2023 en Seine-et-Marne sur l’histoire des déracinés de La Réunion

Juin / 27

2023 en Seine-et-Marne sur l’histoire des déracinés de La Réunion

By / La Rédaction /

Zoom sur nos ateliers journalisme en Seine-et-Marne dédiés à la question de la construction identitaire par le prisme du récit des enfants réunionnais de la Creuse.

2023 en Seine-et-Marne sur l’histoire des déracinés de La Réunion

C’est une histoire connue sous le nom des « enfants dits de La Creuse ». Celle de plus de 2000 enfants originaires de l’île de La Réunion, exilés de force dans les années 1960 à 1980 pour repeupler les campagnes de l’hexagone. Une histoire longtemps mise de côté, un vieux sujet tabou qui dérange. Depuis près de dix ans, la Fédération des Enfants Déracinés des DROM relance avec fermeté ce vaste chantier juridico-politique afin de soutenir ces milliers de familles. Un récit que nous avons utilisé dans le cadre de nos ateliers journalisme dédiés à la question de la construction identitaire.

 

Pour ce faire, un groupe de 5 à 10 jeunes de Torcy, âgés de 16 à 19 ans, ont suivi une formation que nous avons assurée sur l’histoire de l’île de La Réunion, l’histoire de l’esclavage puis celle des enfants dits de la Creuse. Iels ont également travaillé les techniques d’interview et de portrait, de rédaction et de mise en forme d’un article. Iels ont aussi réalisé un reportage vidéo à Guéret dans la Creuse, sur les traces et les non-dits de ce traumatisme.

 

Interview de Valérie Andanson, la porte-parole de la Fédération des Enfants Déracinés des territoires d’outre-mer. Rencontre avec une battante, victime de cette migration forcée à l’âge de 3 ans.

 

Pouvez-vous nous présenter la Fédération des Enfants Déracinés des territoires d’outre-mer ?
La FEDD a été créée en 2015 sous l’impulsion des associations Rasinn Anler, Couleur Piment Créole et Les Réunionnais de la Creuse, rejointes en 2019 par Rasine Kaf. Notre objectif est de faire reconnaître l’histoire des enfants réunionnais exilés de force de 1962 à 1984. Plus de 2000 enfants nés à La Réunion ont fait l’objet de transferts forcés vers la métropole, afin de repeupler des départements touchés par l’exode rural. Ces enfants étaient généralement issus de classes pauvres. Beaucoup de familles ont agi sous la pression d’une administration affolée par la croissance démographique, en signant les autorisations exigées. D’autres ont été mises devant le fait accompli. Les parents étaient convaincus que leurs enfants partaient pour un meilleur avenir et qu’ils reviendraient régulièrement dans l’île. Mais la plupart n’ont jamais pu revoir leurs enfants. C’est pourquoi on parle de l’affaire des enfants dits de la Creuse.

 

Quand avez-vous découvert cette histoire ?
Pour ma part, j’ai été exilée à l’âge de 3 ans dans la Creuse avec toute ma fratrie. Quand nous sommes arrivés à Guéret en 1966, nous avons tous été séparés. Je me suis retrouvée dans une famille d’accueil où j’ai été maltraitée pendant quatre ans, puis j’ai été adoptée à l’âge de 7 ans par une famille aimante. J’ai vécu des années de mensonge. La couleur de peau, les cheveux frisés, etc. Tu te poses des questions. Avec mes frères et sœurs, nous nous croisions dans Guéret sans savoir que nous étions frères et sœurs. Ce n’est qu’à l’âge de 16 ans que j’ai découvert mon adoption et toute l’histoire. Ça a été un choc terrible. J’ai alors décidé de retrouver ma famille. C’était un moment intense. J’avais des questionnements depuis des années, sur mes parents qui n’étaient pas mes parents, sur mon autre nom, mon autre prénom, mon autre lieu de naissance. C’était un tsunami. Aujourd’hui, je vis toujours avec une fausse identité. Cela signifie qu’il y a eu des falsifications dans les documents.

