Oct / 04
Depuis le 23 septembre 2021, l’équipe de D’Ailleurs & D’Ici encadre un cycle d’ateliers dédiés à l’histoire de l’esclavage avec un groupe de collégiens inscrits au Centre Social Esperanto de Montreuil en Seine-Saint-Denis. Après cinq séances de sensibilisation et d’échange, les jeunes réaliseront des productions journalistiques qui seront présentées lors d’une soirée de restitution courant décembre.
Automne 2021 – Atelier Mémoire & Journalisme à Montreuil
Jeudi 23 septembre
Atelier avec Marc Cheb Sun, directeur éditorial de D’Ailleurs & D’Ici, autour de notre ouvrage L’histoire de l’esclavage et de la traite négrière, 10 nouvelles approches (Editions Librio).
Qu’est-ce qu’un esclave ? Nous étudions les processus de déshumanisation d’un peuple et d’individus. Ne plus s’appartenir, de plus maîtriser sa vie, son destin, ne plus avoir de fonction parentale, le travail forcé, l’humiliation… Nous parlons des résistances multiples : dans les villages, sur les bateaux, sur les plantations… Côté conquérants, nous parlons de ceux qui ont refusé cette pratique, de ceux qui en ont profité, de ceux qui ont laissé faire… pour leur confort. Pour bien comprendre cette notion de « confort », nous rappelons toute la matière provenant de l’esclavage (sucre, café, thé, tabac…) et des transformations qui ont suivi dans nos sociétés. Nous interrogeons la responsabilité citoyenne, personnelle, individuelle : nous étudions les conditions de fabrication des smartphone aujourd’hui (travail d’enfants, très faible rémunération, conditions de travail déplorables) et nous posons la question : maintenant que nous savons, sommes-nous prêts à renoncer à ce fameux « confort » ? Une grande question qui se pose à chacun (e)…
Nous concluons en laissant les jeunes raconter eux-mêmes ce qu’ils ont retenu de cette séance. En attendant la prochaine…
Jeudi 30 septembre
Atelier avec Florian Dacheux, journaliste chez D’Ailleurs & D’Ici, autour du rôle des femmes dans la lutte contre l’esclavage.
Après avoir regardé notre vidéo pédagogique dédiée aux résistance plurielles des femmes dans la lutte contre l’esclavage, nous nous intéressons au personnage de l’oratrice Sojourner Truth, connue pour son discours en 1863 à la Convention des droits des femmes, où elle avait répondu à un homme qui contestait l’égalité des sexes, égrainant tout ce qu’elle savait aussi bien faire que les hommes et ponctuant sa réponse de la phrase « Ain’t I A Woman ? » (« Ne suis-je pas une femme ? ») : « Regardez-moi ! Regardez mon bras ! J’ai labouré, planté et rempli des granges, et aucun homme ne pouvait me devancer ! Ne suis-je pas une femme ? Je pouvais travailler autant qu’un homme (lorsque je trouvais du travail) ainsi que supporter tout autant le fouet ! Ne suis-je pas une femme ? ».
Nous poursuivons nos échanges sur le caractère sexiste du racisme, et ces stéréotypes véhiculés qui font que l’homme se sent supérieur. Avant de faire du lien avec notre époque et de l’importance de parler de cette histoire pour comprendre notre présent. Pour définir ce qu’est le vivre ensemble, les jeunes réagissent par ces mots : égalité, bienveillance, respect des différences et fraternité…
Ils évoquent ensuite des femmes contemporaines inspirantes telles que Rosa Parks, Aya Nakamura ou encore Amel Bent.
Nous poursuivons sur une courte présentation de l’historien Doudou Diène en perspective de l’interview qu’ils réaliseront en novembre. Avant un dernier exercice autour des techniques d’interview telles que l’écoute et le rebond.
Nous concluons en laissant les jeunes raconter eux-mêmes ce qu’ils ont retenu de cette séance. En attendant la prochaine…
Jeudi 7 octobre
Atelier avec Aziz Oguz, journaliste chez D’Ailleurs & D’Ici, autour de la construction de l’idée de races.
Qu’est-ce que la race ? C’est la question que nous avons exploré avec le groupe.
