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Jan / 03

A Paris, les tirailleurs africains débarquent à Clignancourt

By / Florian Dacheux /

Alors que le film Tirailleurs sort en salles ce mercredi 4 janvier 2023 avec Omar Sy à l’affiche, la célèbre Porte de Clignancourt s’apprête à être rebaptisée « place des Tirailleurs Africains, dits tirailleurs sénégalais ». Initialement prévue en décembre, l’inauguration devrait avoir lieu courant février. Au-delà de la portée symbolique, il s’agit d’un moment historique dans la transmission de la mémoire de ces milliers d’hommes envoyés au front. Des milliers d’hommes trop longtemps invisibilisés dans l’histoire de France.

A Paris, les tirailleurs africains débarquent à Clignancourt

Il s’agit là d’un acte symbolique, profondément important dans la transmission de notre mémoire commune. Carrefour emblématique du nord de Paris, la porte de Clignancourt s’apprête en effet à devenir la « place des Tirailleurs Africains, dits tirailleurs sénégalais », en hommage aux soldats africains qui ont combattu pour la France lors des guerres mondiales. C’est ce qu’en a décidé à l’unanimité le Conseil de Paris à la suite d’un vote survenu le 17 décembre 2021. Un vote qui fait suite à une délibération portée avec brio par Mams Yaffa. « On a besoin de remettre cette histoire au goût du jour, notamment pour nos jeunes, affirme cet adjoint au maire du XVIIIe arrondissement en charge des sports et fondateur de l’association Esprit d’Ebène dans le quartier de la Goutte d’Or. C’est un chapitre de l’histoire de France qui fait encore défaut dans les programmes de l’Education Nationale. On nous parle par exemple beaucoup du débarquement de Normandie, mais très peu du débarquement de Provence et de cette division Leclerc qui a libéré les deux tiers du pays. Il faut faire en sorte de rééquilibrer l’histoire. » Dès son arrivée en tant qu’élu, Mams Yaffa n’a d’ailleurs pas hésité à intégrer la commission de dénomination des voies. « On a tendance à américaniser notre histoire alors que la France coloniale et post-coloniale a véritablement une histoire dont elle doit se saisir, poursuit-il. C’est pourquoi les noms de nos rues doivent être à l’image de ce qu’est la France dans sa diversité. »

« Un endroit que tout le monde connaît, au cœur du XVIIIe, un arrondissement cosmopolite »

Pour rappel, ce corps d’infanterie, créé par Napoléon III en 1857 au Sénégal, s’est ensuite élargi dans son recrutement à des hommes d’autres régions d’Afrique occidentale et centrale conquises par la France à la fin du XIXe siècle. Parmi les 200 000 tirailleurs qui ont combattu l’Allemagne lors de la Première Guerre mondiale, environ 30 000 d’entre eux ont trouvé la mort ou ont été déclarés disparus. Environ 175 000 Africains (du Sénégal, d’Algérie, du Maroc, du Niger, du Burkina-Faso, de Côte d’Ivoire, de Guinée, de Centrafrique, …) ont ensuite combattu pour libérer la France lors de la Seconde Guerre mondiale, notamment lors du débarquement de Provence. Sans parler de leur absence lors des défilés des troupes dans Paris en août 1944 ou encore du massacre de Thiaroye du mois de décembre de la même année où plusieurs dizaines d’entre eux sont morts, réprimés par l’armée française. Selon Aïssata Seck, qui milite depuis plus de dix ans pour la reconnaissance de leur histoire en tant que présidente de l’AMHTS (Association pour la Mémoire et l’Histoire des Tirailleurs Sénégalais), cette future place porte en elle un sens immense. « Ce n’est pas une petite rue ni n’importe quelle place, c’est quand même la porte de Clignancourt, confie-t-elle. C’est un endroit que tout le monde connaît, au cœur du XVIIIe, un arrondissement cosmopolite. Je suis super contente de voir ce projet aboutir. Il s’agit d’une grande avancée dans le travail de transmission qui sert aussi à lutter contre les discriminations et pour davantage de diversité dans nos institutions. Fédérer autour de cette histoire contribue de manière essentielle au maintien du lien social entre les personnes. »

« Nous avons besoin de ce récit pour notre construction autour de notre histoire commune »

