Août / 26
Atelier scénario
C’est déjà la rentrée et malgré cette crise sanitaire infinie, l’équipe de D’Ailleurs et D’Ici n’entend pas baisser les bras. Ateliers et rencontres auront bien lieu, avec les distanciations physiques ou digitales qui s’imposent. Entretien avec Marc Cheb Sun, directeur éditorial de notre association née en 2012.
« Les ateliers D’ailleurs et d’ici, l’ADN de notre projet »
Quelle est la genèse des ateliers D’Ailleurs et D’Ici ?
Avant de devenir un média numérique, nous produisions une revue qui sortait une fois par an. Dès 2014, les ateliers se sont vraiment inscrits dans notre démarche. Quand on crée un média sur la France plurielle, c’est essentiel de donner la parole à celles et ceux qui n’ont pas la possibilité de la prendre, de faire travailler des auteurs-es, des journalistes, des vidéastes avec des jeunes qui ne se sont pas encore saisis de cette expression. Etant donné que nous traitons de sujets sociétaux qui impliquent directement le devenir et le quotidien des jeunes, c’est essentiel qu’ils puissent rebondir et participer. Cela fait partie de l’ADN de notre projet.
Atelier d’écriture
Dans quels types de structures intervenez-vous ?
Nous avons une grosse activité en région parisienne, surtout pour des raisons pratiques car l’équipe est essentiellement basée en Ile-de-France. Mais pas seulement : à Charleville-Mézières, Rennes, Marseille ou encore Bordeaux. Nous irons bientôt à La Réunion. On intervient dans des structures associatives locales qui font un travail de longue haleine avec des jeunes. Cela permet d’arriver avec un œil extérieur, donc neuf, en écoutant d’abord les besoins, afin d’établir un travail ensemble. Cela vise différents publics. Nous nous adressons à des jeunes très en difficulté, parfois en décrochage scolaire. Nous avons aussi des jeunes qui sont socialement marqués par une forme d’exclusion, de discrimination, sans avoir pour autant de difficultés scolaires particulières. Tous ces jeunes se posent beaucoup de questions, notamment sur certaines périodes de l’histoire de la France, ses héritages, sur ses prolongements, et jusqu’à aujourd’hui. Donc sur la manière de pouvoir inscrire leur situation d’aujourd’hui à l’intérieur de cette histoire, sans en être pour autant prisonnier. Pouvoir retracer un fil, c’est essentiel.
Enfin, nous avons travaillé pour la structure Passeport Avenir avec des jeunes des quartiers et territoires ruraux, repérés pour leur excellence scolaire, avec de forts potentiels que cette association souhaite accompagner. Des jeunes qui se retrouvent parfois dans une situation très compliquée : ils refusent de devenir des « exceptions qui confirmeraient la règle » de la stigmatisation. Nous avons animé avec eux des week-end très créatifs où beaucoup de choses sont sorties.
D’autres exemples de travail réalisé ?
Nous proposons, par exemple, un vrai travail pédagogique sur des grands traumatismes de l’histoire : l’histoire de la Shoah, l’histoire coloniale, celle de la traite négrière et de l’esclavage. On y apprend à différencier des mots qui sont souvent amalgamés : génocide, ségrégation, domination etc. On fait intervenir des historiens, mais aussi des auteurs, des documentaristes ou des artistes qui participent à ce véritable cycle de connaissances de faits encore peu enseignés, ou qui rencontrent des difficultés dans leur transmission. Car nous avons affaire aujourd’hui à une vraie concurrence des mémoires, du fait des manques constatés dans la transmission. Nous avons d’ailleurs aussi organisé, en lien avec des municipalités, une formation de TOUS les acteurs jeunesse, souvent démunis face aux questions ou à certaines affirmations des jeunes, afin qu’ils soient confiants et opérationnels en dehors de nos temps d’intervention.
Nous proposons aussi, dans ces ateliers, un travail sur les situations d’aujourd’hui et les stéréotypes qui se nourrissent du passé : jeux de rôles, rencontres, visites de lieux. On y établit le lien avec d’autres formes d’exclusion, comme le racisme anti-asiatique, l’homophobie, le sexisme. Quelqu’un peut être discriminé en raison de sa couleur de peau, son origine, sa religion, son milieu social, son lieu d’habitation, de son mode de vie, de sa santé, et en même temps produire lui-même de la discrimination et du racisme envers d’autres groupes. Les jeunes en prennent conscience lors de ces ateliers.
Vidéo Ateliers témoignages
Chaque atelier produit-il systématiquement une production écrite ou audiovisuelle ?
Oui, c’est quasiment systématique pour des ateliers sur un temps « long », mais nous proposons aussi des ateliers ponctuels autour, par exemple, d’un film ou d’une exposition. Les ateliers longue durée ont pour but de produire quelque chose, comme nous le faisons actuellement avec l’histoire des enfants déracinés de La Réunion, sur laquelle travaillent des jeunes de Torcy et des Réunionnais. Le bénéfice qui en est tiré est extrêmement large. On apprend à se restituer cette histoire et à s’interroger soi-même sur ses propres difficultés en termes d’identité. Et on apprend aussi des techniques de journalisme, de rédaction, d’interview. On a fait par exemple un atelier avec des adolescents qui avaient porté plainte contre des policiers pour harcèlement. Plusieurs d’entre eux ont été entendus par la justice et plusieurs faits ont été reconnus. Lors de l’atelier qui consistait à écrire un scénario de court-métrage sur les relations entre jeunes et policiers, il est très intéressant de voir qu’ils ont tenu à créer un personnage de policier qui refusait ces harcèlements et qui menaçait de dénoncer ses collègues. En fait, l’idée n’est pas de partir d’un programme préétabli mais de travailler en fonction des besoins et des réalités, d’interroger les identités en travaillant leur ouverture, en trouvant la forme d’expression qui sera la plus pertinente afin de faire bouger les choses dans la tête des jeunes qui participent.
