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Mai / 26

Rencontre avec l’imam Kahina Bahloul

By / akim /

Rencontre avec l’imam

Kahina Bahloul

Pourriez-vous nous parler de votre parcours ?

Je suis née à Paris, d’un père algérien et d’une mère française dont le père est français catholique et la mère est juive polonaise. Je suis partie en Algérie très jeune et j’y vécu jusqu’à l’âge de 24 ans. J’ai une formation de juriste. J’ai obtenu une maîtrise de droit en arabe en Algérie. Ensuite, j’ai décidé de venir en France où j’ai travaillé en tant que cadre dans les assurances durant plusieurs années. Ayant connu la décennie noire de l’autre côté de la méditerranée, j’ai voulu comprendre pourquoi l’Islam est tombé dans cette violence. A travers mes lectures, j’ai découvert la philosophie soufie et j’ai compris que cette violence n’est pas structurelle ni intrinsèque à l’Islam mais l’ignorance, les compréhensions superficielles et surtout la manipulation des esprits ont agi profondément dans les consciences d’une grande majorité de musulmans malheureusement…alors, j’ai décidé de reprendre mes études pour faire de la recherche en islamologie depuis quelques années. En découvrant la richesse et la sagesse des grands savants de l’Islam, il m’est apparu nécessaire de faire sortir les travaux universitaires dans un lieu de culte, d’où l’idée de créer une Mosquée libérale.

 

Où en est votre projet de création d’une mosquée à Paris ? Comment sera-t-elle financée ? 

Nous avons longuement réfléchi aux valeurs que nous voulons incarner et nous sommes arrivés à faire le choix du mot libéral : une Mosquée libérale parce que l’Islam dès sa naissance a fait de l’être humain un être libre et responsable et à ce titre, nous avons la conviction que l’Islam est compatible avec les valeurs de la modernité qui a fait advenir l’individu libre et responsable. Par ailleurs, notre lieu sera ouvert à toute personne qui souhaite partager nos moments de prière et l’enseignement qui y sera délivré, sans aucune restriction. Femmes et hommes serons traités de la même manière et dans le respect de la dignité de chacun. Les non-musulmans aussi, seront les bienvenus.

Concernant notre projet de Mosquée, nous avons finalisé la création de l’association loi 1905 et cherchons un lieu pour accueillir nos prières et des activités culturelles en parallèle. Nous avons besoin de financements et nous lançons un appel aux personnes qui souhaitent nous soutenir à faire des dons. Je rappelle que dans le cadre de la loi 1905 nous pouvons délivrer des reçus fiscaux aux donateurs. 

 

 Plusieurs pays en Europe, aux Etats-Unis, en Chine ont des femmes imams. Y en a-t-il également dans des pays dont la population est majoritairement musulmane ? Si non pourquoi ?

Je me présente en effet, comme imam. J’ai d’ailleurs réalisé mon premier office religieux à travers une prière mortuaire en région parisienne. C’était pour moi et pour les personnes présentes, un moment d’une grande intensité. Il y a des femmes imams un peu partout en Europe, aux USA et en Chine mais malheureusement, il n’y en a pas dans les pays majoritairement musulmans. C’est vraiment regrettable. Le patriarcat en tant que mentalité et culture, dans ses pays là, est sacralisé et a remplacé le véritable sacré.

 

On entend parfois dire à propos des femmes imams, que « ce n’est pas dans l’islam » ? 

Comme je le disais plus haut, la question de la femme est d’une grande sensibilité. Pour ces hommes, la femme fait partie de ces choses qui leur appartiennent et sur lesquelles ils auraient tous les droits : gérer leur vies, leur corps comme si tout leur appartenait. D’ailleurs, nous retrouvons des relents de la logique antéislamique où la femme était un objet de droit et non un sujet de droit. Il s’agit clairement d’une régression par rapport au progrès apporté par le message coranique. Posséder le corps de la femme et le maîtriser fait partie, dans la culture patriarcale, des défis et des droit des hommes à travers lesquels il peut affirmer que c’est lui qui détient le pouvoir.

Concernant le discours selon lequel l’imamat de la femme n’est pas l’islam, je réponds : si ces gens là se disent musulmans et qu’il ont pour livre sacré le Coran alors je les renvoie au Texte. Pas plus l‘imamat masculin que féminin n’est mentionné dans le Coran. Aucun verset ne fait allusion à l’imamat des hommes. Il s’agit d’une fonction qui a émergé d’une pratique sociale et anthropologique et qui a perduré dans le temps contrairement à l’imamat de la femme qui n’a pas eu cette même chance de pérennité dans le temps alors, qu’au départ, à l’apparition de l’islam, il s’agit clairement d’une volonté exprimée par le prophète Mohammad à travers sa désignation d’une femme imam Oum Waraqa. Nous retrouvons ce hadith dans plusieurs recueils de tradition prophétique.

