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Nov / 15

Une expo pour déconstruire les préjugés sur l’islam

By / Florian Dacheux /

Intitulée « L’histoire de l’islam et des musulmans de France de 720 à 2021 », une exposition conçue avec dix jeunes se tient jusqu’au 21 novembre à l’Espace Mendès France d’Epinay-sur-Seine. Itinérante, elle circulera à travers la France ces prochains mois. Entretien avec l’universitaire et professeur d’histoire-géographie Jamel El Hamri à l’initiative du projet mené en collaboration avec les associations SEVE et IMS. Une exposition qui invite à déconstruire les préjugés sur l’islam avec pour seule arme : des faits historiques.

Une expo pour déconstruire les préjugés sur l’islam

Quelle est la genèse du projet ?
Je suis consultant jeunesse pour les associations SEVE (Savoir et Education au Vivre Ensemble) et IMS (Intégration Musulmane Spinassienne) depuis fin 2014 pour mettre en place des projets à destination des jeunes d’Epinay-sur-Seine. Entre 2014 et 2018, nous avons mis en place des projets pédagogiques autour des commémorations de la grande guerre 14-18 et l’ensemble des soldats morts pour la France. En 2018, l’année de l’obtention de ma thèse de doctorat, j’avais envie de continuer avec ces jeunes-là. Je sentais cette nécessité de transmettre l’histoire de l’islam en tant que religion et civilisation et l’histoire des musulmans en tant qu’individus en France, en allant plus loin, dans cette idée de déconstruire les idées reçues qui ont rejailli après les attentats de 2015 à Paris. Etant conférencier, j’avais beaucoup apprécié l’ouvrage de Mohamed Arkoun, Histoire de l’islam et des musulmans en France paru en 2006 aux Editions Albin Michel. Parmi ces 13 siècles d’histoires, je citais un certain nombre d’anecdotes. J’ai vu que ça plaisait, notamment chez les jeunes que j’accompagnais à Verdun. A la suite de l’organisation d’un séminaire grand public dans une démarche de démocratisation du savoir, est née l’idée d’une exposition en 2019 à coconstruire avec un groupe de jeunes d’Epinay. Le projet a mûri puis nous avons lancé un appel à candidatures lors de la journée des associations début septembre 2020. Il s’agit d’un projet jeunesse et culture autour de l’histoire de l’islam et des musulmans de France de 720 à 2021 soutenu par la mairie d’Epinay-sur-Seine et la Fondation Islam de France.


Comment les jeunes sélectionnés ont coconstruit cette exposition ?
Dix jeunes spinassiens ont été sélectionnés. Accompagnés depuis octobre 2020, ils ont coconstruit cette exposition. Après un séminaire de formation, chaque jeune s’est concentré sur la réalisation de deux kakémonos par période historique. La difficulté que nous avons eue, c’était vis-à-vis de leurs âges. Il s’agissait d’un groupe avec des jeunes allant de la 6e à la Terminale. Il a fallu ancrer cette histoire dans l’histoire de France, en donnant des repères clés. Avec la période médiévale de 711 à 1492, la période moderne de 1492 jusqu’à la Révolution française, de l’expédition de Bonaparte en Egypte jusqu’à la fin du 19e siècle, le 20e siècle, et enfin le 21e siècle. Ils ont rédigé des écrits, réalisé des PowerPoint et des supports audiovisuels. Il s’agissait également de les initier à la recherche, à la confrontation des sources, au développement de leur esprit critique. Ils ont également été associés à toutes les étapes liées à l’organisation du vernissage de l’exposition à l’Espace Mendès France, tout comme la rédaction du communiqué de presse. Ils en ressortent grandis.


On imagine que les objectifs de cette exposition sont nombreux. On ressent votre ambition de contribuer à enrichir la culture historique et la citoyenneté des jeunes. N’y a-t-il pas une envie profonde de faire corps avec notre histoire commune et d’inscrire une bonne fois pour toute l’histoire de l’islam de France dans le récit national français ?

