Sep / 09
LIBÉRER LE CHEVEU AFRO
Visionnaire !
On le croise dans les coulisses de grands défilés, ou celles du show alternatif Labo ethnique. En studio, il modèle le style d’une star ou l’image d’une marque. L’enthousiasme toujours au rendez-vous. Il est comme ça, Éric Alexis Rosso : c’est la passion qui continue de le guider. Sacré parcours, jugez plutôt : vingt-trois années de coiffure (il commence à l’âge de quinze ans), des études internationales qui passent inévitablement par les États-Unis, temple de la black beauty, Miami, Atlanta, New York… et l’homme s’exalte encore lorsqu’il évoque son amour des cheveux texturés : « ondulés, frisés, crépus ». Un amour qu’il peut désormais afficher… « Ça n’a pas toujours été le cas. Lorsque j’ai commencé, seul le cheveu caucasien avait droit de cité. Certaines femmes assumaient leur texture différente pendant leur temps libre, mais surtout pas au travail, cela posait trop de problèmes. On était comme obligé de porter un masque. Aujourd’hui encore, il arrive d’entendre des remarques dévalorisantes. » Une passion qui le tient depuis l’âge de quatre ans, inspirée par sa mère, elle-même coiffeuse dans sa Guadeloupe natale. « Enfant, mon grand plaisir était de lui poser ses bigoudis. » Premières « têtes malléables » ? Des cadeaux qu’il reçoit dès neuf ans. « Bien plus qu’un simple plaisir : j’attendais de ma mère des avis exigeants. » Le professionnel était déjà là. Une passion, oui, mais conjuguée à un travail incessant. « Je me sens toujours en formation. Apprendre tout le temps, c’est ça que j’aime, et c’est une nécessité dans mon domaine. » Aujourd’hui ambassadeur d’une grande marque internationale de cosmétiques, Éric Alexis n’a plus seulement des doigts de fée, mais aussi l’œil d’un visionnaire. Et garde un sourire éternellement généreux.
Une révolution née pour durer
Twist out, Wash and go, TWA, Curl sealer1… Tout un jargon incompréhensible pour qui n’est pas initié. D’ailleurs d’où vient le mot Nappy ? S’il désigne au départ — et sur un mode péjoratif — la chevelure crépue, les femmes noires ont redéfini l’expression en natural and happy, « naturel et heureux » : s’assumer sans transformation. Rappelons la célèbre séance de défrisage racontée dans ses mémoires par le leader Malcolm X, comme une ultime concession à la norme blanche du cheveu lisse. Années 70, les Afros fleurissent avec l’émergence du mouvement socio-politique Black is beautiful.
Une affirmation américaine, la fierté d’être noir, vitale après deux décennies de tensions raciales et de lutte pour les droits civiques. L’activiste Angela Davis en est le symbole éclatant. Mais l’industrie cosmétique ne dispose pas encore des produits adéquats pour entretenir cette coiffure, par ailleurs mal perçue des firmes du fait de sa connotation rebelle. Trente ans plus tard, le sujet revient sur le tapis via internet. Cette fois-ci, ce ne sont plus les leaders qui montrent le chemin. « L’exigence des consommatrices a modifié le marché capillaire », explique Clarisse, fondatrice du site bellebene.com ! Comme elle, nombreuses sont les anonymes qui s’emparent du web pour transmettre leur savoir à toutes celles qui sont tentées par le Big Chop2. Of course, les Américaines gardent une longueur d’avance, mais la vague est mondiale. Dans leur sillage, des marques se sont lancées sur tous les continents où les Noirs sont présents. Il semblerait donc bien que le mouvement soit plus profond qu’une simple mode…
Auteur : Bilguissa Diallo
1. Twist out : lâcher de cheveux crépus
naturels, après avoir détressé ses cheveux.
TWA : Tiny Winny Afro (toute petite afro).
Curl Sealer : fixateur de boucles.
2. Big Chop : « grande coupe », le fait de couper les bouts défrisés pour retrouver sa vraie nature de cheveu crépu.