« Nous sommes une mémoire vivante »

Qu’est-ce qui a motivé votre combat ?
Il faut d’abord bien comprendre qu’il s’agit d’une histoire transgénérationnelle. Il y a plusieurs victimes : les exilés, les parents, les familles à la Réunion, les familles en métropole, et nos enfants. Nous sommes une mémoire vivante. L’exemple vivant de ce qui ne devrait jamais être fait. Le combat que l’on mène, c’est vraiment pour la reconnaissance de cette histoire, afin que ça ne se reproduise plus. 2015 enfants, c’est quand même grave. C’est une affaire d’Etat. Et ce qui motive notre combat, c’est pour les droits de l’enfant pour aujourd’hui et pour demain. Car il existe encore aujourd’hui des placements compliqués, des adoptions difficiles. Dans nos parcours, il y a eu des victimes qui ont subi des violences, des maltraitances, du racisme. Aujourd’hui, on souhaite aller au-delà de tout cela, en arrivant à trouver ce chemin de la résilience. Car pour pouvoir avancer, il faut savoir qui on est et d’où on vient.

 

Depuis la création de la FEDD, qu’avez-vous obtenu de l’Etat ?
En février 2014, la députée de la Réunion Ericka Bareigts soumet une résolution mémorielle au vote des députés. Le 18 février, le texte reconnaissant la responsabilité de l’Etat Français dans l’exil forcé des Réunionnais est adopté par l’Assemblée nationale. Ils se sont tournés vers nous et nous ont applaudi. C’était très poignant. Et cela signifiait que notre histoire entrait dans l’histoire de l’Assemblée nationale. Et ça, c’est quelque chose de très important. Mais on ne pouvait pas en rester là. On ne pouvait pas se contenter d’une résolution. Ce n’était pas une loi. On n’allait pas mettre ce papier dans un tiroir et s’arrêter là. C’est la première porte qui s’est ouverte.

 

L’Etat a-t-il finalement reconnu une forme de culpabilité ?
C’est compliqué mais on avance. C’est un combat de tous les jours. Par la résolution à l’Assemblée, l’Etat, oui, a reconnu sa faute morale, mais pas sa faute juridique. Emmanuel Macron a envoyé une lettre en 2017 pour reconnaître qu’il y avait eu une faute de l’Etat de ne pas avoir su protéger les enfants. On avance donc doucement, grâce notamment à nos témoignages relayés sur les réseaux, mais aussi grâce à vos actions comme les vôtres car vous êtes la génération de nos enfants qui eux aussi ont souffert. D’autre part, il y a eu la mise en place en 2016 d’une commission nationale composée de cinq experts pour une étude historique et sociologique. Ces experts ont remis leur rapport en 2018. Celui-ci retrace les origines de cette histoire, les responsabilités de l’administration de l’Aide Sociale à l’Enfance et les conséquences pour les victimes. Le rapport demande notamment l’accès facilité aux dossiers individuels et une aide psychologique. On a ensuite obtenu le 17 mai 2021 le dispositif d’aide psychologique adapté aux traumatismes de l’exil, par le biais d’une convention signée avec Marion Feldman, professeure de psycho-pathologie à l’Université de Paris Nanterre et spécialiste des traumatismes infantiles. C’est un grand pas en avant, même si on veut aller bien au-delà.

« Nous ne sommes pas là pour trouver un coupable. Nous sommes là pour nous reconstruire. »

Depuis 2017, vous avez également obtenu un voyage tous les trois à La Réunion n’est-ce pas ?
Oui, mais ce n’est pas suffisant. C’est Ericka Bareigts, ministre des Outre-mer, qui a décidé de mettre en place ce dispositif de billet aller-retour tous les trois ans avec une bourse de 500 euros. Mais uniquement pour les ex-mineurs. Ce qui est dommage car on aurait aimé élargir ce dispositif à nos enfants, nos conjoints. Car y retourner seul, c’est fracassant. Car en fin de compte, on ne sait pas d’où l’on est. Je dirais par exemple que je suis Creusoise d’adoption mais Réunionnaise dans le cœur, dans l’âme, dans le sang. Et on a beaucoup de difficultés à y retourner. C’est pourquoi le dispositif psychologique va beaucoup nous aider. Mais ce n’est pas suffisant. On vieillit. La plupart des victimes ont entre 45 et 80 ans. Il faudrait un voyage tous les ans.