Nous avons débuté la séance en regardant notre vidéo pédagogique « Races et esclavage » qui reprend des propos de Fanny Glissant et Maboula Soumahoro parus dans « L’histoire de l’esclavage et de la traite négrière, 10 nouvelles approches ».
Nous avons abordé la construction du Noir et du Blanc et de leur hiérarchisation à partir du XVIe siècle. L’une, noire, est désignée comme laide et inférieure. L’autre, blanche, est belle et supérieure. Étant donné que tous les esclaves sont des Noirs, ils sont tous infériorisés, qu’ils soient esclaves ou non. Et comment au final la couleur de peau dit quelque chose de son statut social. Alors qu’avant la traite négrière, on pouvait être noir et esclave, blanc et esclave. Ou inversement : noir et vainqueur, blanc et vainqueur.
A la fin de l’atelier, nous avons parlé de comment ces représentations existent encore aujourd’hui. Plus personne (ou presque) ne croit en la race biologique, avec des races dites supérieures et inférieures, mais il existe toujours du racisme. Des êtres humains – du fait de leur couleur de peau, de leur origine ou de leur culture – peuvent avoir des problèmes d’accès au travail, au logement, à la santé. Nous avons particulièrement parlé des rapports avec la police. A la question, qu’est-ce que leur évoque les violences policières, deux jeunes ont spontanément parlé d’Adama Traoré et de Georges Floyd. Avant de conclure la séance, nous les avons sensibilisés au fait de faire attention aux généralités du type : « tous les policiers sont racistes ». La question est complexe. Et elle est à méditer pour la suite.
Jeudi 14 octobre
Atelier avec Bilguissa Diallo et Charles Cohen, journalistes chez D’Ailleurs & D’Ici, autour de l’aspect économique de la traite négrière.
Un dialogue s’est instauré dès le début de l’atelier. Les jeunes se sont d’abord exprimés sur ce qu’ils avaient retenu des précédents ateliers. Nous sommes revenus sur quelques notions clés telles qu’esclavage, traite négrière, ségrégation, colonisation…
Nous avons poursuivi sur l’aspect économique de la traite négrière et la notion de profit. Au-delà de nos échanges sur le capitalisme, de l’histoire africaine (Mansa Moussa) et de l’hégémonie européenne, nous avons mis l’accent sur une lecture non binaire des choses. Sur le fait que tout le monde est collectivement responsable de la mémoire à propos de cette part d’histoire complexe, et qu’il ne faut pas uniquement l’appréhender par une analyse du type « les méchants d’un côté » et « les gentils de l’autre ».
L’atelier a donné lieu a beaucoup d’interactivité. Les jeunes ont notamment répondu à des questions portant sur le contenant des denrées et marchandises ramenées des plantations, sur le développement de certaines marques de biscuits grâce à la traite, sur le déroulement d’une expédition (ce qu’il fallait emmener, l’arrivée sur les côtes africaines, le rôle des rois africains, le caractère rentable ou non d’une expédition, etc.). Ils ont par ailleurs demandé d’évoquer le cas américain (ségrégation, Rosa Parks, la culture afro-américaine, etc.).
Nous avons clôturé l’atelier en mettant l’accent sur le douloureux travail de mémoire aujourd’hui à l’œuvre. Un travail qui ne se fait pas sans heurts.
Jeudi 21 octobre
Atelier avec Réjane Ereau, journaliste chez D’Ailleurs & D’Ici, autour de l’histoire d’Alexandre Dumas, petit-fils d’esclave.
L’atelier a débuté par un tour de table sur ce qu’ils avaient retenu de l’atelier précédent. Ils se souvenaient du commerce triangulaire et de son principe (échange d’esclaves contre des marchandises), ainsi que de l’aspect économique de la traite (obtention de main d’œuvre pas cher). Les jeunes ont évoqué la participation de chefs de tribus africains à la vente d’esclaves. Ils ont aussi été marqués par le fait que des marques encore existantes comme « Lu » et « Béghin-Say » (dixit) s’étaient enrichies grâce à l’esclavage. Ils ont cité les ports français qui avaient participé au commerce triangulaire. Ils ont enfin évoqué l’idée que l’esclavage continuait aujourd’hui. Nous avons reprécisé certaines notions, car les jeunes mettaient derrière le mot « esclavage » les comportements racistes (se faire traiter de nègre) et l’exploitation économique (être mal payé pour un boulot).
