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Sep / 04

Tsiganes : le regard humaniste de Jeannette Gregori

By / Florian Dacheux /

Voici plus de dix ans que la photographe strasbourgeoise Jeannette Gregori réalise un travail de fond sur les communautés tsiganes de France et d’ailleurs. De l’Alsace à la Pologne en passant par les Saintes-Maries-de-la-Mer, ses rencontres avec des familles roms, manouches et gitanes se sont succédé. Posant ses objectifs le plus souvent sur les visages, elle s’est fondue dans ces moments intimes de la vie quotidienne. Au-delà de sa série entièrement en noir et blanc, Jeannette défend ici l’humanité de ces communautés face aux préjugés et à la méconnaissance. Entretien.

Tsiganes : le regard humaniste de Jeannette Gregori

Vous avez commencé par étudier la photographie à l’Université des Beaux-Arts d’Indiana aux Etats-Unis au début des années 1990. Quelles ont été vos premières inspirations sur place ?
Les banlieues, quartiers populaires et communautés noires de New-York et de Louisiane sont mes premiers sujets d’inspiration. Nous avions un laboratoire ouvert quasiment toute la nuit. Je réalisais mes propres tirages argentiques. Les travaux des femmes photographes américaines telles que Dorothea Lange, Mary Ellen Mark, Arlene Gottfried m’ont beaucoup inspiré au départ. De retour à Strasbourg, j’ai ensuite poursuivi ma formation avec des cours d’expression photographique à l’école des Arts Décoratifs, aujourd’hui HEAR (Haute Ecole des Arts du Rhin).

 

Jusqu’au jour où vous rencontrez une communauté de Manouches installés le long d’une route départementale à proximité de chez vous, n’est-ce pas ?
Oui, c’était l’été 2008. J’avais envie de m’intéresser à des communautés invisibles ou des communautés dont les droits à la dignité devaient être défendus. Cette communauté n’habitait pas loin de chez moi et un jour, alors que je me promenais à vélo, je m’y suis arrêtée pour me présenter et les rencontrer. Je leur ai ensuite demandé la permission de revenir avec un appareil photo. Ils m’ont vraiment bien accueillie. Cela a commencé comme ça. Une première série de photographies Enfances Tsiganes a été exposée à la Médiathèque André Malraux en 2009 lors des Journées Mondiales du Refus de la Misère puis au Conseil de l’Europe en 2010 afin d’appuyer les démarches du service Rom et Migration qui tendent à rétablir la dignité de ces communautés.

Jeannette Gregori

Qu’avez-vous ressenti dès vos premières rencontres ?
J’avais en moi au départ une vision totalement naïve. J’avais envie de photographier un sentiment de liberté, la vie en plein air, la joie des enfants, le respect des aînés. Puis au fil des années, mon regard a évolué. J’ai essayé d’intégrer d’autres éléments derrière cette apparence légère, comme la fragilité du statut de la femme, les problèmes d’accès au logement, la précarité, les discriminations ostensibles. J’ai pris conscience de leur réalité, notamment contrainte par les réglementations urbaines et les règles inhérentes à leur communauté.

 

Qu’entendez-vous par « la fragilité du statut de la femme »?
Même si d’apparence on pourrait croire à des communautés matriarcales, les femmes ont un statut assez complexe et difficile. Elles sont soumises à des règles, parfois à de la violence. D’une communauté à l’autre, leur position diffère mais elles sont généralement tenues d’élever les enfants, de faire les tâches ménagères et leur vie sociale se limite aux liens tissés dans la communauté. Lorsqu’elles travaillent, elles n’ont, hélas, pas d’autres choix que d’aller vers les métiers du social ou la vente, l’entretien, et la cuisine. Elles sont très peu à exprimer un talent personnel. Mais cela évolue, comme le prouve le parcours d’Anina Ciuciu, première Rom à avoir été admise à La Sorbonne. Aujourd’hui, elle est avocate et a publié Je suis tsigane et je le reste chez City Editions en 2013. Un bon exemple à suivre. Il y a aussi Małgorzata Mirga, une artiste et une militante rom qui représente la Pologne à la Biennale de Venise 2022. Elle est présentée comme une artiste polonaise à part entière. C’est une première. Il s’agit-là d’une grande reconnaissance pour son travail autour des stéréotypes anti-tsiganes. Des figures emblématiques émergent et de plus en plus de jeunes filles roms entament un cycle long d’études à l’université, font du cinéma, du théâtre, des arts plastiques, deviennent autrices ou se tournent vers l’enseignement. C’est une très bonne chose.

