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Avr / 08

Deux livres au coeur des extrêmes !

By / Marc Cheb Sun /

Grand-remplacés, Les territoires conquis de l’islamisme… Alors que l’un plonge au cœur d’une enquête fouillée sur la progression de l’idéologie salafiste dans les banlieues françaises, l’autre scrute les réseaux et l’infiltration des thèses d’extrême droite en France au cours de la dernière décennie. Deux enquêtes sociologiques d’ampleur qui mettent à jour les méthodes et la psychologie de ceux qui semblent vouloir conquérir le pouvoir en France et ailleurs. Zoom sur ces travaux qu’on aurait tort d’ignorer.

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Deux livres au coeur des extrêmes !

LES TERRITOIRES CONQUIS DE L’ISLAMISME

Bernard Rougier, coordinateur de cet ouvrage, est professeur des universités à la Sorbonne nouvelle et directeur du centre d’études arabes et orientales. Auteur de nombreux ouvrages sur la question, il a réuni un ensemble de chercheurs et d’étudiants pour mener cette enquête de fond sur différents axes de la question, qu’il s’agisse d’un focus sur un territoire donné comme la région toulousaine, Argenteuil, Aubervilliers, ou encore des angles plus thématiques -librairies confessionnelles, question décoloniale, infiltration de l’islamisme dans l’antiracisme, présence dans les prisons…

Dès l’introduction, l’auteur principal s’attache à distinguer l’islam de l’islamisme, afin de ne pas prêter le flan aux critiques d’islamophobie et aux amalgames entre les musulmans et ceux qui dévient. L’aspect le plus intéressant est le décryptage du début entre les différentes mouvances du salafo-wahhabisme, ainsi que leur historique dans le cadre du contexte international. On décrypte les notions clés, les références des livres auxquels ces mouvements se réfèrent, leurs rivalités, l’évolution de l’industrie éditoriale, celle des pratiques de recrutement, la question de l’influence des imams étrangers et l’analyse des réseaux internet qui recrutent.

La critique qu’on peut émettre est que le livre soit principalement rédigé par des étudiants chapeautés par des chercheurs qui signent les chapitres, ce qui peut être de nature à discréditer le travail. Cependant, à la lecture, on sent un travail sourcé et qualitatif qui mêle observations sociologiques sur le terrain et enquête bibliographique pour le recul de l’analyse. Sa rédaction a duré deux ans.

On peut cependant émettre un bémol sur le chapitre concernant le mouvement décolonial, où l’on se consacre surtout à la manière dont les islamistes se serviraient de la question post-coloniale pour infiltrer l’université et la militance. Mais l’ouvrage a le mérite de décrypter de nombreuses notions, de donner énormément de sources qui permettent de se forger une opinion et surtout de montrer à quel point l’islamisme est une démarche politique qui se sert du religieux et de moyens sectaires pour acquérir le pouvoir. On peut difficilement taxer l’ouvrage de partisan : il analyse des faits et pratiques plus qu’il ne propose de grille d’analyse toute faite, il étudie la question sous plusieurs angles.

Le seul sujet qui demeure absent de l’ouvrage concerne l’attitude du pouvoir face à ces entreprises islamistes, (attentisme, collaboration, stigmatisation…), ainsi que la politique de la Ville qui a contribué à créer des enclaves propices à développer ce phénomène. Il n’y a aucune critique sur cette question et c’est dommage car elle fait également partie du problème.

 

LES GRAND-REMPLACÉS

Paul Conge est journaliste, il collabore régulièrement avec l’Express, Marianne et Explicite. Sa plongée dans la galaxie des sympathisants d’extrême-droite nous embarque dans un univers que nous avons tous découvert via les réseaux sociaux, mais dont la majorité ne mesure pas la profondeur. Nous voyons tous évoluer le vote FN-RN, mais ignorons comment cette progression opère.

Si les enquêtes répétitives de la presse sur le voile ou la violence en banlieue ont forcément leur rôle dans le développement de cette fracture identitaire, le problème est plus profond et subtil. Aussi cette immersion dans la psyché de la figure du « petit blanc » est intéressante à plusieurs égards.

Elle se fait sur la base d’interviews de personnes réelles, sur leur parcours, sur la manière dont ils ont été séduits par les thèses d’extrême-droite, la façon dont ils se sont défaits de la culpabilité du racisme assumé, ainsi que le dépoussiérage d’idées et d’ouvrages nauséabonds.