Nous avons ensuite utiliser la figure d’Alexandre Dumas pour les faire réfléchir et travailler sur deux points, en lien notamment avec le travail de journaliste et d’auteur : la question de la représentation et des stéréotypes, et la diversité des parcours (hybridité et créativité).
Nous avons commencé autour d’un extrait d’une adaptation des Trois Mousquetaires, afin de poser Dumas comme un des auteurs français les plus célèbres. Nous avons déroulé son histoire, la diversité de ses origines culturelles et sociales, son parcours d’autodidacte. Nous avons discuté de la figure du héros, de fiction ou « réel ». Ce qui crée à la fois la singularité et l’universalité. Parmi leurs propres héros, ils ont cité Thor, Rosa Parks, Malcom X, Martin Luther King, Wonder Woman, Batman, Black Panther et Superman.
Nous avons visionné la vidéo pédagogique tirée du chapitre de L’histoire de l’esclavage et de la traite négrière (Librio), afin d’aborder le thème de la représentation et des stéréotypes dans la culture et les médias. Ils ont donné leur réaction sur le fait que Dumas ait été interprété par Depardieu. Nous avons discuté du risque d’être réduit à sa couleur ou à son origine, et de la possibilité pour chacun (ou pas) de « tout jouer ».
Nous avons évoqué le collectif « Noire n’est pas mon métier » mais aussi le débat sur l’âge des actrices – l’idée étant de les faire réfléchir à la question de l’image et de la représentation. Ensuite, ils ont réagi aux injures dont Dumas a souffert, ont évoqué les idées préconçues qui collent à la peau des noirs (docilité, par exemple) et ont évoqué les artistes qu’ils auraient aimé voir dans le rôle de Dumas et ceux qu’ils estiment « bons pour la cause » ; ils ont cité Omar Sy, Ahmed Silla, Oprah Winfrey, Aram Tastekin (kurde)…
Nous les avons ensuite mis dans la peau de journalistes en herbe. Quand ils rencontrent quelqu’un, ont-ils conscience de l’image qu’ils s’en font en amont ou au premier regard ? Comment faire pour aller au-delà de cette première idée ? Quelles questions lui poser pour apprendre à mieux le connaître, pour créer le lien, pour aller chercher sa richesse cachée ? S’ils avaient Dumas devant eux, qu’est-ce qu’ils lui demanderaient ? Et comment auraient-ils préparé la rencontre ? Chercher de l’information, vérifier l’information, lire ou écouter ce qu’a fait la personne et écouter son ressenti… Leurs questions tournaient beaucoup autour de l’inspiration et de la motivation.
Pour rendre l’exercice encore plus vivant, ils ont interrogé Réjane Ereau elle-même. Nous avons parlé de la manière dont poser les questions pour obtenir une réponse qui parle vraiment de la personne, pour aller dans la profondeur.
A partir de là, on a pu échanger sur la richesse de chacun et la force de l’hybridité. Réjane Ereau leur a donné des exemples de gens qui, comme Dumas, ont fait de leur histoire singulière un moteur de créativité. Chacun a ensuite dit ce qui faisait selon lui sa force, sa richesse et sa singularité. Certains ont parlé de leurs origines diverses, d’autres de leur maman et de l’histoire de leur maman… Un atelier vivant et très participatif !
A suivre…
– 18 novembre : Atelier techniques d’interview avec le réalisateur Albérick Tode et le journaliste Florian Dacheux.
– 25 novembre : Atelier interview vidéo du juriste et historien Doudou Diène, avec Albérick Tode, Marc Cheb Sun et Florian Dacheux.
– 2 décembre : Atelier post-production avec Albérick Tode et Florian Dacheux.
– 9 décembre : Atelier post-production, avec Albérick Tode et Florian Dacheux.
– Mi-février 2022 : soirée de restitution.
Avec la participation de Kenza, Sékou, Abinadab, Brooklyn, Salimata, Mamadou, Princesse, Hilary et Sakina, et des éducatrices Bintou et Sihem. Et le soutien de la Direction du Développement Culturel de la ville de Montreuil.