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Nous nous sommes rendus à l’Espace 93 de Clichy-Sous-Bois pour le vernissage de l’exposition pédagogique « Portraits de France ». Organisée par le groupe de recherche ACHAC en collaboration avec le Musée de l’Homme de Paris et à la demande de l’ANCT (Agence Nationale de la Cohésion des Territoires), l’exposition retrace 230 années d’Histoire de France, de la Révolution Française à nos jours. De Jean-Baptiste Belley à Gisèle Halimi en passant par Joséphine Baker, on y découvre les parcours de vie de 58 personnalités issues de l’immigration et des Outre-mer.
Une exposition pour reconnaître la diversité de l’histoire de France
Atravers le travail de mémoire effectué sur les immigrés et/ou les enfants d’immigrés qui ont marqué l’Histoire de France, cette exposition permet de visibiliser les quartiers dont les habitants sont souvent issus de l’immigration. Pour l’islamologue et politologue Rachid Benzine, c’est en effet une question de justice sociale : « Le travail de mémoire que nous avons effectué permet de se retrouver dans le récit national français. La complexification de l’intrigue dans le récit national empêche de tomber dans le piège de l’identité ». Pour gagner la « guerre des récits », la question de la reconnaissance implique une mise en commun des narrations. Tant qu’un travail de mémoire totalement transparent n’aura pas été effectué, l’ « identité française » restera inachevée. Selon Aurélie Clémente-Ruiz, directrice du Musée de l’Homme, il s’agit de donner résonnance à des personnages dans une dimension institutionnelle : « Être en empathie avec les personnages permet de découvrir des moments de l’Histoire de France ». Tandis que l’immigration s’est développée de manière transversale aux institutions, comment répondre à cette légitime revendication de reconnaissance nationale. Alors que certains blocages subsistent, « nous devons sortir des frontières et prendre l’histoire de la France dans sa complexité », explique Naïma Huber Yahi, chercheuse associée à l’URMIS (Unité de Recherche Migration et Société). Afin de dépasser ces obstacles ainsi que rompre avec l’imaginaire coloniale de l’Empire, les intervenants invitent à bousculer nos représentations : « C’est en faisant le deuil que nous parviendrons à apaiser les mémoires et ainsi à transformer nos imaginaires », insiste Rachid Benzine. L’écrivain franco-marocain interroge la « crise d’incarnation » de la France : « Dans quelle mesure devons-nous se l’approprier et produire autre chose ? ». Pour l’historien Pascal Blanchard, commissaire de l’exposition, nous nous retrouvons face à la demande de nouveaux héros. Le déboulonnage des statues « monumentales » pose le problème de la « totalité ». Etant donné qu’une réconciliation « totale » des mémoires est impossible, un travail de médiation efficace implique de regarder l’esclavage en face. C’est en affrontant la violence de ce passé que des modes de vie et de connaissance communs pourront émerger et pacifier la société française. On comprend alors comment la question de la position dans l’espace public est essentielle. Il s’agit de faire l’équilibre entre les héros du passé et du présent. Selon Rachid Benzine : « La France se croit comme un tableau d’un Renoir alors qu’elle a la gueule d’un Picasso ». On ne cessera de répéter que c’est à travers un travail d’appropriation de la mémoire que la pacification de la société française pourra véritablement se concrétiser. Afin que, souligné par Aurélie Clémente-Ruiz, « le présent et l’avenir puisse être éclairé par la profondeur historique du passé mémorisé ».
Ekim Deger