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Mar / 01

CORONAVIRUS, une vague déferlante anti-asiatique

By / Marc Cheb Sun /

CORONAVIRUS, une vague déferlante anti-asiatique

Depuis un mois, la psychose face au coronavirus s’amplifie en France et en Europe, et fait remonter à la surface le racisme anti-asiatique. Touche-à-tout littéraire, Grace Ly se bat depuis plus de dix ans pour tordre le cou aux préjugés et autres clichés ancrés dans les mentalités. Animatrice d’un blog, d’une web-série ou encore du podcast Kiffe ta race, la franco-chinoise, également auteure de Jeune fille modèle, ne manque pas d’outils pour déconstruire les stéréotypes. 

Les discriminations envers les communautés chinoises et asiatiques s’amplifient suite à l’épidémie du coronavirus. Quel est votre sentiment ?
La particularité du coronavirus, c’est que l’évolution du virus est très rapide et que le degré de contagion est très élevé. De la même manière, le virus s’est répandu dans la région de Wuhan ou ailleurs par mouvement de population, et le racisme anti-asiatique a gonflé en parallèle aussi vite que l’épidémie dans un court laps de temps. Aujourd’hui, nous en sommes à plusieurs milliers de cas contaminés. Et les réactions violentes et racistes en réaction à cette actualité angoissante se font ressentir dans l’espace public français et ailleurs. Depuis le 24 janvier, cela fait un mois qu’on en parle quasiment tous les jours. La psychose est alimentée par les médias qui traitent l’information de manière très alarmiste. En tant que personne asiatique française, je ne peux que constater le nombre exponentiel de discriminations, paroles, gestes, actes et propos racistes envers les communautés asiatiques depuis le 24 janvier.

 

Cela signifie-t-il que le racisme contre les Asiatiques, jusqu’ici banalisé, serait bien plus visible qu’auparavant ?
Le racisme ne naît pas avec une grippe. Le coronavirus apporte la haine de l’autre, là en particulier les personnes chinoises et perçues comme asiatiques. C’est très difficile de savoir si une personne est de Wuhan ou pas. A part regarder sur un passeport régional chinois, c’est impossible. Ce qui est certain, c’est que l’actualité rend visible le racisme anti-asiatique.

 

« Ces réactions sont totalement irrationnelles.

Elle sont contrôlées par des craintes bien plus profondes que le coronavirus. »

 

Pourtant impossible par la seule nourriture, l’hypothèse d’une contamination au coronavirus frappe de plein fouet les commerces qui subissent la phobie des clients. Cela vous inspire quoi ?
Cela s’appelle du racisme. Si scientifiquement, vous savez que vous ne pouvez pas attraper une maladie en mangeant asiatique et que vous décidez de ne pas aller manger asiatique car vous craignez quelque chose, ça s’appelle du racisme. Cela signifie que dans votre tête, vous vous dites que c’est sale, que vous allez manger n’importe quoi. Ensuite les personnes peuvent édulcorer la réalité comme elles veulent en disant que la crainte s’est étendue suite au virus. Moi aussi je crains de tomber malade mais ce n’est pas pour autant que j’arrête de manger du riz. Ces réactions sont totalement irrationnelles et contrôlées par des craintes beaucoup plus profondes que le coronavirus. C’est triste et grave pour les commerces asiatiques.

 

Qu’avez-vous observé ces derniers semaines dans votre quotidien ?
La pharmacie en bas de chez moi n’a plus de masques. Le pharmacien m’a dit que les gens avaient peur, que c’était pour eux et non pour envoyer des masques en Chine. C’est pour se protéger eux-mêmes. Je suis dans l’espace public tous les jours. Je marche dans la rue, je prends les transports, mes enfants vont à l’école, donc forcément je suis atteinte par cette montée de défiance et de discrimination.

