Juin 2021 – Enfants déracinés : rencontre avec Valérie Andanson

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Juin 2021 – Enfants déracinés : rencontre avec Valérie Andanson

By / Florian Dacheux /

Dans le cadre de notre atelier dédié à l’histoire de l’Ile de la Réunion et des « Enfants dits de la Creuse », quatre jeunes de Torcy (Ile-de-France) et quatre jeunes de St Denis La Réunion (Ile de La réunion)  ont interviewé le 19 mai 2021 Valérie Andanson, la porte-parole de la Fédération des Enfants Déracinés des territoires d’outre-mer. Rencontre avec une battante, victime de cette migration forcée à l’âge de 3 ans.

Juin 2021 – Enfants déracinés : rencontre avec Valérie Andanson

Pouvez-vous nous présenter la Fédération des Enfants Déracinés des territoires d’outre-mer ?
La FEDD a été créée en 2015 sous l’impulsion des associations Rasinn Anler, Couleur Piment Créole et Les Réunionnais de la Creuse, rejointes en 2019 par Rasine Kaf. Notre objectif est de faire reconnaître l’histoire des enfants réunionnais exilés de force de 1962 à 1984. Plus de 2000 enfants nés à La Réunion ont fait l’objet de transferts forcés vers la métropole, afin de repeupler des départements touchés par l’exode rural. Ces enfants étaient généralement issus de classes pauvres. Beaucoup de familles ont agi sous la pression d’une administration affolée par la croissance démographique, en signant les autorisations exigées. D’autres ont été mises devant le fait accompli. Les parents étaient convaincus que leurs enfants partaient pour un meilleur avenir et qu’ils reviendraient régulièrement dans l’île. Mais la plupart n’ont jamais pu revoir leurs enfants. C’est pourquoi on parle de l’affaire des enfants dits de la Creuse.  

 

Quand avez-vous découvert cette histoire ?
Pour ma part, j’ai été exilée à l’âge de 3 ans dans la Creuse avec toute ma fratrie. Quand nous sommes arrivés à Guéret en 1966, nous avons tous été séparés. Je me suis retrouvée dans une famille d’accueil où j’ai été maltraitée pendant quatre ans, puis j’ai été adoptée à l’âge de 7 ans par une famille aimante. J’ai vécu des années de mensonge. La couleur de peau, les cheveux frisés, etc. Tu te poses des questions. Avec mes frères et sœurs, nous nous croisions dans Guéret sans savoir que nous étions frères et sœurs. Ce n’est qu’à l’âge de 16 ans que j’ai découvert mon adoption et toute l’histoire. Ça a été un choc terrible. J’ai alors décidé de retrouver ma famille. C’était un moment intense. J’avais des questionnements depuis des années, sur mes parents qui n’étaient pas mes parents, sur mon autre nom, mon autre prénom, mon autre lieu de naissance. C’était un tsunami. Aujourd’hui, je vis toujours avec une fausse identité. Cela signifie qu’il y a eu des falsifications dans les documents.

« Nous sommes une mémoire vivante »

Qu’est-ce qui a motivé votre combat ?
Il faut d’abord bien comprendre qu’il s’agit d’une histoire transgénérationnelle. Il y a plusieurs victimes : les exilés, les parents, les familles à la Réunion, les familles en métropole, et nos enfants. Nous sommes une mémoire vivante. L’exemple vivant de ce qui ne devrait jamais être fait. Le combat que l’on mène, c’est vraiment pour la reconnaissance de cette histoire, afin que ça ne se reproduise plus. 2015 enfants, c’est quand même grave. C’est une affaire d’Etat. Et ce qui motive notre combat, c’est pour les droits de l’enfant pour aujourd’hui et pour demain. Car il existe encore aujourd’hui des placements compliqués, des adoptions difficiles. Dans nos parcours, il y a eu des victimes qui ont subi des violences, des maltraitances, du racisme. Aujourd’hui, on souhaite aller au-delà de tout cela, en arrivant à trouver ce chemin de la résilience. Car pour pouvoir avancer, il faut savoir qui on est et d’où on vient. 