 

Depuis douze ans, votre travail photographique autour des communautés tsiganes ne s’est finalement jamais arrêté. Qu’est-ce qui vous a poussé à poursuivre votre démarche qui s’apparente à un travail mémoriel ?
C’est vrai qu’au départ je n’étais pas partie pour travailler 12 ans sur cette série. Je crois que l’actualité me rattrapait à chaque fois. La série d’expulsions qui a commencé en France en 2010 a consolidé ma démarche d’un engagement pour la reconnaissance de leur dignité. J’ai travaillé avec le Conseil de l’Europe, diverses associations dont LUPOVINO (LUtte POur une VIe NOrmale) à Strasbourg, puis j’ai participé en 2011 et 2013 à deux résidences artistiques en Pologne en présence d’artistes roms venus d’Albanie, de Hongrie et de Roumanie, avant de présenter mon travail Les Nouveaux Roms au Mois International de la Photographie à Berlin. J’ai également couvert des événements visant à sensibiliser les autorités et le grand public à la reconnaissance du génocide tsigane. J’ai notamment accompagné l’UFAT (Union Française des Associations Tsiganes) et l’EGAM (European Grassroots Anti-Racist Movement) aux commémorations de la rafle du Vel’ d’Hiv et à la journée nationale de la déportation à l’ancien camp du Struthof.
Je me suis également rendue à des rassemblements à Lety, en République Tchèque, qui revendiquaient le démantèlement d’une usine porcine installée sur un ancien camp de concentration où ont péri un millier de Tsiganes.

« Ils se retrouvent dans une lutte permanente pour se faire respecter»

Louise Pisla Helmstetter, figure emblématique des Manouches d’Alsace, disparue en 2013.
© J. Gregori – Série Nane Chavem, Nane Bacht (Pas de bonheur sans enfant)

Parmi vos portraits et scènes de vie, figurent des photographies prises dans le quartier du Polygone à Strasbourg où vivent des familles tsiganes. Comment vont les habitants sur place depuis les derniers bouleversements urbains ?
La dernière rénovation urbaine a eu lieu en 2016. On se retrouve aujourd’hui avec un quartier sans âme. L’âme tsigane n’est plus présente. Près de 170 familles y sont installées depuis les années 1970. Mais après un arrêté sur l’insalubrité, tout a été rasé par les engins de chantier. Les habitants auraient préféré un assainissement plutôt qu’une démolition. Cela a perdu en convivialité. J’ai pu leur rendre hommage dans le cadre du Festival Arsmondo Tsigane avec l’Opéra national du Rhin au printemps 2022. Même si le quartier du Polygone s’est un peu éteint, je continue à m’y rendre régulièrement, ainsi qu’au centre culturel voisin Django Reinhardt. Je me rends également au cimetière Sud. Beaucoup nous ont quittés, en particulier des femmes qui sont tombées malade juste après les destructions. Ces questions sociales comme le relogement, j’en ai fait une série intitulée Manouches des Caravanes aux Pavillons et donc dédiée aux Manouches de Strasbourg.

 

Les communautés tsiganes subissent-elles selon vous un racisme d’Etat ?
Je ne sais pas. En tout cas, une chose est sûre, ces communautés dérangent par leur manière de vivre.  Mais ce n’est pas dans leur nature d’être pauvres et de manquer d’hygiène. Ce sont les circonstances qui les conduisent à vivre de cette manière. Chez nous, en Alsace, des efforts sont faits pour les accueillir avec respect dans des conditions humaines. Mais on voit bien que c’est différent selon les territoires, comme on a pu le voir à Nice. Il y a clairement des régions où on n’en veut pas, et ce malgré les lois Besson qui obligent les villes de plus de 5000 habitants à prévoir des  » conditions de passage et de séjour des Gens du voyage » sur leur territoire. C’est pourquoi ils se retrouvent dans une lutte permanente pour se faire respecter. Ils sont confrontés à des discriminations de différentes sortes. Si l’internement et la déportation demeurent une blessure vive chez les aînés, d’autres membres de la communauté vont évoquer leurs problèmes pour trouver un travail ou un logement. Dès qu’ils donnent leur nom ou leur adresse, ils font face à des refus et beaucoup de méfiance.

