Déc / 19
L’AFFIRMATION ASIATIQUE
« Dédramatiser cette double identité »
« Je n’ai pas le fantasme d’être coréenne », confie May Lemanceau, trente-huit ans, Française d’adoption, née en Corée du Sud. Les questions identitaires, pourtant, elle a dû en affronter. Adoptée à dix ans, avec ses deux sœurs, May doit vite occulter les souvenirs de son pays natal : « Mes sœurs et moi avons oublié le coréen, une manière de pouvoir nous identifier à la culture française. » Un cap que la jeune femme franchit non sans difficulté. « J’avais conscience de ma différence, il suffisait de me voir dans le miroir. » Au-delà des remarques blessantes à l’école, bol de riz, chinetoque… « Le plus dur c’était le regard des autres. Je me sentais française et fière, mais on me renvoyait l’image d’une étrangère. » Un mal-être que May surmonte avec le temps. « En rencontrant d’autres jeunes comme moi, via des réseaux associatifs et surtout en prenant des cours de coréen. Cela m’a aidée à dédramatiser cette double identité, à aller en Corée rencontrer mes parents biologiques. En acceptant mon histoire, j’ai appris à ne plus avoir honte de mes origines. »
Apaiser les questions identitaires
Ils s’appellent Émilie, Jany et Damien. Tous trois militent au sein de Racines coréennes, un lieu de rencontre où se retrouvent des jeunes au destin peu ordinaire, nés en Corée et adoptés en France. L’objectif de l’association : apaiser les questions identitaires auxquelles ils sont tous confrontés. Des vécus disparates avec un point commun : l’abandon, très répandu dans la société coréenne des années 1970, et lié, notamment, à la stigmatisation des mères célibataires.
Leur intégration en France est loin d’avoir été une expérience anodine. Pour certains, elle fut même douloureuse. Car, au-delà des violences subies dans certaines familles adoptives, facteurs de dépression ou de suicide, de nombreux adoptés ont été victimes d’un délit de faciès dans leur entourage. La quête des origines est alors un passage obligé. « S´intéresser à ses racines sans renier son pays et sa famille d’adoption, c’est possible et tout à fait légitime. Une façon de se tenir debout dans sa vie française », rappellent les représentants de l’association.
Sortir du silence
RMC, 22 août 2009. Dans l’émission Les Paris de RMC, alors qu’un auditeur se moque du patronyme de Vincent Tong Cuong, président de l’AS Saint-Étienne, Vincent Moscato, ex-rugbyman et chroniqueur, enfonce le clou : « Ils ont recruté un Chinois ? C’est pas possible ! […] On aura tout vu dans ce championnat ! » L’équipe éclate de rire et ironise sur le travail des enfants en Chine. La réponse de Saint-Étienne ne se fait pas attendre. Le président porte plainte contre le chroniqueur qui finira par lui présenter ses excuses du bout des lèvres. Comme souvent, l’épisode n’émeut pas grand monde. « Si on remplaçait le mot “Chinois” par “Juif”, ou “Arabe”, ça ferait beaucoup moins rire », remarque Emmanuel Ma Mung, directeur de recherche au CNRS.
La communauté asiatique sort aujourd’hui du silence. Les manifestations de Belleville en 2011 ont marqué un tournant. Sur le net, de nouveaux collectifs se sont constitués. Parmi eux, Asiagora. « La lutte contre les discriminations, la diversité sont nos thématiques », annonce Zhanglin Tong, vice-présidente. « La majorité des jeunes Asiatiques veulent être considérés pour ce qu’ils sont : des Français », rappelle Robert Shu, membre de l’association. Préférant le dialogue aux coups d’éclat, Asiagora a déjà quelques victoires symboliques à son actif. « Nous avons réussi à ce qu’un humoriste retire ses vidéos sur le web. Il n’y a eu aucune violence. Nous l’avons contacté pour lui expliquer ce qui nous choquait et il l’a compris, déclare Zhanglin Tong. Le plus souvent, c’est de l’ignorance. Peu de gens en ont conscience, mais traiter un Chinois de “Chinetoque”, cela revient à traiter un Noir de “négro”. »
Auteur : Charles Cohen