personnage ainsi que ses ressassements amoureux le rendent quelque peu daté. Cela témoigne du poids de la hiérarchie raciale ainsi que de sa volonté d’accéder à la banalité d’une vie d’homme blanc. Son regard sur les colonies, à la fois acerbe quant au système et tendre envers les populations autochtones, est quelque peu emprunt d’un certain paternalisme qui dit les limites de la dimension critique de l’auteur. Il reste un Français nourri par le système colonial, désireux de prouver qu’il est digne d’appartenir à cette grande nation évoluée et participant à cette œuvre civilisatrice dont il interroge la légitimité sans paraître attribuer aux colonisés un quelconque génie qui ne procèderait pas du contact avec le Blanc !

Un livre très instructif quant au parcours des colonisés, qui dit beaucoup de la cohabitation raciale dans la France d’hier, où les femmes semblaient ouvrir leurs bras aux Noirs, et les hommes se montrer amicaux pour peu qu’on ne remette pas en question l’ordre établi et la hiérarchie raciale. Cela donne également envie de découvrir Batouala, son texte primé en 1921 grâce auquel est réédité le présent ouvrage.

 

Bilguissa Diallo

 

Sortie le 24 août

Marc Cheb Sun