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Oct / 02

Sport et discriminations : immersion à Paris Xeme

By / Florian Dacheux /

Situé dans le Xeme arrondissement de Paris, le quartier de la Grange aux Belles, qui a construit sa réputation à travers le mouvement hip-hop des années 1980, n’en finit plus d’étonner. Soutenues par la ville, de nombreuses associations unissent leurs forces à travers des événements sportifs contre toutes les formes de discrimination et de violence. Reportage.

Sport et discriminations : immersion à Paris Xeme

Nous sommes samedi 25 septembre. Il est 11 heures et le soleil illumine les cornouillers du square Amadou-Hampaté Bâ, du nom de ce grand ethnologue malien et ambassadeur de la tradition peule. Nichés en plein cœur du quartier de la Grange aux Belles, entre la place du Colonel Fabien et le quai de Jemmapes dans le 10e arrondissement de Paris, les lieux abritent des familles aux horizons multiples. De toute culture et origine. Un quartier intimement représentatif de la France plurielle pour lequel s’engagent des dizaines d’acteurs. A commencer par Jeanne Baxerres, chargée de développement local pour la mairie du 10e, qui tente d’impulser une démarche commune et du lien entre chaque association de terrain. « Notre objectif est de travailler en direct avec les habitants, de rapprocher les jeunes, de faciliter l’accès aux droits, à l’offre culturelle et aux dispositifs de formations qualifiantes, confie-t-elle. C’est un quartier très chouette, qui reste malgré tout dans une forme d’enclavement. Nous sommes-là pour favoriser la mixité. C’est un quartier où il y a des difficultés mais c’est un quartier dont nous sommes fiers. On y retrouve une vraie solidarité. »

Le magnifique complexe sportif du TEP de la Grange aux Belles.

«Nos tournois de football servent à diminuer les rixes inter-quartier»

Cette solidarité, Bakidi Ebuya, une figure de la GAB, le surnom du quartier, la porte en lui depuis de nombreuses années. Avec deux amis d’enfance, il a fondé il y a deux ans l’association Come on Son dans l’idée d’utiliser le football pour lutter contre les phénomènes de rixes. « Nos tournois de football servent à diminuer les rixes inter-quartier, affirme ce coordonnateur de classes relais encore profondément marqué par la mort d’un jeune de la Grange aux Belles à la suite d’une rixe entre bandes rivales en juillet 2018. Nous-mêmes, plus jeunes, on remarquait que nos matchs nous unissaient. Par le foot, on apprend à se connaître, on devient amis. On ne s’est jamais embrouillé avec un quartier avec lequel on a partagé un foot. Quand il y avait des altercations, ça finissait toujours par du dialogue car on avait partagé un beau moment. Nos tournois forcent cette rencontre qui ne se fait pas naturellement car les jeunes de quartier restent souvent clivés. » Alors que son association vient d’organiser deux tournois le 17 juillet et le 18 septembre en partenariat avec Gadiaga Sport Academy, Bakidi voit bien plus loin que le simple ballon rond. « Quand ce jeune, qui travaillait avec talent en pâtisserie, est mort, on a dit stop. Il n’avait rien à voir avec cette affaire. Il était tout simplement là au mauvais endroit au mauvais moment. Ces problèmes de rixe, on sait d’où ça vient : de l’ennui. Avec nos matchs, nos jeunes se préparent, se couchent tôt la veille, reprennent une alimentation saine et goût au sport. Certains se réinscrivent en club. Et le club, c’est une hygiène de vie, deux ou trois entraînements par semaine, des rencontres en dehors du quartier. Tu te remets dans une vie sociale, tu évoques tes envies, tu crées de nouveaux contacts qui peuvent pourquoi pas t’apporter un stage ou un boulot. Cela redonne tout simplement de la motivation. »

Du hand et du basket contre l’homophobie et le sexisme

Le sport, c’est justement l’entrée par laquelle souhaite passer Jeanne Baxerres afin d’œuvrer sur d’autres sujets transversaux, à commencer par les discriminations. C’est ce dont il était question ce fameux samedi 25 septembre où trois associations ont uni leurs forces dans le cadre d’un tournoi mixte multisports organisé sur le magnifique complexe sportif du TEP de la Grange aux Belles. Un spot idéal, refait à neuf au pied des tours, où jeunes et adultes ont alterné hand et basket tout au long de la journée. Pour ce faire, des membres de Décalage étaient sur place. Fondée il y a 25 ans, cette association, dont le siège se situe dans le Marais, a pour but d’assurer une activité de handball pour l’intégration des gays, lesbiennes, bisexuel-le-s et transgenres et contre toute discrimination d’orientation sexuelle, raciste, politique ou religieuse. « Nous sommes le seul club de hand LGBT en France, précise Mai Peng, l’une des membres actives. Pour ma part, j’ai intégré ce club car je ne voulais pas revivre tous les préjugés que j’ai pu connaître au collège. Quand tu dis que tu aimes les filles, tu peux être vite jugée. Pour régler ce problème, je pense qu’on doit en parler davantage très tôt, dès l’école, et ne pas attendre l’adolescence. C’est pourquoi nous sommes ici, pour amorcer un échange avec les jeunes. Pour qu’ils sachent qu’on existe et qu’il ne doit plus y avoir de discriminations. Via le sport, on peut aborder d’autres sujets. C’est la première fois qu’on mène un tel projet. On espère qu’il y en aura d’autres bientôt dans le quartier et ailleurs. » 

Bakidi Ebuya et Veersingh Caleyachetty, deux acteurs majeurs de la Grange aux Belles.

