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Avr / 29

MODE EN FUSION ACTE 1

By / akim /

Symbole mondial de la french touch, la mode tricolore s’est toujours nourrie de créateurs, d’artisans et d’influences venues d’ailleurs.
Une diversité fertile qui peine encore à se refléter sur les podiums… mais dont le pays aura, à l’avenir, plus que jamais besoin, mondialisation oblige.

MODE

EN FUSION

ACTE 1

Bientôt deux siècles qu’on la célèbre, qu’on l’observe… qu’on la fantasme, aussi. Aux yeux du monde, la mode continue d’incarner l’un des fleurons de la culture made in France. Une renommée prestigieuse que notre création doit pour beaucoup à son cosmopolitisme… Qui se souvient, par exemple, que la haute couture est née à Paris sous l’impulsion du Britannique Charles Frederick Worth et du Suédois Otto Bobergh ? Que Cristóbal Balenciaga et Paco Rabanne, symboles de la mode tricolore, sont arrivés d’Espagne comme réfugiés politiques ? Ou que la success story Naf-Naf a débuté dans le modeste quartier juif du Sentier, à l’initiative de deux frangins originaires de Tunisie ?
De la lumière des défilés à l’ombre des ateliers de textile, l’industrie de la mode n’a cessé de se réinventer au gré des vagues d’immigration. Et renvoie, tel un miroir grossissant, le reflet des soubresauts du monde. « Comme à New York, beaucoup d’immigrés se sont installés en tant qu’entrepreneurs dans la confection en arrivant à Paris : Belges, Allemands et Polonais à la fin du xixe siècle, Juifs d’Europe de l’Est, Italiens et Arméniens dans l’entre-deux-guerres… Après la Seconde Guerre mondiale, sont arrivés les Juifs du Maghreb, puis, à partir des années 60-70, des Yougoslaves, des Turcs, des Pakistanais et des Chinois. Même si les conditions de travail sont parfois difficiles, le secteur permet de créer sa petite entreprise sans investir beaucoup d’argent et porte en lui le mythe d’une possible ascension sociale », analyse l’historienne Nancy L. Green.

Success stories du ghetto

Régulièrement, le monde du prêt-à-porter voit naître de belles réussites, incarnées par des entrepreneurs partis de rien ou presque. Rappelez-vous : à la fin des années 90, sweats et baggies estampillés M. Dia envahissent les armoires de toute une génération. Derrière cette griffe ? Un jeune Franco-Malien, Mohamed Dia. Originaire de Sarcelles (95), il travaille comme médiateur de rue lorsqu’il décide de faire fabriquer une centaine de hoodies à son nom. Popularisées par ses potes du Ministère A.M.E.R., ses fringues séduisent jusqu’aux États-Unis : en 2001, la NBA signe un accord avec sa marque qui, trois ans plus tard, sera distribuée dans plusieurs pays d’Europe.
Un succès qui fait écho à celui de Malamine Koné, le créateur d’Airness. Arrivé du Mali à dix ans, installé dans le 93, Koné n’a pas un sou en poche. À dix-huit ans, il décide de créer sa propre marque de sportswear. Après avoir réussi à faire réaliser – à crédit – quelques modèles de sweatshirts qui se vendent comme des petits pains, il a l’idée de sponsoriser des athlètes… hors des stades ! Résultat : sa panthère s’installe progressivement dans le paysage sportif, habillant les équipes de foot de Valenciennes ou de Nantes, des stars du tennis, ou encore les Aigles du Mali. Jusqu’à faire d’Airness l’un des principaux équipementiers français des années 2000.
Plus récemment, c’est Chewö Couture qui s’impose dans le prêt-à-porter haut de gamme. Aux commandes ? Moustadira Adame, un jeune Marseillais d’origine comorienne, parti avec deux cents euros d’économies. Après avoir créé ses premiers tee-shirts au lycée, ce minot des quartiers Nord remporte en 2008 le prix régional Talents des cités. Le premier d’une longue série… Inspiré de Baudelaire et d’Oscar Wilde, son style résolument dandy séduit. Les Galeries Lafayette, d’abord, le distribuent dès 2011. Et le public l’aide à cofinancer une première boutique à Aix-en-Provence. Et vient la Chine, où ce jeune homme de vingt-cinq ans vend désormais ses créations.

