Mar / 31
Le premier roman de Myriam Dao
Un couple franco-asiatique, inséparable et mal uni…
Le premier roman de Myriam Dao invite à une plongée dans la France des années 50, le « temps béni des colonies » qui permet la rencontre d’êtres dont les cultures se téléscopent, forcées à une cohabitation dont ont jailli parfois des amours contrariées par les soubresauts de l’histoire. Si l’amour est aveugle un temps, les contingences sociales peuvent ainsi perturber sa quiétude et faire vaciller la flamme. C’est la réalité que vit ce couple décrit par l’autrice.
Un livre court, dense et intime pour dire les maux, les incompréhensions et les frustrations de deux êtres que les hasards de la grande histoire ont poussés dans les bras l’un de l’autre. Il est mûr, indochinois, héritier d’une famille bourgeoise qui s’apprête à lui choisir une femme discrète et issue de son milieu. Elle est jeune, fraîche, blanche et désargentée. Sa famille est partie chercher fortune en Indochine juste avant que son père ne décède. Lorsqu’elle tombe enceinte de Zao, c’est une aubaine pour elle et sa mère. C’est décidé, ils partiront en métropole où la vie sera plus simple pour ce couple atypique.
Mais à l’arrivée, la réalité frappe de plein fouet leurs rêves. Les études de Zao ne valent rien dans un pays qui n’a pas prévu qu’un homme de son type puisse occuper autre chose qu’un emploi subalterne de gratte papier. Quant à elle, la perspective de vie bourgeoise dont elle rêvait s’éloigne, et ne demeure que les fades journées auprès de leur petite Sysaline, bientôt rejointe par Léa. Les filles sont mignonnes mais ne comblent pas le vide d’amour et de reconnaissance sociale. Elle s’ennuie et la tentation de tout plaquer est forte. Loin de faire corps avec son mari face à l’exclusion qu’ils affrontent, elle se morfond sur sa jeunesse perdue et l’insouciante vie d’étudiante qu’elle ne vivra pas. Pire, elle sent qu’elle attire les hommes mais son statut de mère et d’épouse la contraint à ne pas céder à la tentation.
Myriam Dao dresse un portrait de la France (dé)coloniale des années 50 où il était admis de qualifier une Asiatique de « niakwé », et durant laquelle l’indépendance des femmes était loin d’être une réalité. Dans une langue simple, fluide, les chapitres courts s’enchaînent et entraînent le lecteur dans une succession de scénettes intimes qui immergent dans la réalité figée d’une époque alliant la modernité au charme suranné de l’ancien. On y décèle le positionnement culturel compliqué des enfants issus d’unions mixtes dans une époque où l’on était sommé de choisir son camp. Un livre nécessaire et émouvant qui vient compléter le tableau littéraire d’une France où ce type de voix et de récit n’existe que trop peu.
Bilguissa Diallo
Myriam Dao, Zao, un mari, éditions Des Femmes-Antoinette Fouque.