 

Depuis la création de la FEDD, qu’avez-vous obtenu de l’Etat ?
En février 2014, la députée de la Réunion Ericka Bareigts soumet une résolution mémorielle au vote des députés. Le 18 février, le texte reconnaissant la responsabilité de l’Etat Français dans l’exil forcé des Réunionnais est adopté par l’Assemblée Nationale. Ils se sont tournés vers nous et nous ont applaudi. C’était très poignant. Et cela signifiait que notre histoire entrait dans l’histoire de l’Assemblée Nationale. Et ça, c’est quelque chose de très important. Mais on ne pouvait pas en rester là. On ne pouvait pas se contenter d’une résolution. Ce n’était pas une loi. On n’allait pas mettre ce papier dans un tiroir et s’arrêter là. C’est la première porte qui s’est ouverte. 

 

L’Etat a-t-il finalement reconnu une forme de culpabilité ?
C’est compliqué mais on avance. C’est un combat de tous les jours. Par la résolution à l’Assemblée, l’Etat, oui, a reconnu sa faute morale, mais pas sa faute juridique. Emmanuel Macron a envoyé une lettre en 2017 pour reconnaître qu’il y avait eu une faute de l’Etat de ne pas avoir su protéger les enfants. On avance donc doucement, grâce notamment à nos témoignages relayés sur les réseaux, mais aussi grâce à vos actions comme les vôtres car vous êtes la génération de nos enfants qui eux aussi ont souffert. D’autre part, il y a eu la mise en place en 2016 d’une commission nationale composée de cinq experts pour une étude historique et sociologique. Ces experts ont remis leur rapport en 2018. Celui-ci retrace les origines de cette histoire, les responsabilités de l’administration de l’Aide Sociale à l’Enfance et les conséquences pour les victimes. Le rapport demande notamment l’accès facilité aux dossiers individuels et une aide psychologique. La bonne nouvelle, c’est que l’on vient d’obtenir le 17 mai le dispositif d’aide psychologique adapté aux traumatismes de l’exil, par le biais d’une convention signée avec Marion Feldman, professeure de psycho-pathologie à l’Université de Paris Nanterre et spécialiste des traumatismes infantiles. C’est un grand pas en avant, même si on veut aller bien au-delà.

« Nous ne sommes pas là pour trouver un coupable. Nous sommes là pour nous reconstruire. »

Depuis 2017, vous avez également obtenu un voyage tous les trois à La Réunion n’est-ce pas ?
Oui, mais ce n’est pas suffisant. C’est Ericka Bareigts, ministre des Outre-mer, qui a décidé de mettre en place ce dispositif de billet aller-retour tous les trois ans avec une bourse de 500 euros. Mais uniquement pour les ex-mineurs. Ce qui est dommage car on aurait aimé élargir ce dispositif à nos enfants, nos conjoints. Car y retourner seul, c’est fracassant. Car en fin de compte, on ne sait pas d’où l’on est. Je dirais par exemple que je suis Creusoise d’adoption mais Réunionnaise dans le cœur, dans l’âme, dans le sang. Et on a beaucoup de difficultés à y retourner. C’est pourquoi le dispositif psychologique va beaucoup nous aider. Mais ce n’est pas suffisant. On vieillit. La plupart des victimes ont entre 45 et 80 ans. Il faudrait un voyage tous les ans. 

 

En décembre 2020, pour la première fois, vous avez effectué un voyage de groupe vers La Réunion. Racontez-nous…
On a commencé à mettre en place ce voyage en février 2020. C’était très important d’y retourner tous ensemble dans le but de nous réconcilier avec notre histoire, nos familles, La Réunion et les Réunionnais. Il faut savoir que sur l’île il y a beaucoup de déni et de culpabilité par rapport à cette histoire. Nos familles se sentent coupables de ce qui s’est passé. Nous étions 80 à partir en décembre, dont les experts de la commission nationale, Marion Feldman, ainsi que notre avocate Elisabeth Rabesandratana. Nous avons fait une conférence de presse à Saint-Denis afin de dire aux Réunionnais qu’il ne faut pas oublier. On a besoin de vous pour nous reconstruire. C’était un moment très fort et médiatisé. Nous ne sommes pas là pour trouver un coupable. Nous sommes là pour nous reconstruire. Il y a eu de très belles rencontres. Mais aussi des rejets, comme cette ex mineure qui a retrouvé sa maman biologique. Il y a eu un rejet total de la part de la mère. Pour ma part, cela a été une réussite. J’ai retrouvé mon papa biologique 58 ans après. Il a 84 ans et huit autres enfants. Après tant d’années, c’était très émouvant. Il m’a dit qu’il me suivait à la télévision. Il m’a dit : « Je savais que tu existais mais j’avais honte de moi ». Depuis, j’ai décidé de m’y installer en septembre prochain pour terminer le puzzle de ma vie.