Mode d’ici, inspirations d’ailleurs

Des visionnaires qui, contre toute attente, chamboulent parfois le monde (très) fermé de la haute couture. Aujourd’hui admis dans le sérail, Azzedine Alaïa a quitté la Tunisie, pour tenter sa chance à Paris, au milieu des années 50. Après une période de galère, puis de notoriété naissante, il lance finalement sa marque au début des années 80. Une révolution dans l’univers du prêt-à-porter, où il révèle notamment la top model Naomi Campbell.
Pendant ce temps-là, un autre couturier fait son entrée dans l’histoire : Jean-Paul Gaultier, un petit gars d’Arcueil (94) que rien ne prédestinait à devenir l’un des plus grands couturiers de son temps. Issu d’un milieu modeste, « l’enfant terrible de la mode » connaît en effet des débuts difficiles. Son salut ? Il le trouve auprès du groupe japonais Kashiyama. Dès lors, Jean-Paul Gaultier ne cessera de casser les codes établis, réinventant tout à la fois les lois du genre, du beau et de l’élégance. Inspiré par l’énergie de la rue, celui qui mettra plus tard à l’honneur rabbins chics, mannequins noirs et corps tatoués, rencontre un succès fulgurant. Robes inspirées des boubous africains, jupes pour hommes, esthétique punk. Nourri de références populaires et métissées, il est de ceux qui font bouillonner les années 80. Une époque charnière, où Paris voit exploser une nouvelle génération de stylistes avant-gardistes, tout droit venus du Japon : Issey Miyake, Kenzo, Rei Kawakubo (Comme des garçons) ou Yohji Yamamoto…

DE LA LUMIÈRE DES DÉFILÉS...

À L'OMBRE DES ATELIERS DE TEXTILE...

La planète mode à Paris

Irrémédiablement, la Ville lumière attire. Dans les années 90, les Belges Martin Margiela et Ann Demeulemeester viennent y défiler. Les Néerlandais Iris Van Herpen ou Victor & Rolf, comme l’Anglais John Galliano, y mènent leurs expérimentations stylistiques, pendant que le Malien Lamine Badian Kouyaté (alias Xuly Bët) choisit d’y développer sa griffe. « La création française est celle qui a été et reste la plus perméable à toutes les influences mondiales. Les courants stylistiques qui écrivent la mode présentée à Paris additionnent les écoles anglaise, japonaise ou belge… pour ne citer qu’elles. Cette agrégation de talents de tous horizons, qui décident de s’installer dans la capitale ou tout simplement d’y présenter leurs collections, est ce qui constitue sa densité et sa singularité », analyse Olivier Saillard, directeur du palais Galliera et commissaire de l’exposition Fashion Mix.
Depuis 2001, le très cosmopolite quartier parisien de la Goutte-d’Or voit s’installer un nombre significatif d’ateliers de création. Un mouvement encouragé par la Ville et la Fédération française de prêt-à-porter qui ont permis à des stylistes et designers de s’implanter rue des Gardes. À deux pas des échoppes exotiques et des boutiques de tissage, cette « rue de la Mode » accueille aujourd’hui neuf créateurs, dont Xuly Bët, Tessa Delpech, Marcia de Carvalho ou Sakina M’Sa. Cette dernière qui a fait de son activité un outil d’insertion sociale , revendique pleinement son ancrage géographique. C’est ici, dans ce creuset populaire et multiculturel, que cette Franco-Comorienne puise une large part de son inspiration. Et ça plaît : maintes fois récompensée, celle qui habille Ludivine Sagnier ou Eva Mendes s’exporte jusqu’au Japon.

RETROUVEZ CET ARTICLE DANS LA REVUE PAPIER NUMÉRO 2

Grandes photos et stylisme : Rodrigue Laventure.

Modèle : Rei.

Texte : Aurélia Blanc.

 

 

 

 

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