Esclavage : Les fantômes du Louvre

Nov / 01

Esclavage : Les fantômes du Louvre

By / La Rédaction /

LES FANTÔMES

DU LOUVRE

Une visite au musée

Lycéens, profs, collégiens…

Suivons Françoise Vergès

sur les traces cachées de l’esclavage,

dans les dédales du Louvre.

Le soleil rayonne de mille feux sur la pyramide de verre, le sésame du Louvre. Nous rejoignons notre équipe et rencontrons Françoise Vergès dont les recherches sur l’histoire de l’esclavage sont mondialement connues. Elle sera notre guide. Au cours du long chemin parcouru dans le dédale de corridors, Françoise Vergès nous rappelle le contexte historique du lieu que nous visitons : « De palais, le Louvre devient musée par décret de la Révolution française en 1793 ; les révolutionnaires veulent démocratiser l’accès aux œuvres d’art. Le peuple se voit restituer, par confiscation, des pièces possédées par le clergé et la noblesse. L’œuvre d’art est déclarée bien commun. Mais, ce qui est important pour notre sujet, c’est que dix jours plus tard, l’abolition de l’esclavage est proclamée à Saint-Domingue, la plus riche des colonies esclavagistes françaises, qui fournit plus de la moitié du sucre consommé en Europe. Saint-Domingue, là où vivent 500 000 esclaves sur 600 000 habitants ! L’abolition est la conséquence de l’insurrection amorcée deux ans plus tôt, en août 1791. » Nous nous asseyons autour de notre guide. « Rappelons qu’en mai 1802, Napoléon a rétabli l’esclavage, aboli dans les colonies françaises en février 1794. »

Nous voilà repartis et traversons nombre de salles. Jean et Sofiane, 16 ans, élèves au lycée parisien Buffon, s’amusent : « Quarante-cinq minutes à la recherche d’un tableau précis ; notre expédition ressemble à un jeu de piste. » La peinture choisie représente un soldat de l’empire napoléonien, fumant une pipe. Françoise Vergès nous explique comment, derrière cette pipe tenue par ce soldat français, on peut dérouler plusieurs fils : la sueur et la souffrance des esclaves qui cultivaient le tabac dans des plantations, la masculinité, le rapport à l’État. Elle nous parle des atroces conditions de vie dans les plantations, la traite, la déportation d’esclaves, toutes absentes de l’iconographie… Elle nous montre une théière, là, dans un autre tableau, nous parle du thé et du colonialisme. « On se dit : maintenant, on n’en boira plus de la même façon, on y pensera », confient Jean et Sofiane.

Commentant le tableau d’un peintre hollandais, une scène de taverne, Françoise Vergès nous interpelle : « Observez comment, à travers les objets (théière, cafetière, sucrier…) les produits issus de l’esclavage pénètrent la culture européenne. Les conditions de production, elles, sont effacées, masquées, rendues invisibles. Pourtant ces produits transforment en profondeur la société européenne. Le sucre se substitue au miel, le tabac et le café pénètrent peu à peu le quotidien. De nouvelles « traditions » apparaissent, comme le gâteau de mariage. Le monopole de la fabrication et de la vente du tabac est régi par l’État, à l’initiative de Colbert, dont le nom est lié au Code noir *. Difficile de pouvoir imaginer la réalité des plantations : quelques tableaux montrent des femmes et des hommes assis devant leur case, dansant, ou coupant la canne… L’esclavage est un système économique fondé sur l’effacement, celui des conditions de production, c’est une nécessité idéologique du capitalisme. La représentation du transport, de la vie, du travail des esclaves est rare. C’est avec le mouvement abolitionniste anglais au xviiie, et plus encore au xixe, que des images apparaissent en Europe. »

« Cette visite du musée nous permet d’ouvrir les yeux et de comprendre le monde contemporain. Encore aujourd’hui, il y a toujours cette volonté d’occulter des vérités historiques », constate Ricardo, 18 ans, élève du lycée professionnel Champlain à Chennevières-sur-Marne.  Nous continuons notre périple, et nous retrouvons devant l’immense et impressionnant Radeau de La Méduse. Grâce à Françoise Vergès, nous le percevons comme un tableau engagé.

GÉRICAULT

PLACE UN NOIR AU SOMMET,

VU DE DOS […]

SA POSITION

EST UN PLAIDOYER 

POUR L’ÉGALITÉ, CONTRE 

L’ÉSCLAVAGE

ET LA TRAITE 

ILLÉGALE.

 

Le Radeau de La Méduse, Théodore Géricault.

Présenté en 1818, alors que l’esclavage n’est toujours pas aboli, Le Radeau de La Méduse renvoie à un  « naufrage réel ». Dans son tableau, construit comme une pyramide humaine, Géricault place un Noir au sommet, vu de dos, d’une force étonnante. Sa présence – comme celle de trois autres Noirs – et sa position sont un plaidoyer pour l’égalité, contre l’esclavage et la traite illégale. Mais aussi une révolution esthétique et culturelle. Madd, auteur de BD, suit la visite avec nous. Il est stupéfait : « Quand j’étais étudiant à Paris VIII, j’ai bossé une année entière sur Le Radeau de La Méduse, sans jamais aborder la métaphore de la traite dans le tableau.  C’est quand-même incroyable ! »

O.D.

*Textes juridiques élaborés par le pouvoir royal qui, notamment, définissent les esclaves comme un « bien meuble ». 

RETROUVEZ CET ARTICLE DANS LA REVUE PAPIER NUMÉRO 3

Texte : Ouafia Djebien, Professeur de Lettres-Histoires-Géographie, avec Jean Ben Aych, Sofian Moumni, élèves de seconde et terminale, blogueurs, et Ricardo Dias Oliveira, élève de terminale.

Grandes images : Madd

Retrouvez sa BD dans la revue papier Numéro 3.