 

En décembre 2020, pour la première fois, vous avez effectué un voyage de groupe vers La Réunion. Racontez-nous…

On a commencé à mettre en place ce voyage en février 2020. C’était très important d’y retourner tous ensemble dans le but de nous réconcilier avec notre histoire, nos familles, La Réunion et les Réunionnais. Il faut savoir que sur l’île il y a beaucoup de déni et de culpabilité par rapport à cette histoire. Nos familles se sentent coupables de ce qui s’est passé. Nous étions 80 à partir en décembre, dont les experts de la commission nationale, Marion Feldman, ainsi que notre avocate Elisabeth Rabesandratana. Nous avons fait une conférence de presse à Saint-Denis afin de dire aux Réunionnais qu’il ne faut pas oublier. On a besoin de vous pour nous reconstruire. C’était un moment très fort et médiatisé. Nous ne sommes pas là pour trouver un coupable. Nous sommes là pour nous reconstruire. Il y a eu de très belles rencontres. Mais aussi des rejets, comme cette ex mineure qui a retrouvé sa maman biologique. Il y a eu un rejet total de la part de la mère. Pour ma part, cela a été une réussite. J’ai retrouvé mon papa biologique 58 ans après. Il a 84 ans et huit autres enfants. Après tant d’années, c’était très émouvant. Il m’a dit qu’il me suivait à la télévision. Il m’a dit : « Je savais que tu existais mais j’avais honte de moi ». Depuis, j’ai décidé de m’y installer en septembre prochain pour terminer le puzzle de ma vie.

« Le Conseil de l’Europe a plaidé fin janvier 2024 pour la mise en place de mesures de réparation officielles envers les millions d’enfants placés victimes de violences en Europe. »

Qu’avez-vous réalisé ensuite ?

Nous avons réalisé beaucoup d’actions, dont une intervention auprès de jeunes dans des collèges et des lycées de Grenoble, et une exposition photo dédiée aux enfants dits de la Creuse à Limoges en présence de l’ex-président François Hollande. On a représenté la France sur le plan européen à Berne en Suisse en octobre 2020. Il n’y a pas que la France qui a connu ce type d’exils forcés. Il y a la Suisse, l’Allemagne, l’Espagne, l’Irlande, la Belgique, l’Italie, le Portugal, … Nous souhaitons nous associer sur le plan européen pour faire bouger nos gouvernements. Ce que l’on veut, ce sont des excuses publiques du gouvernement français. Une reconnaissance au plus haut niveau pour demander pardon à ces enfants.

 

En 2022 et 2023, de nombreuses avancées ont eu lieu, dont l’inauguration d’une stèle à Orly et des retours à La Réunion. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Après la sculpture pour les Enfants Réunionnais de la Creuse qui s’élève depuis 2013 à l’aéroport Roland Garros de La Réunion, une seconde stèle a été posée le 17 février 2022 à l’aéroport d’Orly, par lequel ont transité les Réunionnais déportés vers l’hexagone entre 1962 et 1984. C’est donc un symbole très fort pour nous. Ensuite, en avril 2023, 47 « Enfants de la Creuse » sont revenus à La Réunion, certains pour la première fois. Un super projet théâtre, porté par des jeunes de Montpellier (Collectif V.1), a été mené sur le sujet. Ces derniers sont venus le 21 avril à La Cité des Arts interpréter « Tous nos ciels », une pièce qui s’inspire de notre histoire et du déracinement subi. Pendant une semaine, ils ont découvert l’île, rencontré la maire de Saint-Denis de La Réunion. Cela a été vraiment une réussite. Dans le groupe, Georges Oudin a adoré son séjour, si bien qu’il est revenu en octobre pour participer à la Diagonale des Fous, le Grand Raid de la Réunion. Le 20 novembre 2023, nous avons organisé à Saint-Paul la 3e édition de la commémoration de l’histoire des Enfants dits de la Creuse dans le cadre de la journée internationale des droits de l’enfant, en présence du préfet de La Réunion et d’élus locaux. Une œuvre d’art a été inaugurée. Jocelyn A-Poi, le frère de Simon que vous avez interviewé avec vos jeunes, était là pour la première fois, 70 ans après son exil. Il veut revenir s’installer définitivement sur place, comme moi !

 

Que reste-t-il à obtenir ?