Mais ce n’est pas tout puisque cette avancée intervient dans une période où le film Tirailleurs, présenté au Festival de Cannes en mai dernier, sort en salles ce mercredi 4 janvier. Réalisé par Mathieu Vadepied, celui-ci raconte comment Bakary Diallo (Omar Sy), un berger sénégalais, va s’engager dans l’armée française durant la Première Guerre Mondiale pour aider son fils enrôlé de force (Alassane Diong). Le choix de faire parler les personnages principaux en Peul est déterminant, notamment pour faire comprendre aux spectateurs qu’il s’agit d’hommes arrachés à leur terre, déracinés, envoyés dans l’enfer des tranchées pour le bien de la France… « Il s’agit vraiment d’un film émouvant et percutant, témoigne Aïssata Seck, elle-même petite fille d’un tirailleur resté au pays après la guerre et décédé en 1979. Dans notre société hyper divisée où la banalisation du racisme a encore de beaux jours devant elle, ce film peut faire du bien, notamment pédagogiquement. En tout cas, je l’espère. » Alors que l’inauguration de la place éponyme a été reportée suite aux différentes périodes électorales de cette année 2022, les porteurs du projet visaient une inauguration en grande pompe courant décembre. L’inauguration aura finalement lieu en février. Quel que soit le lieu et la date choisis, l’histoire courageuse de ces hommes, noirs et fiers, doit être transmise, au nom d’une France plurielle qui serait bien plus belle et apaisée si, enfin, elle osait se débarrasser de ses vieux tabous au goût amer… A quelques heures de la sortie du film, la fachosphère s’agite pourtant en coulisses… Omar Sy en prend pour son grade depuis sa dernière interview, accordée au Parisien, dans laquelle l’acteur n’a pas hésité à monter au front ardennais pour défendre l’histoire de ces tirailleurs dont beaucoup attendent reconnaissance et réparation, tout en affirmant son interrogation quant au regard porté sur la guerre en Ukraine et cette différenciation de traitement entre les réfugiés ukrainiens et les autres. Une position bourrée de sens de la part du natif de Trappes qui semble bien décidé à mettre en lumière ce pan de l’histoire depuis sa rencontre avec le réalisateur Mathieu Vadepied, il y a dix ans, sur le tournage d’Intouchables… « Nous avons besoin de ce récit pour notre construction autour de notre histoire commune », affirme Omar Sy. Il aimerait voir le film être diffusé dans les écoles. Le message a du mal à passer. Les médias débattent. Les élus écoutent, ou non. Et on attend. Douce France.

 

Florian Dacheux

(Illustrations AMHTS & Gaumont-Korokoro)

« Une satisfaction morale » : le soulagement des derniers tirailleurs sénégalais qui pourront retrouver leurs proches en Afrique et toucher leur minimum vieillesse
D’anciens tirailleurs sénégalais vont pouvoir rentrer définitivement dans leur pays d’origine, tout en continuant à percevoir leur minimum vieillesse, après une décision du gouvernement français, selon les informations recueillies par France Info mercredi 4 janvier 2023. Parmi ces anciens tirailleurs, la plupart sont nés au Sénégal, d’autres ont la nationalité mauritanienne ou malienne. Ces vétérans étaient jusqu’ici obligés de vivre au moins six mois de l’année en France pour percevoir leur minimum vieillesse. Or, ils mènent depuis plusieurs années une bataille administrative pour finir leur vie dans leur pays d’origine. En l’état actuel, seul le minimum vieillesse de 950 euros est concerné par cette « mesure de tolérance ». Une quarantaine de vétérans sont recensés par l’Office des anciens combattants, tous ont plus de 90 ans et ont combattu essentiellement en Indochine et en Algérie.

Les lignes bougent peu à peu
Alors que de plus en plus de travaux de recherche sont mis à la disposition du grand public, des élus se saisissent du sujet. Plusieurs monuments en hommage aux soldats africains existent en France, notamment en Provence, en Champagne, en Aquitaine ou à l’Ile-d’Yeu, théâtres de leur intervention ou de leur disparition. En Ile-de-France, la ville de Pierrefitte-sur-Seine a par exemple inauguré en septembre 2021 une place des Tirailleurs africains après avoir mis en place des ateliers pédagogiques avec des jeunes. Cette histoire est également très ancrée dans le territoire lyonnais où l’on commémore chaque année le massacre de Chasselay où 48 soldats du 25e régiment de tirailleurs sénégalais furent exécutés par les Allemands en juin 1940. Sans oublier la plaque inaugurée à Rouen en septembre 2020 pour rappeler le massacre d’hommes africains et antillais le 9 juin 1940.

Florian Dacheux