Je vis différemment certaines situations que je prenais auparavant pour des coïncidences. Peut-être qu’aujourd’hui, les gens ont remarqué que je paraissais chinoise, qu’ils vont changer de trottoir pour cette raison. Si je tousse dans un bus, ils vont vouloir faire un périmètre de sécurité. C’est ce qui me traverse l’esprit depuis quatre semaines.

 

Le racisme envers les communautés asiatiques fait partie de nombreux autres cas de discrimination en France. Selon vous, comment faut-il s’y prendre pour nettoyer les cerveaux de tout un tas de clichés ? Est-ce que l’école française n’a-t-elle pas un rôle majeur à jouer ?
Tous les domaines sont concernés par le racisme. Il n’y a pas non plus un pays dans ce monde qui peut dire qu’il n’a pas de cas de racisme. L’éducation, oui, est un moyen de lutter contre le racisme, au même titre que le travail, la famille, etc. Si les moyens donnés à l’Education Nationale et au périscolaire permettent d’éduquer et de déconstruire les préjugés, de prendre les problèmes à la racine de manière radicale, alors oui c’est un des moyens. En tant que parent d’enfants scolarisés dans le système public, je sais que ce n’est pas le cas et ce n’est pas prêt d’être résolu. Il y a des dossiers en cours sur les bureaux des Ministères mais ça ne bouge pas. En tant que contribuable, on paie des impôts pour que les autorités règlent cela. C’est leur boulot et non celui des associations ou des victimes de discrimination. C’est triste d’arriver à ce constat-là. C’est un travail de longue haleine à mener tout au long de l’année, pas seulement lors des polémiques comme après la mort de Chaolin Zhang en 2016 ou après la révélation en 2018 de la comptine dans les écoles qui disait « Chang est assis. Il mange du riz. Ses yeux sont petits. Riquiquis ».

 

Face à ce racisme qui perdure, des spectacles de Michel Leeb aux petites phrases ordinaires qui circulent dans les cours de récréation jusqu’au sein même des entreprises, on a le sentiment qu’on vit dans une certaine forme d’amnésie générale enracinée. Parlez-nous de vos actions pour sortir de cette impasse.
J’utilise des moyens d’expression à ma portée. J’ai créé un blog La Petite Banane
 en 2011 sur la culture asiatique et culinaire, une web-série Ça reste entre nous sur Youtube à partir de 2016, puis le podcast  Kiffe ta race avec Rokhaya Diallo disponible sur les applis depuis 2018. J’ai publié un livre, « Jeune fille modèle », cette même année. J’utilise donc plusieurs moyens à ma portée pour faire bouger les choses, afin de pouvoir faire entendre ma voix dans cette sphère littéraire et sonore. On partage des points de vue, du vécu et des conversations avec des personnes qui chacun à leur manière œuvrent pour que ces problèmes-là trouvent une visibilité et des remèdes.

 

Est-ce que cela porte ses fruits ?
C’est sûr que ce n’est pas avec un podcast que je vais faire cesser le racisme contre les personnes asiatiques en France. On reçoit par exemple du courrier des personnes qui écoutent le podcast, qui sont sensibles à ces questions-là. On reçoit des retours de personnes qui ont lu mon livre, regardé la websérie. On organise et participe à beaucoup d’événements et de rencontres. Je travaille beaucoup sur le 2.0. Cela reste virtuel et les outils numériques, gratuits pour la plupart, peuvent aussi contribuer à isoler les gens. Au contraire, on a voulu rassembler nos auditeurs en prolongeant l’expérience avec des événements publics. Globalement, je reçois des retours positifs et je suis très contente de pouvoir mener ce combat-là.

 

Une actu prochainement ?
Oui avec Kiffe ta race toujours. L’épisode tourné avec l’animateur Raphäl Yem sort le 3 mars. Et le 4 mars on sera en live sur la RTBF dans une émission au parlement à Bruxelles.

 

Recueilli par Florian Dacheux


Crédit photo : Brigitte Sombié

Marc Cheb Sun