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Juin / 14

Cheveux crépus-frisés/ Des boucles en mal de formation

By / Florian Dacheux /

La France ne manque pas de salons de coiffure. Mais rares sont les professionnels capables de prendre en charge toutes les natures de cheveux.

Alors que les CAP et autres BTS tardent à inclure dans leur cursus des cours dédiés aux cheveux crépus-frisés, des experts tentent d’y remédier. Enquête autour d’une discrimination capillaire.

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Cheveux crépus-frisés

Des boucles en mal de formation

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Pourquoi, en 2020, les techniques de coiffage du cheveu dit crépu ou frisé ne sont toujours pas enseignées dans aucune des formations académiques publiques ? Pourquoi les salons traditionnels ne s’adaptent-ils pas et tiennent-ils autant à la segmentation ? La France serait-elle hermétique au style nappy ?

S’agit-il d’un sujet tabou ou d’une méconnaissance totale ? C’est ce qu’a essayé de comprendre dès 2005 Aude Livoreil-Djampou, une coiffeuse blanche docteure en chimie, qui a passé 17 ans chez L’Oréal. « A l’époque, je travaillais sur des produits capillaires qui m’ont amenée à me rendre plusieurs fois aux Etats-Unis et au Brésil. Il y avait un centre de recherche dédié à la peau et au cheveu afro à Chicago où je me suis entretenue avec des spécialistes. J’ai visité pas mal de salons au Brésil. J’ai vu dans ces deux pays une grande maîtrise du cheveu bouclé, frisé, crépu au sens large. » Sa rencontre avec son futur mari d’origine camerounaise va alors bouleverser sa vie. « Ma fille est née avec des cheveux très frisés et moi, je suis blanche aux cheveux raides. Je découvrais l’usage de la boucle à la maison au même moment que je rencontrais des professionnels. A part des Afro-descendants, personne ne savait officiellement coiffer le cheveu afro. Ce n’est pourtant pas vieux : c’était au moment de l’élection d’Obama. On peut le comprendre en 1950 mais pas en 2009. »

 

Une tentative de certification en stand-by depuis 2017
Nous sommes en janvier 2015 quand Aude décide de quitter L’Oréal pour fonder quelques mois plus tard la société Studio Anaé, un salon de coiffure mixé à un centre de formation pour toutes les natures de cheveux situé au cœur du quartier Latin à Paris. « Je suis allée voir la Fédération de la coiffure et le ministère de l’Education nationale pour proposer de co-construire un projet de développement d’une formation dédiée aux cheveux crépus. Là, j’ai réalisé que personne n’y connaissait quoi que ce soit. A la Fédération, ce sont tous des anciens coiffeurs mais ils sont tous blancs. » Auditionnée à plusieurs reprises, on lui promet la création d’un certificat de qualification professionnelle enregistré au répertoire RNCP. Cinq ans plus tard, aucune formation académique type CAP ou BTS présente à ce jour une filière spécifique. Selon Aude, le projet est suspendu depuis les derniers échanges avec ses interlocuteurs en 2017. Elle s’est donc associée à Clémence Mouellé Moukouri, experte en marketing digital, pour proposer des cours en ligne. Et les demandes affluent.

 

« Ils ne sont pas prêts à actualiser tout le référentiel de la coiffure »

 