Pour ces retours sur l’île, ce qui manque, c’est un dispositif psychologique avant, pendant et après. Car, pour certains, c’est encore trop douloureux. Par exemple, un ex-mineur est revenu il y a peu. Sur place, il a découvert que sa maman biologique était décédée. Il est brisé. Nous souhaitons aussi organiser une commémoration pour la journée internationale des droits de l’enfant le 20 novembre 2024 à Cannes, car c’est une ville concernée par l’exil. Le Conseil de l’Europe a plaidé fin janvier 2024 pour la mise en place de mesures de réparation officielles envers les millions d’enfants placés victimes de violences en Europe. C’est une très bonne nouvelle. Nous demandons des réparations mémorielles, financières et psychologiques, ainsi que des excuses publiques du gouvernement. On souhaite également la mise en place d’une commission nationale pour les Enfants dits de la Creuse, qui engloberait le juridique et le psychologique. Nos histoires doivent servir à améliorer le droit de l’enfant car il y a encore trop d’abus. Nous sommes très heureux que le député européen du Bas-Rhin, Emmanuel Fernandes, nous soutienne. Il y a donc de nouveaux pas vers la reconnaissance de notre histoire. Mais notre combat n’est pas fini pour la protection de l’enfance et pour tous les enfants victimes d’abus. Ce que l’on a vécu, les viols, les maltraitances, tout cela est prescrit. Nous allons nous appuyer sur nos homologues suisses qui ont obtenu une réparation financière à titre collectif. Il y a tellement de victimes aujourd’hui dans la précarité, qui n’ont pas pu aller à l’école ni accéder à une situation. On ira jusqu’à la réparation financière si on peut. Nous travaillons également sur le volet de la mémoire et des ressources. On souhaite un lieu de mémoire à Guéret et à Saint-Denis, dans le même esprit que le Mémorial de la Shoah à Izieu. C’est l’histoire de France. C’est notre histoire, et c’est une nécessité de la faire entrer dans les manuels scolaires. On tient bon. On avance. Avec beaucoup de bonne volonté, je dirais que l’on s’en sort toujours. Retenez bien ça les jeunes !

 

Recueilli par Nour, Mathéo, Ibrahim et Quentin

Une histoire tragique

 

Par Antoine Aguilera (16 ans)

 

Marie-Josée, c’est une femme de 62 ans que l’on pourrait décrire par sa joie de vivre avec, parfois, un sourire enfantin.

Marie-Josée a néanmoins un côté « caché ». Au fur et à mesure de notre interview un autre aspect d’elle surgit petit à petit. Cette femme a vécu le drame des enfants de la Creuse.

 

 

Elle nous montre que cette si histoire appartient au passé, les séquelles restent vives même si l’on peut toujours rebondir. Depuis quinze ans elle travaille dans un centre de loisirs maternels.

« Je suis arrivée à l’âge de 10 ans. J’ai atterri dans une maison médicale dans le Gers, en transit, pour être adoptée. Normalement on devait y rester au maximum six mois. C’était un lieu d’accueil provisoire. Les adoptions se faisaient tous les dimanches : les gens venaient des quatre coins de France. Les dossiers étaient préparés et les valises prêtes !»

Un étrange concept qui pourrait presque évoquer une sorte de supermarché de l’adoption « Complètement inhumain, oui. Je suis finalement restée dix ans dans cet aérium. On était perdus, on ne savait pas qui on était, ni d’où on venait. La Réunion, on devait l’oublier. »

C’est un traumatisme de devoir tirer un trait sur son enfance pour se reconstruire, oublier tout sa vie finalement pour s’en recréer une. Marie-Josée a du (re)grandir dans un mensonge, les adultes de cet aérium lui ont expliqué qu’elle était orpheline.

« Moi je l’ai cru car j’étais traumatisée » C’est seulement à l’âge adulte qu’elle a pu consulter son dossier et qu’elle a découvert avoir une famille. Elle a pu les retrouver par la suite.

« Ne sachant pas d’ou on vient, qui on est, on a des troubles transmis a nos propres enfants. Cela veut dire qu’aujourd’hui nos enfants ne sont pas mieux lotis que nous. »

Le sentiment que lorsqu’on a pas d’héritage a transmettre, on n’a rien a donner.

Les souvenirs remontent : « Dans l’avion qui nous exportait en France, nous portions un numéro de matricule. Le mien était 2637.»

En effet, lors de l’instruction du dossier à la DDAS de la Réunion chaque enfant se voyait attribué un matricule. Sans jamais savoir à quoi cela servait.

Sur le dossier était également inscrite la couleur de métissage, allant de 1 à 4 (clair à foncé). Toutes ces informations font penser à une commande en ligne d’un objet personnalisable.

Et que sont devenues les « bonnes » intentions évoquées (études, soins médicaux) ?

En réalité, de nombreux enfants de la Réunion ont été exploités :

« Plutôt que leur proposer des études, on les a utilisés dans les campagnes à travailler du matin au soir, dans les fermes ou en tant que bonnes. Pour eux, c’était extrêmement douloureux et difficile. »

A.A

Dans le temps de ces ateliers, deux des jeunes participants sont allés rencontrer le journaliste-producteur Sébastien Folin qui leur a raconté ses années passées sur l'Ile-de-la-Réunion après son enfance à Madagascar. Une identité nomade avec ses richesses et ses traumatismes.