 

Qu’en est-il du pèlerinage annuel des Saintes-Maries-de-la-Mer en Camargue. De quelle manière perdure cette tradition ?
Les processions ont repris cette année avec un peu moins de ferveur après les annulations liées à la crise sanitaire. Cela perdure mais l’événement est devenu, au fur et à mesure des années, beaucoup trop touristique, ce qui est mal perçu par les communautés manouches et gitanes. Il y a un trop plein de touristes qui poussent même des artistes de renom à venir en catimini. En fait, il s’agit d’un rituel qui remonte au Moyen-Age. Les processions ont lieu les 24 et 25 mai. Les Saintes Marie-Jacobé et Marie-Salomé sont selon la tradition les premières à constater la résurrection du Christ. Chassées de Palestine, elles s’établissent sur le rivage actuel des Saintes-Maries-de-la-Mer, en compagnie de Sara, une sainte noire que les Gitans viennent aujourd’hui recouvrir de vêtements colorés. C’est également un moment où l’on baptise beaucoup d’enfants, où l’on prie pour les malades. Il y a une ferveur qui dépasse l’hommage aux Saintes, avec de nombreux concerts.

« J’avais envie de mettre l’accent sur les regards sans biaiser l'information sur leurs conditions de vie. »

Les enfants s’amusent auprès des blocs sanitaires. Strasbourg, Polygone.
© J. Gregori – Série Manouches, des Caravanes aux Pavillons

Au sein de ces familles que vous avez rencontrées, quel est votre sentiment sur la nouvelle génération ?
Les jeunes ont surtout envie d’avoir un travail. Les intérêts économiques priment. Un appartement, une voiture. La tradition reste encore très forte. Ils continuent de se marier assez jeunes mais s’ouvrent aux non-tsiganes, aux mariages mixtes, aux études, à un logement éloigné de leur famille et à des choix de vie différents. Il est difficile de généraliser tant les mentalités diffèrent d’une communauté à l’autre mais une évolution est déjà amorcée. Ne plus vivre dans l’assistanat, prendre part activement à la vie sociale et même politique de la ville.

 

Ces scènes de la vie quotidienne, vous les immortalisez en noir et blanc. Pourquoi ce choix artistique ?
Pour le côté intemporel. J’ai choisi le noir et blanc dès le départ pour cette dimension humaine, pour véhiculer des émotions. J’avais envie de mettre l’accent sur les regards sans biaiser l’information sur leurs conditions de vie. Tout cela a été possible grâce à la confiance qu’ils m’ont accordée, ce qui est peut-être le plus compliqué à avoir. J’y allais seule. J’expliquais mes intentions. Seul le temps a permis de tisser des liens d’amitié.

 

Ce travail, vous allez de nouveau le présenter autour de deux nouvelles expositions* en cette rentrée de septembre, suivi d’un projet d’édition pour la fin d’année. Est-ce une manière de conclure la série ?
Il s’agit d’un recueil de photos et de 16 récits autour de mes 12 années de travail. Le livre va s’appeler Sur les Chemins de Vie des Tsiganes, aux Editions Andersen pour décembre 2022. La préface est écrite par Annie Lulu, une écrivaine notamment connue pour La Mer Noire dans les Grands Lacs (Prix Senghor 2021). Née en Roumanie d’un père congolais et d’une mère roumaine, elle écrit beaucoup sur l’immigration, la filiation, les droits des femmes, les violences environnementales. Paola Pigani m’a également écrit deux poèmes. Fille d’immigrés italiens, elle s’intéresse à ceux qui sont perçus comme étrangers. Ces quelques plumes viennent alimenter les textes et les photos emblématiques de la série. On y retrouve le sculpteur Gérard Gartner, le circassien Alexandre Romanès, Louise Pisla Helmstetter, une figure emblématique des Manouches d’Alsace, mais aussi des images des Saintes-Maries-de-la-Mer. On y retrouve le récit d’un enfant, d’une conteuse, des récits qui parlent de la stigmatisation dû à leur appartenance ethnique. Sur comment, par leur résilience et leur courage, ils ont surmonté la fatalité de la stigmatisation. L’importance de la transmission est au cœur de cet ouvrage, comme le message de Touroute Adam qui nous a quittés le 6 mars 2022 et qui souhaitait léguer un héritage culturel aux générations à venir. Rendre ces figures éternelles est l’un de mes objectifs. Ou alors il s’agit de récits très élogieux avec des parcours brillants. Il ne faut pas nier, ni trop s’attarder sur les problèmes de discrimination et de précarité. Mais il est utile d’apporter un autre regard avec des profils atypiques. Car il y a aussi des personnes brillantes qui s’en sortent, qui ont eu une vie très riche par l’art, la culture, ou autre. Il s’agit aussi de montrer les nouveaux tsiganes, avec une volonté de s’ancrer dans le présent et l’avenir. L’objectif final de ce livre serait de multiplier les interventions autour de l’œuvre, en milieu scolaire, en salon, en festival. Je le vois comme ça. Pour la suite, même si je suis convaincue que ce projet continuera de me porter j’aimerais aussi travailler sur la thématique des droits des femmes. Aujourd’hui, je prends plaisir à rendre visite aux Manouches du quartier du Polygone à Strasbourg, sans mon appareil, à m’asseoir prendre un café. En toute amitié.

