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Juin / 20

L’APPEL DE VIKASH DHORASOO «Si le foot pouvait montrer l’exemple…»

By / akim /

L'APPEL DE VIKASH DHORASSOO

«Si le foot pouvait montrer l’exemple…»

À 45 ans, Vikash Dhorasoo ne s’est jamais réellement déconnecté du monde du football. Fondateur de Tatane, association avec laquelle il redonne au ballon rond son esprit ludique, cet enfant du Havre, passé par l’AC Milan et l’Olympique Lyonnais, s’est toujours battu contre toutes les formes de discrimination. Alors que la Coupe du Monde de football féminin se déroule actuellement, l’ancien milieu de terrain international a lancé une pétition sur Change.org pour dire stop aux inégalités salariales. Entretien à vif avec un homme décidé à œuvrer vers l’égalité.

Ce n’est pas la première fois que vous prenez la parole pour lutter contre les discriminations dans le sport et dans la société en général…

Je me bats contre les discriminations. Je les subis. Je ne suis pas une femme mais je suis quand même un homme noir, et je me bats contre toutes les discriminations. Et je vais continuer car je ne veux pas vivre dans ce monde, et sans arrêt être confronté au sexisme et au machisme. Tout comme les femmes autour de moi, j’ai deux grandes sœurs. J’ai été élevé et éduqué à un endroit où on ne laisse pas passer ça. Il faut faire avancer les choses et les salaires représentent quelque chose de très important. Et le foot, qui parfois montre l’exemple, pourrait le faire.

 

 

Si les joueuses de Corinne Diacre gagnent la Coupe du Monde, leur prime de la Fédération Française de Football sera dix fois moins importante que celle touchées par les joueurs de Didier Deschamps. C’est notamment la cause de votre pétition…

La FFF gère le foot français. Elle est rattachée à un ministère, donc elle a certainement une délégation de service public, elle est aussi d’intérêt public et doit agir pour le bien commun. J’imagine que dans ses statuts elle a quelque chose qui dit de se rassembler, de créer du lien social, de lutter contre les inégalités, ou de faire en sorte que tout le monde soit traité d’une manière équitable. Donc ça me semble évident que, dans un endroit comme le foot, les filles et les garçons soient traités de la même manière. Idem en entreprise. Souvent, à compétence égale, les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes salaires. Là, pour le coup, la Coupe du Monde, qu’elle soit féminine ou masculine, c’est à compétence égale et à niveau égal. Donc c’est le moment d’équilibrer tout ça.

 

 

Les instances justifient cette différence par rapport à ce que génèrent les Bleues en terme de recettes, via les droits de retransmission télévisée et les accords de sponsoring. Qu’en dites-vous ?
En fait, c’est le système qui a créé cette inégalité. Il faudrait attendre que le système règle cela pour que l’on avance. Non ! On a fait en sorte que les femmes ne génèrent pas assez d’argent et maintenant on prend ça comme excuse. Cela ne marche pas. Ce n’est pas logique. Les footballeuses américaines, qui sont les meilleures joueuses du monde et qui ont gagné trois fois la Coupe du Monde, évoluent dans un pays où le foot féminin marche mieux que le foot masculin. Et pourtant elles sont moins bien payées. Donc ça montre bien que ce n’est pas dû au montant des recettes. Tout cela est un faux débat. La FFF doit être équitable. C’est très important de rééquilibrer les salaires, cela montrerait qu’on traite pareil la femme comme l’homme partout dans la société.

«Cela montre dans quelle société on vit. Celle de l’homme dominant»

C’est une manière de vous battre pour l’ensemble des femmes ? 

J’aimerais bien que le football soit un endroit où de nouveau ça marche. Regardez ce qu’il s’est passé avec la 2e Coupe du Monde remportée l’an dernier chez les hommes. J’ai toujours considéré le foot comme un vecteur de rassemblement et de mixité. Faire la passe à son pote, c’est ça le foot. Les garçons ont récemment été décorés à l’Elysée, car c’est eux la belle image de la France. Si le foot pouvait montrer l’exemple, ce serait génial.