« C’est l’histoire de France. C’est notre histoire. »

Qu’envisage la FEDD pour les prochains mois ?
Nous avons beaucoup d’actions à venir, dont une intervention auprès de jeunes dans des collèges et des lycées de Grenoble, et une exposition photo dédiée aux enfants dits de la Creuse aura lieu à Limoges en présence de l’ex-président François Hollande. On veut mettre en place un événement exceptionnel avec la Mairie de Paris au mois de novembre pour la journée de l’enfance, avec pourquoi pas un concours de dessin pour parler de la convention des droits de l’enfant. Sur le plan des témoignages, sont prévus un documentaire, une pièce de théâtre et une comédie musicale à La Réunion. Tout cela dans le but de témoigner et de dire aux victimes que nous existons. Car, sur les 2015 enfants transplantés, certains sont décédés, d’autres sont malades, certains ne veulent plus entendre parler de cette histoire et d’autres ne savent même pas qu’ils peuvent faire partie du dispositif. Enfin, la FEDD va représenter la France sur le plan européen à Berne en Suisse au mois d’octobre. Il n’y a pas que la France qui a connu ce type d’exils forcés. Il y a la Suisse, l’Allemagne, l’Espagne, l’Irlande, la Belgique, l’Italie, le Portugal, … Nous souhaitons nous associer sur le plan européen pour faire bouger nos gouvernements. Ce que l’on veut, ce sont des excuses publiques du gouvernement français.

Une reconnaissance au plus haut niveau pour demander pardon à ces enfants.

 

Que reste-t-il à obtenir d’un point de vue juridique ?
Notre avocate du barreau de La Rochelle, maître Elisabeth Rabesandratana, est très investie avec nous. Mais nous n’irons pas vers la justice traditionnelle car on va droit au mur. Il y a déjà eu des procès, jusqu’à la Cour Européenne. Et les victimes ont été débouté pour prescription quadriennale. Ce que l’on a vécu, les viols, les maltraitances, tout cela est prescrit. Nous allons nous appuyer sur nos homologues suisses qui ont obtenu une réparation financière à titre collectif. On va essayer de toucher l’Europe, voire l’ONU. Il y a tellement de victimes aujourd’hui dans la précarité, qui n’ont pas pu aller à l’école ni accéder à une situation. On ira jusqu’à la réparation financière si on peut. Nous travaillons également sur le volet de la mémoire et des ressources. On souhaite un lieu de mémoire à Guéret et à Saint-Denis, dans le même esprit que le Mémorial de la Shoah à Izieu. C’est l’histoire de France. C’est notre histoire, et c’est une nécessité de la faire entrer dans les manuels scolaires. On tient bon. On avance. Avec beaucoup de bonne volonté, je dirais que l’on s’en sort toujours. Retenez bien ça les jeunes!

 

Recueilli par Nour, Mathéo, Ibrahim et Quentin

Remerciements : Fédération des Enfants Déracinés des DROM.

Un atelier encadré par Marc Cheb Sun et Florian Dacheux de MultiKulti Média, en partenariat avec les éducatrices Elodie et Dominique.

Découvrez les articles et le reportage vidéo tourné en Creuse par les jeunes de ce même cycle d’ateliers entamé en 2019 :

Atelier D’ailleurs et d’ici, à la rencontre d’ex-enfants déportés de La Réunion – dailleursetdici.news

Atelier reportage Vidéo – dailleursetdici.news

Florian Dacheux