On découvre également comment la fachosphère infiltre le milieu des jeux vidéos (notamment Fortnite) pour recruter de plus en plus jeune, comment on les retrouve dans l’univers du coaching amoureux, de l’édition et la presse dissidente. Paul Conge s’intéresse aussi aux influenceurs, à ceux qui émigrent vers l’est de l’Europe pour se retrouver entre Blancs et conquérir ces nouveaux pays, aux trolls qui gangrènent le Net, aux masculinistes qui pensent que la féminisation du monde est un nouveau totalitarisme, à ceux qui appellent de leurs vœux une dictature en France, à ceux qui rêvent du retour de la monarchie et, surtout, à ceux qui s’organisent pour que, dans un avenir proche, ces idées triomphent et qu’on en vienne à une guerre ethnique qui aboutira à minima, à la ré-émigration des minorités visibles françaises, si ce n’est pour les plus radicaux, à leur élimination.

Les ouvrages de Zemmour ou de Laurent Obertone valident leur vision du monde, le journal Valeurs Actuelles s’inspire des codes esthétiques de leurs influenceurs. Alain Soral est un de leurs gourous, ils ont des symboles et des références, codes visuels et vestimentaires bien à eux, et  recherchent toutes les thèses scientifiques racialistes qui confirment leur lecture du monde.

Loin d’être un ouvrage alarmiste, il dresse surtout le constat de la progression rampante d’une idéologie dangereuse. Les chiffres de vente des ouvrages de cette mouvance ou le succès de leurs influenceurs donnent la mesure des points qu’ils marquent et de la banalisation de leurs idées.

 

Les points communs entre les sujets de ces livres 

Il est frappant de constater que pour ces deux sujets d’étude, la vision du monde est partisane, ils divisent le monde en deux, ceux qui pensent comme eux et ceux qu’il faut réduire au silence. Les deux groupes chassent parmi les personnes en demande de « famille » symbolique et d’outil de pensée simple. Les sympathisants de ces idéologies étaient auparavant des personnes lambda que la vie a parfois éprouvé (viol, agression, sentiment de déclassement social). Des rencontres réelles ou virtuelles ont suffi à les convaincre sur la base d’une perception qu’on peut étayer par des expériences vécues mal interprétées : discrimination, mise à l’écart, sentiment de faiblesse ou de régression, responsabilité d’un « autre » qui profite supposément d’un système. Et cet autre devient rapidement un ennemi, à réduire au silence ou à l’impuissance, voire à éliminer. « L’autre » perd rapidement son humanité, le sympathisant (islamiste ou extrême-droite), devient le seul détenteur d’une vision correcte de la réalité et celui qui est appelé à être dans le camp des vainqueurs. Une fois convaincu, il n’hésite pas à valider le meurtre ou la déportation, justifié par le fait que leur idéologie soit la seule valable et les gens qui s’y opposent des nuisibles qui gangrènent la société.

Dans les deux cas, les adeptes pratiquent la dissimulation, le double-discours permettant de cacher leur vraie opinion à la majorité et à ne la révéler que lorsqu’ils sont dissimulés par l’identité numérique fictive ou lorsqu’ils sont entre eux. Cela s’appelle la taqiyya pour les islamistes, mais les grands-remplacés la pratiquent tout autant.

Les deux sphères se réclament d’un passé glorieux, développant une vision historique qui valorise un hier enchanté que l’on aurait perdu : la période du prophète Mahomet, les grands empires théocratiques musulmans ou la conquête de l’Andalousie pour les islamistes ; le Moyen-Age, l’ère romaine, les monarchies, les dictatures viriles type IIIème Reich ou les Vikings pour les identitaires.

Aussi, au-delà du caractère informatif, il est réellement important de prendre la mesure de l’existence et du mode opératoire de ces deux mouvances effrayantes. Non pas parce que nous serions concrètement à l’aube d’un cataclysme, mais pour s’armer justement pour que celui-ci n’advienne pas. La majorité silencieuse ne se doute pas des démarches qu’entreprennent ces deux mouvances, tout comme les citoyens des années 1920 ne mesuraient pas l’organisation de ceux qui ont pris le pouvoir en Europe dans les années 30, à la faveur de la crise de 29. On aurait donc tort de sous-estimer leur force. La lecture de ces ouvrages, aussi imparfaits soient-ils, est importante pour comprendre ce qui se trame autour de nous, et se prévenir de l’un comme de l’autre.

 

Bilguissa Diallo

 

Les territoires conquis de l’islamisme, Sous la direction de Bernard Rougier, Ed PUF.

Les grands-remplacés, Paul Conge, Ed Arkhes.

Categories : Société
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Marc Cheb Sun