 

Recueilli par Florian Dacheux

 

*Autour des Peuples Tsiganes du 9 au 25 septembre au Musée des Cordeliers à Saint-Jean d’Angely, en lien avec la programmation des Nuits Tsiganes le 23 septembre à l’Eden + Festival Itinérances Tsiganes à Lyon courant octobre.

Des Caravanes aux Pavillons

 

En l’an 2000, le quartier du Polygone où s’étaient installées 170 familles dans les années 1970 a été déclaré insalubre : la Ville de Strasbourg a opté pour un projet de construction de 150 pavillons qui a débuté en 2005. Les médiateurs sur place ont permis de conserver un emplacement pour la caravane, symbole de la prolongation de la vie du voyage. Même si elles ont eu la chance d’être relogées et de gagner un niveau de vie plus élevé, ces familles aux traditions nomades ont vécu un tel bouleversement comme la condamnation à ne plus vivre au grand air, l’impossibilité de se réunir en famille et l’assujettissement à une normalisation administrative.

Revenir sur le terrain en 2016, huit années après mes premières visites, pour y retrouver toutes ces familles manouches parmi les premières à avoir foulé le sol du Polygone, m’a permis de partager avec eux des émotions intenses durant les six mois précédant la destruction de leur habitat. L’idée que les maisons construites de leurs mains puissent disparaître brusquement sous des coups de pelleteuse éveillait en eux des sentiments d’impuissance et d’immense tristesse. Parmi eux, beaucoup auraient préféré à un plan de relogement, un assainissement du quartier avec la préservation de leur cadre de vie. Tous ont gardé des souvenirs, certains ont recouvert leurs murs de graffitis chargés de revendications, d’autres ont choisi de brûler leurs lits ou leurs armoires, comme dans la plus pure tradition tsigane. La résistance de ne pas quitter les lieux et de tout détruire soi-même s’est fait sentir chez certains pendant un temps avéré. Si pour certains, une sédentarisation forcée allait de pair avec la fin du voyage, chez d’autres familles et surtout parmi les plus jeunes, un sentiment entrait en dissonance avec tous les autres: avoir une maison le plus tôt possible pour avoir ses propres toilettes et disposer d’un meilleur confort ainsi que d’une meilleure éducation, alors que nombre de leurs aînés ne savent ni lire ni écrire.

La mémoire du terrain et de ses habitants, les fragments de l’ancien mode de vie où régnait « l’âme tsigane » s’inscrivent au cœur de cette série de photographies. Il est difficile, toutefois, de concevoir qu’un nouveau mode d’habitation puisse faire plier la volonté farouche des Manouches d’affirmer leur différence, leur force d’âme insufflée par l’instinct du voyage et les valeurs immuables qui forgent l’identité tsigane.

Jeannette Gregori

Roms, Manouches et Gitans : différenciations

 

Les Roms (en langue romani : homme accompli et marié au sein de la communauté) sont des populations qui vécurent longtemps dans les pays de l’Est de l’Europe (Roumanie, Hongrie, Russie et ex-Yougoslavie) et leur culture en est imprégnée. Groupe ethnique majoritaire en nombre sur l’ensemble de la population tsigane mondiale, ils ont séjourné en Alsace dès le XIXème siècle. A partir des années 90, un grand nombre est arrivé fuyant les anciens pays de l’Union soviétique gagnés par la misère et la xénophobie. Ces derniers migrants se trouvent souvent dans une situation de grande précarité. Ils se divisent en trois communautés reposant chacune sur un corps de métier traditionnel : les Kalderash (chaudronniers) originaires des Balkans, les Lovara (maquignons) originaires de Hongrie et les Tchourara (fabriquants de tamis).