Deux travailleuses sociales à l’origine du projet

 

Nos propres expériences professionnelles nous ont amenées à constater que de nombreux adolescents sont en perte de repères et n’ont pas eu accès à l’histoire de leur origines, par manque de transmission familiale. 

Fortes de notre constat et de notre expérience, nous avons souhaité approfondir cette problématique et monter un projet autour de celle-ci. 

Pourquoi nous sommes-nous intéressées à l’histoire des enfants de l’Île de la réunion ? Suite à un reportage diffusé sur France télévisions, il nous a parues pertinent de nous y intéresser et de permettre aux jeunes issus d’horizons très différents de s’interroger sur leur propre histoire à travers celle de ces enfants devenus adultes aujourd’hui.

Le projet a été pensé en trois étapes clés : un travail journalistique avec pour objectif de réaliser un reportage qui paraîtra sur D’ailleurs et d’ici (ceci est un premier volet), puis le séjour sur l’île  et, enfin, la restitution.

 

Dominique et Elodie

Pour un seul voyage

 

Par Nour Lavier (17 ans)

 

Aujourd’hui informaticien en région parisienne, Jean-Lucien Herry, 50 ans, fait partie de ces milliers d’enfants déracinés de l’île de la Réunion, connus sous le nom des enfants dits de la Creuse.

 

 

« À l’heure actuelle, mon identité réunionnaise n’existe pas. » Adopté à l’âge de trois ans, Jean-Lucien a été recueilli par une famille aisée, lui permettant d’obtenir un certain confort que tous, très loin de là, n’ont pas eu la chance de connaître. Ce ne sera qu’en 1975 qu’il sera reconnu comme adopté par « adoption plénière », lorsque le juge lui donne officiellement son nouveau nom. C’est l’année où il changera complètement d’identité, l’année où l’État décidera de tirer un trait sur son passé réunionnais.

Jean-Lucien a globalement eu une enfance assez agréable dans les campagnes de France, malgré des problèmes de racisme liés à sa couleur de peau. Mais, à l’âge de quatorze ans, Jean-Lucien se pose des questions sur sa construction identitaire, notamment sur ses parents biologiques. Son premier voyage sur l’île aura lieu en 1983, ce ne sera qu’un voyage touristique. Il effectuera un second séjour avec ses parents et se rendra cette fois à la DDASS* pour consulter son dossier.

Au retour de l’île, il se sentira perdu avec de nombreuses réflexions. « Devais-je rechercher mes parents ou dois-je me laisser du temps pour me construire face à ce qui vient de me bouleverser? »

En 2016 ce sera un nouveau voyage, cette fois avec sa femme et ses enfants.

Il décidera d’y retourner l’année suivante, et retrouvera son père biologique. Jean-Lucien nous explique que sur le décret d’adoption était inscrit la mention « Pour un seul voyage ». Ces mots ici parlent d’eux-mêmes. Le retour en arrière était impossible. Des numéros de matricules étaient attribués aux enfants avec des sigles comme PA (Pour Adoption) et RT (Recueilli Temporaire). Mais le plus inhumain est qu’on leur donnait un numéro allant de un à trois, en fonction de leur couleur.

 

«Déportés, et non transplantés comme ils disent»

La procédure d’adoption mettait énormément de temps à cette époque : huit ans pour l’adoption de Jean-Lucien et douze ans pour « sa soeur » Pascaline.

Une procédure qui s’effectuait sur un seul critère : une photo. Avec des termes comme « mis à disposition gratuitement et gracieusement ». Et une semaine pour que le couple puisse se décider.

En 2017, il rejoindra la FEDD (Fédération des Enfants Déracinés des Drom). Parmi ses objectifs, l’association veut que l’État reconnaisse bel et bien sa culpabilité, notamment les séquelles que cette histoire a laissées sur ces ex-mineurs « déportés et non transplantés comme ils disent ». « Depuis deux ans notre combat est un peu plus visible », constate Jean-Lucien qui, aujourd’hui, est responsable de la cellule juridique de l’association.

La FEDD a pu obtenir du gouvernement un voyage à La Réunion une fois tous les trois ans. A l’heure actuelle, l’objectif principal de l’association est que ce drame soit reconnu comme « crime contre l’enfance » et non comme une « faute » ou une erreur de la part de l’État.

 

N.L.

Rencontre avec Simon A-Poi à Guéret dans la Creuse

Coordination et animation : Marc Cheb Sun, Florian Dacheux et Albérick Tode de Multikulti Média, en partenariat avec les éducatrices Elodie et Dominique de l’UEMO de Torcy.