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Sep / 09

« Le ventre des hommes »: les enjeux de l’exil, l’hérédité et l’enracinement

By / Marc Cheb Sun /

Le ventre des hommes 

 

les enjeux de l’exil, l’hérédité et l’enracinement

Avec un texte à la fois intime, à dimension sociale et très en phase avec l’actualité, l’autrice Samira El Ayachi nous entraîne au fil des pages dans l’histoire d’une famille marocaine, émigrée dans le Nord de la France à la fin des années 70. Des luttes sociales du père mineur aux questionnements de la progéniture, elle aborde avec délicatesse les traumas de l’émigration, l’enracinement et la lutte des classes. Un texte qui aborde brillamment la France d’aujourd’hui et ses bégaiements identitaires.

Novembre 2016, au sein d’une école primaire française, les forces de l’ordre viennent appréhender une institutrice et la conduire au commissariat pour s’expliquer sur ce qui semble être un acte grave impliquant la sécurité de ses élèves. L’accusée en question est la narratrice du roman, elle n’a pas l’air de bien saisir ce qui lui tombe dessus et n’a pas le profil type de la terroriste islamiste. Très rapidement, celle-ci revient sur son passé dans les années 80, dans le Nord de la France où elle a grandi. La figure du père, centrale dans le texte, émaille le récit, laissant planer son ombre sur le destin de ses enfants.

 

Originaire du Maroc, celui-ci débarque en France pour prêter main forte aux sociétés minières sur le déclin à la machine infernale qui entend fournir de l’énergie à la France aux frais de ceux qui acceptent de troquer leur santé pour la survie de leur famille du bled. Le jeune homme, qui comprend rapidement son rôle dans ce mécanisme, n’entend pas sacrifier sa jeunesse et ses poumons sans contrepartie et aura à cœur de réclamer ses droits, entraînant ainsi sa famille dans son combat pour la dignité. La petite Hannah, qui assiste de loin aux mobilisations sociales menées par son père tandis qu’elle évolue au sein d’une cité ouvrière avec ses amis de toute origine, constate la solidarité de toute une classe sociale, la particularité de cette région attachante, tout en sentant qu’elle n’appartient pas complètement à ce pays.

 

Au fil des aller-retours entre le présent et l’enfance d’Hannah, l’auteur décrit le blues d’une France multiculturelle qui peine à comprendre les citoyens qu’elle a engendré, du fait de son lien avec les anciennes colonies. Telle une mère qui demanderait à l’enfant illégitime qu’elle a brimé toute son enfance une reconnaissance oublieuse du passé, on découvre l’écart qui se creuse jusque dans l’intime entre une France blanche bercée par un roman national qui cache les moments honteux de l’histoire, et une France métissée en quête de dialogue et d’acceptation. Le tout est perturbé par les attentats de 2015 qui entérinent la fracture. Petit plus du texte, les documents d’archives bien réels, qui témoignent de la véracité du combat incarné par le père du personnage. Ils confèrent au roman un caractère autobiographique, ainsi qu’une dimension historique qui renforce le propos sans pour autant lui donner le côté académique qui lui ferait perdre l’empathie créée par la dimension fictionnelle. Par ailleurs, la référence à Germinal, l’emblématique roman de Zola, est récurrente, créant ainsi un lien avec les revendications sociales du passé, et renforçant l’enracinement de la famille de Hannah dans la sociologie du Nord de la France. Les luttes du père de Hannah l’assimilent au personnage de Lantier, faisant ainsi de lui un Français, malgré son origine, malgré sa langue métissée, malgré son attachement au Maroc.

 

Servi par une langue fluide, des personnages tangibles et une psychologie nuancée, Samira El Ayachi parvient à créer un roman social et intime, qui fait le lien entre l’histoire de l’émigration maghrébine en France, celle des luttes sociales des mineurs et la panne de l’intégration à la française. Un texte utile, qui décrypte habilement le contexte présent, à ajouter à votre liste de romans de la rentrée littéraire.

 

Bilguissa DIALLO

 

Le ventre des Hommes, Samira El Ayachi, éditions de l’Aube.

 

Marc Cheb Sun