 

Les Manouches (du romani manus « homme », du sanskrit mãnuşa « homme ») sont des Tsiganes qui ont transité par les régions germanophones et se sont installés, depuis plusieurs siècles, principalement dans le nord mais aussi à l’ouest et au centre de la France, en Italie, en Suisse et en Allemagne. Certains sont également appelés Sinti. Ils sont les premiers à s’arrêter en Alsace au XVème siècle. Parmi eux, beaucoup sont aujourd’hui sédentarisés dans la région. Ce groupe a une véritable histoire commune avec l’Alsace et s’est intégré dans la vie locale, une partie de ses membres parlent d’ailleurs alsacien. Principalement de confession chrétienne, ils sont soit évangéliques, soit catholiques. Ces derniers cultivent deux lieux de pèlerinage dans la région, l’un à Thierenbach et l’autre à Dusenbach.

 

Les Gitans (de l’espagnol gitano « bohémien ») ont longtemps séjourné et voyagé en Europe méridionale et leur culture possède de forts accents hispaniques. Plusieurs sous-groupes se distinguent, comme les Béticas d’Andalousie et les Kalé de Catalogne. Majoritairement présents en Espagne, au Portugal et dans le Sud de la France, certains sont venus s’installer en Alsace et à Strasbourg à partir des années 60 tandis que d’autres viennent uniquement passer l’été dans la région.

 

Autres dénominations

 

Les Bohémiens : c’est ainsi que l’on a longtemps désigné les Tsiganes, non pas pour qualifier des individus originaires de la Bohême mais pour mettre l’accent sur leur oisiveté, leur marginalité et dénigrer leurs vies sans règles. La bohème est une façon de vivre au jour le jour dans la pauvreté et l’insouciance. Elle correspond aussi à un mouvement littéraire et artistique du XIXème siècle, en marge du mouvement romantique plus « aristocratique ». C’est à la fois un style de vie qui rejette la domination bourgeoise et sa rationalité dans le cadre de la société industrielle, et la recherche d’un idéal artistique. L’expression « bourgeois-bohème » réapparaît dans les années 1960 et donne un regain à cette manière de vivre. Le concept s’appuie évidemment sur la métaphore des « peuples bohémiens » ou des Tsiganes, qui étaient associés au mouvement romantique au XIXème siècle.

 

Les Gens du voyage représentent une notion administrative créée pour désigner la communauté des voyageurs ne disposant pas de domicile fixe. L’expression a été ensuite reprise par les lois dites Besson (1990 et 2000) qui ont organisé l’accueil des gens du voyage sur les aires destinées à cet effet dans les communes de plus de 5 000 habitants. Ce sont des citoyens français intégrés économiquement, exerçant, entre autres, les métiers de commerçants ambulants ou de forains, et qui ont fait initialement le choix d’une vie non sédentaire. Toutefois, tous ne sont pas itinérants, certains sont considérés comme des « Gens du voyage sédentarisés ». Qualifiés de « voleurs de poules » et objet de discriminations, les Gens du voyage ont plusieurs fois vu leur liberté d’aller et venir placée sous surveillance étroite policière, d’abord avec le carnet anthropométrique institué par une loi de 1912 relative à la circulation des nomades, puis avec les carnets et livrets de circulation mis en place par la loi du 3 janvier 1969 sur « l’exercice des activités économiques ambulantes et le régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile, ni résidence fixe ». L’Assemblée nationale a adopté définitivement, le 22 décembre 2016, la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté qui abroge la loi du 3 janvier 1969, mettant ainsi fin aux livrets de circulation ainsi qu’à la commune de rattachement.

 

Les Yéniches (la première hypothèse étymologique est celle des racines yiddish ou hébraïques de jônêh « frauduleux », ou de jedio « science, connaissance », la seconde de la racine tsigane džan- « savoir, connaitre », en romani, la langue yéniche serait donc la langue de ceux « qui savent », c’est-à-dire des initiés) constituent un groupe mal connu est peu étudié, cependant, on sait qu’ils sont originaires d’Alsace, de Lorraine, de l’Allemagne rhénane et de Suisse. Ils seraient devenus nomades suite à la guerre de trente ans au XVIIème siècle, mais aussi au XIXème siècle lorsque la crise économique mit en difficulté les familles paysannes. Ensuite, par des mariages avec les populations tsiganes, ils auraient donné naissance à la population métisse que l’on nomme aujourd’hui « yéniche ». Ce groupe s’est établi surtout en Europe de l’Ouest et une partie d’entre eux s’est sédentarisée en Alsace. Leur métier traditionnel était le tressage de l’osier, c’est pourquoi ils sont aussi appelés « vanniers ».

 

Source : « Sur les Chemins de Vie des Tsiganes » (Editions Andersen)

Florian Dacheux