En parallèle, et outre l’émergence de salons marginaux à l’image de l’illustre fief afro de Château d’Eau à Paris, plusieurs salons professionnels se sont ouverts, à l’instar de Hair Star à Châtelet ou GBS Concept à Montreuil. Sans oublier Boucles d’Ebène Studio, fondé dès 2011 à Bagneux. A sa tête ? Aline Tacite, une coiffeuse-formatrice pour tous types de boucles et locks réputée pour lutter, en salon comme sur la toile, contre la stigmatisation de la frisure depuis le début des années 2000. « Mon rêve, affirme cette influenceuse d’origine guadeloupéenne, c’est que toute personne portant le cheveu texturé, de la frisure la plus lâche à la plus serrée, puisse trouver facilement un salon. Il est temps que ça change. » Son but ? Réconcilier ses clients aux cheveux naturels avec leur image. A travers des ateliers dédiés aux parents ou avec ses premières interventions auprès d’élèves en CAP coiffure au Lycée professionnel Marcel Lamy à Bobigny, elle délivre peu à peu son savoir-faire. « Avec Bobigny, cela se met en route depuis l’année dernière. Je suis intervenue deux fois, par une conférence de sensibilisation sur le sujet et une formation qui intègre la partie barber. On essaie de développer des modules spécifiques mais il n’y a rien de concret pour le moment. Pourquoi cela traîne ? Ça me dépasse. Un gros travail a été fait par Aude. Tout est déjà écrit. Ce qui coince, c’est au niveau politique et économique. Mais bon on y croit. Depuis mon passage sur TF1 en novembre, j’ai été contactée par des coiffeurs, en province aussi, désireux d’être formés prochainement. Certains m’ont avoué être frustrés de ne pas savoir. C’est donc bon signe. » Ces collaborations naissantes vont-elles montrer la voie ? Pour Alexis Rosso, un visionnaire du milieu capillaire, le chemin est encore long avant qu’une majorité de professionnels veuillent bien désapprendre certains réflexes allant à l’encontre du cheveu naturel. « Pas mal d’acteurs ont poussé les portes pour pouvoir aller plus loin. Malheureusement ça n’avance pas, confirme ce coiffeur-formateur toute texture qui officie dans la mode et comme ambassadeur de la marque Mizani pour L’Oréal. Pour l’Union de la coiffure, ça signifierait l’actualisation de tout le référentiel de la coiffure, et le fait de reformer tout le monde. Cela, ils ne sont pas prêts à le faire. A un moment donné, il faudra bien qu’ils nous contactent car beaucoup de jeunes frappent à nos portes pour se former. J’espère qu’on n’en sera pas au même stade dans 10 ans. »


« Le seul moment où le cheveu crépu est mentionné, c’est pour le défriser »


Implantée dans le paysage français depuis plus de 130 ans, l’Union nationale des entreprises de coiffure (UNEC) est la première organisation professionnelle du secteur. Alors que le CAP Métiers de la coiffure vient pourtant d’être rénové, rien n’avance côté boucles. « Pourquoi ne pas ouvrir nos portes dans le cadre de la politique d’immigration à des coiffeurs compétents ? », avait suggéré Bernard Stalter, président de l’UNEC, en octobre dernier au célèbre magazine 60 Millions de Consommateurs.

Une proposition qui a eu le don d’irriter d’Aude Livoreil-Djampou. « Il y a plein de gens sur notre territoire parfaitement capables de partager leur savoir », rétorque-t-elle. Malheureusement décédé pendant l’épidémie du Covid-19, Bernard Stalter avait confié cet automne « travailler sur le sujet », admettant que « mettre en place un nouveau référentiel prendrait plusieurs années ». Contacté, son successeur Christophe Doré, très pris par les conséquences de la crise sanitaire et le plan de relance du gouvernement pour l’apprentissage, n’a pu répondre à nos sollicitations. Son service communication nous indique ceci : « Le process est extrêmement long et ne dépend pas que de nous. Le dossier n’a pas avancé. A l’heure actuelle, on essaie surtout d’apporter notre soutien aux entreprises de coiffure. » Autre difficulté rencontrée ? Le déblocage de fonds pour rémunérer des formateurs spécialisés. « Les CFA ou lycées professionnels n’ont même pas les budgets pour le faire, assure Aude Livoreil-Djampou. Comme ce n’est pas dans le programme, ils ne peuvent pas dégager un budget dédié. Le seul moment où le cheveu crépu est mentionné dans le programme du brevet professionnel, c’est pour le défriser. Ce qui bloque, c’est l’ampleur. Il n’y a aucun document pédagogique. Les écoles sont livrées à elles-mêmes. »

 

 

« Le système actuel ne croit pas à encore à ce que l’on peut apporter »

 

