<span class=Le congrès des écrivains et artistes noirs en 1956">

Mai / 20

Le congrès des écrivains et artistes noirs en 1956

By / Marc Cheb Sun /

Le congrès des écrivains et artistes noirs en 1956

C’est bien un événement inimaginable aujourd’hui : une conférence qui rassembla le gratin de l’intelligentsia afro-descendante, de la France hexagonale, des Outre-Mer, d’Afrique francophone et des Etats-Unis. Cela a eu lieu il y a près de 64 ans, au sein de la Sorbonne : un ensemble de conférences culturelles et politiques d’une importance capitale. Zoom sur ces trois journées si particulières.

Initiée par la Maison d’édition Présence Africaine fondée en 1948 par Alioune Diop, ces journées du 19 au 22 septembre 1956 réunirent des intellectuels au parcours divers tels que les Américains Richard Wright et James Baldwin, les Antillais Aimé Césaire, Edouard Glissant et Frantz Fanon ou les Africains, Leopold Sedar Senghor, Bernard Dadié et Amadou Hampaté Bah. Un casting incroyable, et fondateur par les thèmes qui y furent abordées. C’était avant les décolonisations, au temps où le statut de l’Homme noir dans le monde était, dans le meilleur des cas, celui d’un citoyen de seconde zone. Aux Etats-Unis, la question des droits civiques et de la ségrégation devenait épineuse, en Europe, celle du statut des colonies également. Face à ces problématiques, plusieurs attitudes possibles :
L’intégrationnisme, incarné par Richard Wright aux USA, ou par Senghor en France, le marxisme défendu par Césaire et Fanon, ou le panafricanisme, qui rassemblait plus volontiers l’ensemble des participants.

L’enjeu de départ pour les créateurs du congrès, était de montrer par l’ampleur de cet événement que l’Homme noir pense et doit intégrer le champ du visible dans la société. Alioune Diop déclara en préambule « Si depuis la fin de la guerre, la rencontre de Bandoeng constitue pour les consciences non européennes l’événement le plus important, je crois pouvoir affirmer que ce premier Congrès mondial des Hommes de Culture représentera pour nos peuples le second événement de cette décade… ».

"Laissez entrer les peuples noirs sur la grande scène de l’histoire " Aimé Césaire

Le concept de la négritude créé par Senghor et Césaire était évidemment prégnant. La question centrale de l’événement demeurait la définition de l’apport au monde, de l’identité et ce qui liait les hommes et femmes noirs-es de la planète. L’esclavage, la colonisation et les enjeux de l’éducation et de la culture ont évidemment occupé une place importante dans les débats. Pour autant, la controverse n’a pas épargné ce congrès, on a refusé le visa à l’intellectuel et militant américain WEB Dubois, jugé trop subversif. Les délégués américains avaient d’ailleurs menacé de quitter la conférence du fait de la tournure par trop politique et critique qu’elle prenait. Cela dit, l’événement a reçu le soutien d’intellectuels français de premiers plan comme Claude Levi-Strauss notamment. Pablo Picasso a dessiné l’affiche du Congrès. On a pu y constaté ce qui différenciait les approches des uns et autres. La dimension critique d’Aimé Césaire s’y est exprimée clairement par son désormais célèbre « Laissez entrer les peuples noirs sur la grande scène de l’histoire ». L’approche psychologique a été abordée dans la conférence de Frantz Fanon sur le thème Racisme et culture ; elle a démontré l’aspect normatif des cultures occidentales et les conséquences directes sur le racisme qui en découle. ll est apparu clairement qu’on ne pouvait fédérer uniquement sur la question de la couleur sans aborder les questions politiques qui étaient propres à diviser, de par la violence du contexte qui obligeait chacun à choisir des stratégies plus ou moins frontales.

Les différentes commissions réunies ont pu proposer des solutions modernes à l’issue du congrès. Il en est ressorti que la libération politique et l’indépendance économique constituaient des préalables indispensables à l’essor culturel des pays africains.

Les congressistes avaient également préconisé la formation de spécialistes en art pour faire l’inventaire du patrimoine des sculptures africaines, créer des centres culturels, enseigner les musiques africaines. Une vision très avant-gardiste qui n’a jusqu’à présent par été mise en place avec une réelle ampleur.

On retiendra néanmoins l’absence des femmes, seules Joséphine Baker et Moune de Rivel les ont représentées. Trois ans après, l’événement sera réitéré à Rome et inspirera également le Festival des Arts Nègres de 1966.

Avec le recul, on peut ainsi qualifier ce congrès d’événement artistique fondateur pour les Afro-descendants. Il serait d’ailleurs intéressant d’inclure dans les programmes scolaires la mention de celui-ci pour alimenter la réflexion sur les thématiques hautement politiques et montrer l’ampleur de la mobilisation, avec la soixantaine d’intellectuels qui s’y sont rendus.

 

Bilguissa DIALLO

 

A lire, à voir, à écouter:

Le 1er Congrès International des Ecrivains et Artistes Noirs, Paris, Présence Africaine, numéro spécial 8-10 juin-novembre 1956.

Un film (lien) : https://quartierslibres.wordpress.com/2014/04/20/lumieres-noires-1er-congres-international-des-ecrivains-et-artistes-noirs-1956/

Un fichier audio (INA) : https://www.ina.fr/audio/PH909013001

Marc Cheb Sun