Vidéo Interview de Jonathan Hayoun, en atelier antisémitisme
Quelles formes aimeriez-vous voir émerger ?
Je pense que les ateliers sur l’histoire de la France plurielle, pour comprendre d’où et de quoi elle vient, ne devraient pas être réservés aux quartiers populaires et aux jeunes aux origines extra-européennes. Car la France d’aujourd’hui, si on ne la comprend pas, on la regarde avec méfiance, on en a peur. Sinon on se contente d’un regard médiatique qui est quand même très polarisé sur les problèmes, et non sur les apports. Revenir sur ces grands traumatismes de notre histoire commune permet à des jeunes presque « spectateurs » de leur exclusion de devenir acteurs de leur vie, et dans la société. Cela crée aussi des dynamiques individuelles, des désirs d’entrepreneuriat, de réalisation, de professionnalisation.
On ne va pas raconter que nos ateliers changent radicalement leur vie. Mais avoir des moments qui permettent de travailler sur sa curiosité et de réfléchir à l’apport que son histoire peut avoir sur l’histoire de France, cela produit des choses d’une grande qualité, comme le montre le mook en ligne, encadré dans nos ateliers en partenariat avec l’association Espoir 18, mais réalisé par 50 jeunes du 18e et du 19e arrondissement de Paris.
On a travaillé sur l’antisémitisme, le racisme anti-noir et anti-musulman à partir d’interviews d’intellectuels et de grands spécialistes de ces questions qui ont été étonnés par la pertinence des réflexions des jeunes. En partant de thématiques qui les touchent et qui les concernent, sur lesquelles ils ressentent un vrai vide de transmission, on peut mettre la barre très haut. On valorise leur travail en les publiant sur un beau site, à égalité avec nos auteurs professionnels.
Vidéo Atelier Racisme anti-asiatique
En parallèle aux ateliers, l’association organise ses propres rencontres. Toujours dans cette même idée d’ouvrir le champ des possibles ?
On a toujours travaillé sur quelque chose de vivant, en faisant intervenir des intellectuels, des artistes, des associations de quartier, des représentants de l’Etat. Comme on a pu le faire en décembre dernier au Barbès Comedy Club, avec une rencontre pour un front commun face au racisme et l’homophobie. Pouvoir échanger en dehors des stéréotypes que l’on peut avoir les uns sur les autres, c’est très enrichissant. Nous vivons quand même dans une société de plus en plus sclérosée. On tourne en rond en parlant en boucle à l’intérieur de nos propres sphères. Or ces rencontres créent une possibilité de croiser les regards, et les générations, et c’est très rare.
Vidéo Interview Fanny Glissant et Juan Gelias, réalisateurs des Routes de l’esclavage, en atelier Traite et esclavage
Que souhaitez-vous pour 2020/2021 ?
Le but est que ça continue d’exister malgré le covid-19. On ne sait pas quand on en sortira mais il faut faire avec, en prenant toutes les précautions nécessaires afin qu’aucun risque ne soit pris à l’intérieur de ce que l’on proposera. Les choses ont été freinées même si cela a créé d’autres opportunités via les réseaux sociaux et différentes applications. Grâce au numérique, nous avons créé des espaces où des jeunes ont eu la possibilité de participer avec des gens de différents milieux sociaux et territoires géographiques. Pour 2021, il sera très important de développer un travail sur l’histoire de l’esclavage et de la traite négrière, en convoquant, en plus des récits historiques, différentes formes d’expression (BD, podcasts, paroles de rap…) avec un angle centré sur la déshumanisation : quand un groupe est privé de sa condition humaine. Cela permettrait notamment de créer des passerelles entre l’histoire de l’antisémitisme qui a fini par produire la Shoah et l’histoire de l’idéologie raciste où les sciences, l’économie, le juridique, la religion ont été convoqués pour mettre en esclavage des personnes en raison de leur race construite et fabriquée. Le but étant de comprendre comment ces choses ont pu se produire et comment aussi elles peuvent recommencer. Sur la question de l’esclavage, comme sur l’histoire coloniale, un grand vide a été laissé. Et quand il y a un vide, des gens essaient de le combler, pas forcément de manière bien intentionnée. Il est essentiel de se réapproprier cette histoire afin que d’autres n’en profitent pas pour propager de fausses idées et des clichés. Cela concerne tous les Français. Nous avons des outils de diffusion importants grâce au web et au digital avec des contenus vidéos de qualité. Le but final étant que d’autres structures puissent se saisir de ces ressources.
Enfin, nous proposons d’autres thématiques d’ateliers, et très diverses comme rap et entrepreneuriat (transformer sa passion en activité pro), écriture de fictions, journalisme écrit et vidéo.
Recueilli par Florian Dacheux
Vidéo Atelier Journalisme sur le thème Rap et entrepreneuriat
Invitation des Dégommeuses, club de footballeuses lesbiennes, en marge des ateliers discriminations
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