 

Toutes ces récompenses et la joie procurée par le groupe de Didier Deschamps ne cachent-ils pas la réalité, notamment vis-à-vis de ce que peuvent vivre les clubs dans le monde amateur ?

C’est souvent lié au contexte social. Moi qui vient d’un quartier, j’ai vu le tissu social s’abîmer immédiatement quand le chômage est arrivé. Donc on ne va pas faire porter ça au football qui a plutôt tendance à récupérer plein de situations. D’ailleurs, on ne joue plus au foot pour s’amuser, mais pour se réinsérer, et malheureusement on est obligé de le faire.

 

Tout cela ne résume-t-il pas un état d’esprit global qui va bien au-delà du football ?

Evidemment, il y a une éducation à faire. Cela montre dans quelle société on vit. Celle de l’homme dominant et patriarcal qui a peur de perdre sa position. D’ailleurs la FFF est dirigé par un homme, blanc.

 

Aimeriez-vous être rejoint dans votre appel par d’autres personnalités du monde du football ?

J’aimerais bien, par des joueurs en activité ou non. Regardez Griezmann, il a fait la une de Têtu. Si on les mobilise, si on les réveille, peut-être qu’ils se bougeront. Moi ce que je demande, c’est un rééquilibrage. Il suffit de prendre l’argent des femmes et des hommes, on le mélange et on le redistribue de façon équitable. Il est possible par exemple d’organiser un transfert, comme en Norvège, d’une partie des montants des recettes de sponsoring, récoltée par l’équipe masculine vers l’équipe féminine.

 

 

Qu’est-ce que cela représente ?

C’est 30% de ce que ça génère. Mais ça devrait être 30% de ce que touche la FFF. Car la Fédération travaille pour le football français. D’ailleurs la FFF n’a pas dans son objet social l’obligation de gagner la Coupe du Monde. Cela n’a rien avoir. Elle a l’obligation d’organiser le football à travers la France dès les plus jeunes.

«Il faut vraiment que ceux qui nous dirigent changent, qu’il y aient des Noirs, des Arabes, des femmes»

Vous êtes-vous rapproché des instances, telles que la FFF ou le ministère des Sports, ou avez-vous été contacté depuis le lancement de votre pétition en ligne ?
Non. La Fédération ne l’a pas fait non plus. Elle peut le faire. Noël le Graët peut le décider, le proposer, le débattre, l’imposer, en discuter avec les joueurs de foot. Si on leur avait demandé de laisser leur place aux femmes au château de Clairefontaine début juin, ils auraient dit oui. Pour les primes, si on leur avait demandé leur avis pour les partager à parts égales, ils auraient dit oui, j’en suis convaincu. Mais il faut aussi que Noël Le Graët ait envie. Evidemment, c’est dirigé par des hommes. Leur truc des salaires, ce que ça génère, ça marche dans le privé. Mais dans le public, ça ne peut pas marcher.

Cette année encore, le racisme a résonné dans les stades de football. Prince Gouano, Blaise Matuidi ou encore Moise Kean ont été victimes de cris racistes. On a l’impression qu’on tourne en rond. Pourquoi les mentalités n’évoluent pas, voire régressent ?
Ce dont je suis sûr maintenant, c’est que ce n’est pas une priorité pour les instances dirigeantes. Ni pour la FFF, ni pour l’UEFA, ni pour la FIFA. Si c’était une priorité, des actions très fortes seraient menées. Ils ne s’intéressent qu’à la Coupe du Monde au lieu de faire en sorte que les gens vivent ensemble correctement. Je ne me sens pas du tout représenté par les instances dirigeantes du sport. Il faut vraiment que ceux qui nous dirigent changent, qu’il y ait des Noirs, des Arabes, des femmes,… Chez les dirigeants du COJO, le comité d’organisation des Jeux Olympiques de Paris 2024, je crois qu’il y a un Noir. Or, plus de 50% des athlètes qui apportent des médailles à la France sont issus des banlieues et sont majoritairement noirs et arabes. Et c’est partout pareil. A l’Unecatef c’est comme ça. On ne va pas nous dire qu’on n’a pas envie. Nous, on a envie, mais on ne nous donne pas la possibilité d’y être. Il faut cesser de définir des catégories en fonction des sexes.