« Transmettre cette idée de partage »

Habitué de la dalle de la Grange aux Belles, Veersingh Caleyachetty est un pur produit du quartier. A l’instar de Bakidi, il a également fondé son association il y a deux ans. Intitulée Quai de Jemmapes X, celle-ci œuvre pour davantage de mixité sur les terrains de street basket-ball. Convaincu par l’importance de croiser les regards, il a participé à la journée avec entrain. « Etant un passionné de basket, je me suis dit pourquoi pas utiliser les infrastructures du coin pour mettre en place des entraînements. On essaie surtout d’intégrer les filles sur les terrains en accès libre qui sont davantage fréquentés par les garçons. Depuis qu’on a organisé un tournoi dédié, elles reviennent chaque semaine. » 

 

Le TAP Grange aux Belles.

Alors qu’il a déjà un emploi en parallèle, Veersingh prend peu à peu goût à l’engagement associatif. Il poursuit : « Ce qui est beau dans le quartier, c’est que toutes les communautés vivent ensemble. Il y a par exemple une communauté juive et une communauté musulmane, et ils s’entendent très bien. Entre nous, à Jemmapes, nous sommes très ouverts et bons vivants. Quand il y a un nouveau jeune, on l’intègre au groupe, à la meute comme on dit. Quel que soit sa couleur de peau, son origine, son genre, il va se rendre compte qu’il est important. On veut transmettre cette idée de partage, c’est le but primaire de notre association. Si les jeunes sont habitués très tôt à être ouverts et à partager des choses, ça ne peut qu’être bénéfique pour la suite. Ils auront moins ce truc de juger quelqu’un d’autre en grandissant. »

«C’est la bêtise humaine qui est obèse»

En grandissant, les jeunes s’élèvent pour la plupart contre le racisme mais encore trop rarement contre l’homophobie, le sexisme, la LGBTphobie ainsi que la grossophobie. Pour interroger leur ressenti sur le sujet, les matchs de la journée ont été volontairement entrecoupés par des scénettes de théâtre forum animées par l’association L’Envers de l’Art qui intervient dans le quartier depuis trois ans. « On intervient sur des problématiques qui sont sujets à des discussions ou des amalgames en écrivant des scènes au plus proche des réalités », explique la comédienne Lauriane Lacaze. Ensemble, ils ont notamment abordé le cas d’une personne obèse confrontée à la réticence d’une coach de l’inscrire dans son club en raison de son poids. « C’est la bêtise humaine qui est obèse », a répondu du tac au tac un jeune garçon. Puis le cas d’un entraîneur de football lâché par ses joueurs en raison de son homosexualité avoué via le post d’une photo prise avec son copain sur les réseaux sociaux, à la suite d’un tournoi pourtant remporté par les siens. « On s’est rendu compte que certains jeunes se sont montrés très ouverts, et que d’autres, plus gênés, ont exprimé un réel blocage, avoue Lauriane. Nous sommes là pour faire évoluer les mentalités et on a conscience qu’il faut renouveler ces actions. Plus on en parlera, plus ça fera bouger les choses. » Présent pour accompagner des collégiens du collège Valmy, Alexandre Alpha, coordinateur du dispositif Action Collégiens, corrobore : « Mon rôle est d’effectuer une mission de prévention en ayant un pied à l’intérieur et à l’extérieur du collège. C’est pourquoi ce type d’action nous intéresse particulièrement pour associer nos jeunes aux projets interdisciplinaires menés dans le quartier. » 

Scénettes de théâtre forum avec l’association L’Envers de l’Art.