Pour John Dieme, co-fondateur de Groomer’s en 2015, un réseau de barbershop aujourd’hui présent de Saint-Denis à Arcueil en passant par Paris et même Angers, il y a bien des raisons d’y croire. Sa raison majeure ? La demande. Exponentielle. « Il y a un vrai marché. Aujourd’hui, la population a évolué mais le monde de la coiffure est resté ancestral avec des coiffeurs vieillissants. On est sur une nouvelle culture métissée, avec des gens qui assument la nature de leur cheveu, de leur identité. C’est une génération inspirée par les coiffures des stars, des footballeurs, de la culture urbaine, du rap qui a fini par remplacer la variété. » Avec son compère Boniface N’Cho, ils se définissent comme des entrepreneurs afropéens. Issus des quartiers populaires, ils n’ont pas peur d’affirmer une culture urbaine française nourrie de multiples influences. Les deux hommes collaborent aujourd’hui avec Nike ou encore Citadium. Et savent très bien ce qu’ils font. « Aujourd’hui, en vérité, le marché, on ne le voit pas venir, affine John. Mais quand la coiffure afro va véritablement se structurer, qu’on analysera la consommation et l’impact, le milieu va prendre le pli. Chez nous, les clients viennent tous les dix jours. Chez les traditionnels, c’est une fois par mois, voire tous les deux mois. Ce qui dérange, c’est le changement, l’inconnu. Le problème reste la formation. On ne traite pas le cheveu afro et ceux qui en ont besoin ne vont pas se former. Le système actuel ne croit pas encore à ce que l’on peut apporter. »


L’Oréal prend les devants
En attendant,
les coiffeurs et coiffeuses qui veulent s’initier ont le choix entre apprendre sur le tas, suivre le cursus d’un institut privé ou partir à l’étranger. Parmi les solutions, citons notamment l’école Olilor fondée par Francis Olilo à Noisy-le-Sec. Et l’arrivée aux affaires de L’Oréal qui, depuis janvier dernier, a officiellement lancé le premier Bachelor Coiffure et Entrepreneuriat.

Avec l’ouverture de Real Campus dans le quartier de Montparnasse à Paris, le groupe français a pour ambition « d’offrir aux jeunes talents de la coiffure de demain l’ensemble des outils nécessaires pour innover et repenser le parcours client afin de répondre aux nouvelles attentes des consommateurs », explique Nathalie Roos, directrice générale de la division produits professionnels. Une ambition confirmée par Aude Livoreil-Djampou, rappelée à la rescousse par son ex employeur afin de participer en transmettant ses compétences.

« C’est un véritable centre d’apprentissage et je suis très heureuse qu’ils aient fait appel à moi. La première promotion pilote a été lancée avec une vingtaine d’étudiants et nous avons commencé le travail. »

La formation sur cheveux frisés-crépus fait partie intégrante des trois années du Bachelor. A terme, Real Campus compte atteindre le cap des 150 étudiants en alternance par an. 

 

Demain, peut-être ?
Est-ce que l’aura de L’Oréal suffira pour faire changer les mentalités ? Rien n’est moins sûr. Alors que la coiffure, deuxième secteur de l’artisanat en France, compte désormais plus de 85.000 établissements et 184.000 actifs dans l’hexagone, ses professionnels tardent à se réinventer dans une France de plus en plus métissée. Les afros, tresses et autres vanilles dérangent-elles ? En nierait-on l’existence ? Le défrisage serait-il la condition imposée en sous-texte pour répondre à une norme sociale ? Pour Rokhaya Diallo, il n’y fait aucun doute. La norme blanche du cheveu lisse perdure toujours. « En France, la plupart des femmes noires et d’origine maghrébine se coiffent en modifiant la nature de leurs cheveux. Le lissage étant souvent la seule condition pour que les chevelures de nature crépue soient admises », écrit-elle dans son ouvrage Afro ! (éditions Les Arènes). Même Christiane Taubira, ministre de la Justice entre 2012 et 2016, avait été vivement critiquée par la classe politique pour avoir osé porter des nattes collées. C’est dire le retard pris par la France qui compte pourtant, selon le Conseil représentatif des associations noires, entre 18 et 20% d’afro-descendants, un chiffre à relativiser à l’heure où la collecte des statistiques dites ethniques reste complexe car en principe prohibée en France. Demain, peut-être, fleuriront des salons où chacun, quel que soit son origine, sera reçu dans le même lieu et avec la même expertise. Demain, peut-être, nous mettrons un terme au cloisonnement. Demain, peut-être.

 

Florian Dacheux

 

À lire sur D’ailleurs et d’ici :

 

Nappy

https://dailleursetdici.news/mode-et-beautes

 

Alexis Rosso

https://dailleursetdici.news/visionnaire

 

Groomer’s : https://dailleursetdici.news/groomers-barbershop-quand-la-creativite-des-quartiers-sublime-les-hommes

Florian Dacheux