«Je suis simplement le relais de plein de gens»

Selon vous, face aux actes racistes dans les stades, que doivent faire les joueurs sur la pelouse à l’instant T ?
Il faut que le show s’arrête. À chaque fois, tout le monde fait en sorte que ça continue. Puis ils disent qu’ils sortiront du terrain la prochaine fois. Puis la prochaine fois a lieu sur d’autres terrains, avec d’autres joueurs, d’autres publics, d’autres racistes. Et ils disent à nouveau qu’ils sortiront la prochaine fois. Donc, ce qui fait peur, c’est que le show s’arrête. En revanche, si on rentre sur un terrain en masquant les sponsors, ce serait une action très forte. Il faut le faire tout le temps, tant que la FFF, la Ligue ou d’autres instances ne réagissent pas. Il n’y a que les vrais acteurs qui doivent se mobiliser. La Norvégienne Ada Hegerberg boycotte par exemple sa Fédération. Elle a décidé de ne pas jouer la Coupe du Monde et ne sera peut-être pas Ballon d’Or. Son engagement, c’est du niveau de Colin Kaepernick qui en 2016 a mis un genou à terre pendant l’hymne américain pour dénoncer les violences policières touchant les Afro-Américains. En foot, les Américaines ont porté plainte contre leur Fédération. Ou encore Jimmy Durmaz de Toulouse qui va reverser les primes perçues lors des qualifications à l’Euro 2020 à ses homologues féminins de l’équipe de Suède.

 

Et vous, des terrains du Havre à ceux d’Italie, avez-vous subi des discriminations ?
Oui, je viens d’un quartier populaire du Havre. J’ai subi le racisme partout jusqu’à aujourd’hui. Je ne pouvais pas rentrer en boîte de nuit, j’ai eu du mal à trouver un appartement. Je me suis fait attraper par la police avec mes copains arabes et noirs. C’est toute ma vie. Il faut se battre. Je pense que le foot m’a beaucoup apporté. Il m’a fait voyager et sortir de mon quartier. Cela permet de casser les barrières. Et en tant que privilégié et chanceux, même si j’ai travaillé, j’ai une responsabilité. Je dois renvoyer l’ascenseur. Je dois me battre, je m’en voudrais trop. Car moi ça va. Mais c’est plus dur pour beaucoup d’autres qui n’ont pas eu le foot ou autre chose pour pouvoir avancer.

 

Que comptez-vous faire dans l’immédiat ?
Continuer à se mobiliser. Le discours dominant est puissant. Mais j’ai vu que plus de 25 000 personnes ont déjà signé la pétition. Cela signifie qu’il y a du monde. Il faut juste qu’on se fasse entendre. Je ne suis pas seul. Je suis simplement le relais de plein de gens. Il faut qu’on rêve à un monde meilleur. C’est faisable si nous sommes dans l’action. Mohamed Ali disait : Je ne peux pas être milliardaire et me la couler douce si mes frères souffrent.

 

 

Recueilli par Florian Dacheux

Pétition « Carton rouge contre les inégalités salariales » :
https://www.change.org/p/coupe-du-monde-féminine-carton-rouge-contre-les-inégalités-salariales

En parallèle de l’action menée par Vikash Dhorasoo, Safia Aouad, une joueuse qui évolue depuis plus de 10 ans dans plusieurs clubs et qui joue actuellement au Paris Féminin Football Club, a lancé la pétition « Pour un autre football au féminin » avec d’autres coéquipières. La joueuse de 31 ans demande expressément à la Fédération Française de Football d’assurer un suivi et une équité dans la répartition des budgets et des moyens : « Au niveau des fédérations et des clubs de foot, les clubs féminins passent après les clubs des garçons. Nous n’avons pas accès aux mêmes infrastructures, à la même visibilité, ni aux mêmes budgets ».

https://www.change.org/p/pour-un-autre-football-au-féminin

akim