Agir avant qu’il ne soit trop tard

De passage ce jour-là, Brigitte Jakobowski fait également partie de ces personnes indispensables à la vie quotidienne de la Grange aux Belles, si bien que son entourage l’a poussé à créer une association. En tant que présidente de l’association MAGAB (Les Mamans de la Grange aux Belles), elle anime notamment des ateliers de lecture au collège de la Grange-aux-Belles et sensibilise les plus jeunes à l’environnement. Mais, en réalité, cette médiatrice vient bien au-delà, en agissant bien souvent avant qu’il ne soit trop tard. « Cela fait plus de 15 ans que j’empêche nos jeunes de faire des conneries, lâche-t-elle. La GAB, c’est un quartier en éveil. C’est comme une casserole sur une cuisinière qui peut déborder à tout moment. J’ai toujours un œil pour apaiser le quartier. Je suis dehors du lundi au dimanche. Je dis aux enfants qu’il ne faut pas lâcher l’école et qu’il faut savoir choisir le bon chemin. Nous avons des ambassadeurs du tri et on essaie de faire respecter des règles simples comme le respect, le dialogue, éviter les bagarres ou les gros mots. J’essaie aussi de faire sortir les personnes âgées isolées en leur proposant des promenades. » Des actions qui portent leurs fruits, à l’instar de celles portées par Come on Son dont le président Bakidi est particulièrement fier du parcours de Moutanabi Bodiang et Suso Moussa, deux jeunes originaires du quartier qui ont signé respectivement au PSG et au RC Strasbourg cet été. « Maintenant que nous avons monté une association, on peut communiquer avec des instances et avoir accès à des informations que nous n’avions pas. Le bailleur Paris Habitat nous connaît désormais et on a réussi à placer deux jeunes en formation en tant que gardien d’immeuble dont un qui a signé un contrat. Par mon job, j’ai réussi à placer deux jeunes en tant qu’assistant d’éducation. Un collègue fait de même dans la restauration. Car on ne veut surtout par leur mentir. Dans le foot, il y a beaucoup d’échec et il faut conserver un plan b. C’est pourquoi on a mis en place un contrat de réussite qui permet d’accompagner un jeune vers l’aboutissement de son projet professionnel avec de l’aide aux devoirs et des pistes pour des formations. » L’association Come on Son agit également sur le volet musical. Outre une mise en réseau pour des enregistrements en studio et une sensibilisation à l’ensemble des métiers de la musique, des jeunes talents participent à des scènes ouvertes à l’issue de certains tournois de foot, rappelant les sessions open mic organisées ici même par DJ Chabin de 1983 à 1987 ou encore les paroles de Doc Gynéco qui n’hésitait pas à citer la GAB dans son album Première Consultation sorti en 1996.

De nombreuses autres actions de sensibilisation à travers le sport vont avoir lieu courant octobre.

Ex-aequo…

Heureuse de la dynamique en place, Jeanne Baxerres n’entend pas lâcher ses protégés de sitôt. Toutes et tous se reverront prochainement place Robert Desnos où Shizen-Sport-Truck proposera une occupation d’espace ludique et utile autour du sport, avec ring de boxe gonflable, matériels de fitness et circuit de cross training. Le 14 octobre, la médiathèque Sagan accueillera une soirée projection-débat autour de la série documentaire Ex-aequo, en présence du réalisateur Jean-Charles Mbotti Malolo et de Marc Cheb Sun, le directeur éditorial de D’Ailleurs & D’Ici. Le lendemain, une soirée théâtre forum aura lieu aux Petits Poètes pour parler d’égalité dans le sport. Sans oublier les tournois de football du 31 octobre et du 7 novembre au TEP Grange aux Belles dans le cadre des activités coups de pouce de Ngamb’Art. « Le but final, c’est de créer davantage de passerelles entre les tournois de sport classiques et la visée réflexive sur plusieurs sujets de société, se félicite Jeanne Baxerres. On va y arriver. C’est déjà une belle réussite. Des liens se créent et on va continuer à utiliser le sport pour travailler sur les discriminations, l’orientation professionnelle, les rixes, l’égalité filles-garçons. On essaie également de rapprocher les jeunes des institutions que l’on peut retrouver dans une ville en répondant au plus près de leurs besoins. Ils ont souvent des difficultés à pousser certaines portes. On est là pour éviter toute forme de repli sur soi ou de défiance envers une institution. » Des mots pleins d’espoir. Des témoignages qui font du bien à l’heure où la théorie du grand remplacement et tout un tas d’amalgames sont de plus en plus banalisés sur les plateaux de télévision. A l’heure où un certain Eric Z n’hésite pas à stigmatiser sans cesse l’islam et les musulmans ou à instaurer l’idée qu’il faille une francisation des prénoms. Non Monsieur. La France Plurielle est bien là. Sous vos yeux. Vibrante et belle. Prête à croquer la vie à pleines dents.

 

Textes et photos : Florian Dacheux

Soirée D’ailleurs et d’ici le 14 octobre à 19 heures 

Sport et discriminations – Vers l’inclusion de toutes et tous ?


Une soirée dans le cadre de la semaine parisienne de lutte contre les discriminations en partenariat avec  Bachibouzouk Productions et les équipes de développement de Paris Xème.

À la médiathèque Françoise Sagan, 8 rue Léon Schwartzenberg, 75010 Paris. Entrée gratuite sur inscription par mail à mediatheque.francoise-sagan@paris.fr
 

Projection de 5 épisodes de 10 minutes de la série Ex æquo, en présence du réalisateur Jean-Charles Mbotti Malolo et de l’athlète Nantenin Keita.
Une rencontre animée par Marc Cheb Sun

 

Découvrez des femmes et des hommes en lutte, sportifs et sportives de haut niveau, contre la société, contre leur destin, contre la bêtise, contre elles et eux-mêmes parfois. Ils et elles transforment les obstacles placés sur leur route en leviers pour déjouer les discriminations. Des personnes inspirantes… Des rencontres à partager.

Florian Dacheux