 

Vous venez du courant soufi de l’islam. Face aux crises sociales et identitaires que vivent beaucoup de jeunes musulmans, face au durcissement aussi des sociétés européennes face à l’islam, on a peu vu les courants soufis (hors mis quelques initiatives sympathiques et nécessaires comme les scouts musulmans mais sans grand impact sur la jeunesse) investir ces questions sociales et sociétales…

Le soufisme est effectivement, plutôt, une voie discrète qui ne cherche pas à faire du prosélytisme. Ceci dit, il y a quelques initiatives très intéressantes pour mieux faire connaitre cette voie spirituelles. Nous pouvons citer à titre d’exemple, la Fondation Conscience soufie créée par Eric Geoffroy. Le problème réside dans le fait que les courants fondamentalistes ont beaucoup cherché à disqualifier et à salir le soufisme en le qualifiant de secte ce qui suscite une certaine méfiance mais, je conseille vivement aux jeunes de chercher à mieux comprendre cette spiritualité car la spiritualité est ce qui donne du sens à toute religion. D’ailleurs, je tiens à rappeler que l’Islam traditionnel est un Islam soufi. Tous les grands savants ont été soufis…et le soufisme est présent partout dans les pays musulmans.

 

Le parti les Républicains veut interdire suite à de longues années de débats, le voile pour les accompagnantes lors des sorties scolaires, qu’en pensez-vous ? 

Nous pouvons constater, à travers ces débats, à quel point la question du voile suscite encore des tensions dans les pays européens dont les origines ne sont pas musulmanes et qui voient dans cet habit une autre symbolique que celle que beaucoup de femmes qui le portent lui donnent. Beaucoup y voient un signe de soumission de la femme, ce qui n’est pas complètement faux dans certains cas et pas vrai dans d’autres. Le voile cristallise beaucoup de peurs envers l’islam fondamentaliste et je crois qu’il faut l‘entendre. Par ailleurs, nos parlementaires et politiques doivent comprendre aussi que le voile est parfois un véritable choix qui est fait par les femmes musulmanes en toute conscience et en toute liberté et qu’il n’y a pas lieu d’en avoir peur. Mon plus grand souhait, c’est qu’on puisse arriver, un jour, à aborder cette question avec plus de tolérance et de manière plus apaisé, d’un coté comme de l’autre. Qu’on arrive à en parler simplement pour chercher à comprendre l’autre et à comprendre la logique et les ressorts qui sous-tendent chaque position et chaque choix. Nous n’arriverons, certainement pas, à mettre tout le monde d’accord mais au moins, nous parviendrions, peut-être, à une meilleure compréhension et une meilleures connaissance et reconnaissance de l’autre.

 

Souhaitez-vous et pouvez-vous rassembler largement aujourd’hui au-delà de courants avant-gardistes de l’islam de France ?

Evidemment, nous souhaitons qu’une large frange de la communauté musulmane comprenne notre projet et les valeurs que nous portons. Nous espérons qu’avec le temps, nous pourrons convaincre un large public et nous avons d’ors et déjà beaucoup de gens qui disent être en attente de telles initiatives depuis trop longtemps.

 

La Fondation pour l’islam de France avance-t-elle de manière satisfaisante face aux besoins d’une part, aux crispations d’autre part ?

Un nouveau président vient de prendre la tête de la Fondation pour l’islam de France, je crois en la bonne volonté de Ghaleb Bencheikh et en ses compétences pour faire de cette institution un haut lieu de savoir qui puisse répondre aux attentes des musulmans de France, de manière large et satisfaisante.

 

Quels sont pour vous les grands enjeux auxquels l’islam de France est confronté ?

Ils sont nombreux. Nous devons d’abord, travailler à une meilleure représentativité en mettant un terme aux influences et aux manœuvres de l’islam consulaire. Une représentativité qui doit également prendre en compte l’autre moitié qui compose la communauté de l’Islam de France, c’est-à-dire les femmes. Aujourd’hui, le CFCM est le lieu par excellence, d’ostracisation de la gente féminine. Par ailleurs, la lutte contre la radicalisation est le principal défi. Nous ne pourrons parvenir à sa prévention qu’à travers l’éducation et l’enseignement du fait religieux d’un point de vue historique.

 

Ressentez-vous un climat islamophobe en France et en Europe actuellement ?

Indéniablement, il existe un climat islamophobe en France et en Europe aujourd’hui. Nous le voyons bien à travers la montée des mouvements d’extrême droite un peu partout en Europe. Ceci dit, il existe beaucoup de gens de bonne volonté qui œuvrent pour la fraternité. J’en veux pour exemple, toutes ces initiatives de dialogue interreligieux, ces efforts citoyens pour encourager le rapprochement entre les différentes communautés et pour lutter contre les préjugés. Nous devons poursuivre nos efforts dans ce sens afin de juguler toutes ces peurs.

 

Un message particulier en ce mois saint ?

En ce mois béni de Ramadan, je tiens à souhaiter à toutes les musulmanes et à tous les musulmans un mois durant lequel ils trouveront l’apaisement des cœurs dans la grâce de Dieu, un mois où la fraternité et la solidarité puissent s’exprimer envers l’ensemble de nos concitoyens français musulmans ou non.

 

 

Propos recueillis par Marc Cheb Sun

Pour soutenir le projet : mosqueefatima@gmail.com

Categories : Musulmans de France
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