Mai / 04
Conçue par Stéphane Foenkinos et Pierre-Alain Giraud, d’après Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin de Tania de Montaigne, l’exposition éponyme nous plonge dans l’Alabama des années 1950, à l’époque de la ségrégation. Expérience en réalité augmentée, cette installation inédite (première mondiale), proposée jusqu’au 29 mai 2023 par le Centre Pompidou à Paris, est à la croisée des arts numériques et du spectacle vivant. Pendant trente minutes, les spectateurs suivent Claudette Colvin, 15 ans, qui le 2 mars 1955 refuse de céder son siège à une passagère blanche dans le bus.
Claudette Colvin, celle qui a dit non avant Rosa Parks
Mercredi 3 mai 2023, il est 12h lorsque nous prenons place au Forum -1 du Centre Pompidou à Paris. Invités à laisser nos affaires aux vestiaires et à couper notre smartphone, nous nous équipons d’un casque de réalité augmentée et d’écouteurs avant de pénétrer dans un décor minimaliste. Guidés par la voix de Tania de Montaigne, autrice du livre Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin (Grasset, 2015), qui a inspiré l’installation immersive éponyme, nous plongeons dans le Sud des Etats-Unis, du temps de la ségrégation. À cette époque, les lois Jim Crow contraignent les Noirs à un statut de sous-citoyens. Ces derniers n’ont notamment pas le droit de monter à l’avant d’un bus. Si le bus est plein, ils doivent céder leur place aux Blancs qui voudraient s’asseoir… Du racisme jusque dans l’achat de chaussures pour lesquels ils devaient tracer l’empreinte de leur pied sur un bout de papier pour commander une paire à un vendeur… C’était hier. Sous nos yeux.
Multisensorielle, l’expérience est constituée d’archives et de vidéos projetées. Le casque permet de faire apparaître des hologrammes à taille humaine des personnages de cette histoire vraie. Nous sommes alors le 2 mars 1955 à Montgomery, en Alabama. Assise dans un bus, Claudette Colvin refuse de céder son siège à une passagère blanche. Soit neuf mois avant que Rosa Parks réitère ce geste que le récit officiel retiendra. Nous assistons à l’arrestation de Claudette, puis à sa condamnation, jusqu’à l’organisation du boycott des bus de Montgomery du 5 décembre 1955 au 20 décembre 1956, événement majeur du mouvement des droits civiques. Grâce à la réalité augmentée qui nous immerge dans l’histoire, nous sommes, tels des témoins, invités à comprendre les mécanismes du racisme et à ressentir au fond de soi ce qu’a pu vivre Claudette Colvin. Du racisme en réalité augmentée donc, le tout accompagné par les chants de Nina Simone, Mahalia Jackson ou encore Ray Charles. Pour Tania de Montaigne, « cette forme nouvelle est l’aboutissement formel de ce récit, la synthèse de mon écriture narrative, et la matérialisation du retour du refoulé qui m’a guidée, de ces mémoires fantômes qui hantent encore et toujours notre présent. [C’est] un instrument inespéré pour faire connaître l’histoire d’une femme ordinaire et extraordinaire, sa volonté de fer, sa fragilité, sa candeur au milieu d’une époque et d’un système absurdes. »
Pourquoi Claudette Colvin a-t-elle été oubliée si longtemps ? « Parce qu’on a jugé que son image à elle (ndlr : Rosa Parks) était plus acceptable que la mienne, expliqua l’intéressée à CNN en février 2021 à l’occasion du Black History Month. Plus efficace pour convaincre l’Amérique blanche. Moi j’étais une adolescente, qu’on disait un peu folle, et qui plus est à la peau plus foncée. » Aujourd’hui âgée de 83 ans, elle vit toujours en Alabama. A Montgomery, une rue porte son nom et une journée annuelle la célèbre en mars. De notre côté, on ressort à la fois ému et en colère de ce saut dans le passé saisissant. Conscients que le combat contre le racisme n’est pas terminé.
Florian Dacheux
Jusqu’au 29 mai 2023, de 11h à 21h, tous les jours sauf mardis.
Ne convient pas aux enfants de moins de 13 ans.
Réservation fortement conseillée.
Nombre de places limité à 10 spectateurs par créneau.