Cette exposition a une vertu un peu iconoclaste. Il s’agit de treize siècles d’histoire riche et intense, de l’émirat de Narbonne à aujourd’hui en passant par l’alliance franco-ottomane entre François 1er et Soliman le Magnifique. Les jeunes sont très surpris d’apprendre l’influence polyforme de l’islam et des musulmans. Le fait, par exemple, de voir comment des philosophes comme Avicenne ou Averroès ont beaucoup influencé la philosophie médiévale européenne qui a précédé la Renaissance. Ce que l’on n’apprend pas à l’école. Ou encore, à travers la Révolution française, voir comment cette bourgeoisie marchande est passée à une monarchie constitutionnelle. Beaucoup se sont enrichis à travers le commerce triangulaire, et donc l’esclavage. C’est aussi l’histoire des Noirs. 

« Cette exposition n’a pas été imaginée contre un discours mais pour un discours. Pour la France, pour sa jeunesse. »

A l’heure où la communauté musulmane est toujours plus stigmatisée en France à quelques mois des Présidentielles 2022, cette exposition prend beaucoup de sens… Elle en devient presque primordiale, n’est-ce pas ?
Tout d’abord, nous invitons à un voyage historique. Il s’agit d’une partie méconnue de l’histoire de France, restée en marge des faits racontés dans les manuels scolaires. C’est vrai que l’on a tendance à nier ou manipuler de manière idéologique l’histoire de France pour mieux stigmatiser les populations notamment musulmanes. Je crois qu’il est bon de refaire de l’histoire, de prendre du recul, même pour les citoyens eux-mêmes musulmans. Pour ancrer une présence, avec sérénité, bienveillance et apaisement. Il y a lieu de connaître cette histoire. C’est une exposition qui s’adresse à tout le monde. Elle n’a pas été imaginée contre un discours mais pour un discours. Pour la France, pour sa jeunesse. Malheureusement, on peut difficilement échapper à toute cette promo autour d’Eric Zemmour et son discours. Beaucoup de gens sont venus me voir en me disant : tu l’as fait exprès ? Or, nous sommes sur ce projet depuis 2019. J’ai peut-être la science du timing (rires). Pour celles et ceux qui sont dans une démarche politique ou sociale, c’est l’occasion de puiser dans de véritables arguments qui sont le fruit de la recherche française depuis plus de 15 ans. C’est une occasion supplémentaire de se rassembler autour de l’art, de la culture, du savoir.


Comment observez-vous les nombreuses attaques subies par les historiens spécialisés dans les études décoloniales et postcoloniales ?

Nous sommes dans une forme de déni. L’histoire a toujours gêné les identitaires de tout bord. Mais comment peut-on expliquer qu’en 2005-2006 près de 70 historiens travaillent avec Mohamed Arkoun sur un ouvrage collectif et se retrouver dix ans plus tard, après les attentats du Bataclan et de Charlie Hebdo avec de jeunes français musulmans qui instrumentalisent l’islam. Je vois que, pendant dix ans, il y a eu un gros loupé. Comme se fait-il que cette recherche universitaire n’a pas été tout de suite incorporé dans les programmes scolaires ? Pourquoi n’en fait-on pas quelque chose de central ? Si l’Education Nationale avait investi ce terrain-là, on n’en serait certainement pas là. En niant notre histoire commune, on ne provoque pas de ressentiment d’appartenance à la France pour nos jeunes issus de la diversité. De notre côté, on fait le pari de la culture et de l’art. Je suis convaincu de l’effet positif de cette exposition qui joue un vrai rôle civique.


Quelle est la destinée de cette exposition ?
L’exposition à Epinay-sur-Seine est le point de départ d’une tournée nationale. Nous sommes déjà très sollicités pour 2021-2022. En décembre, nous serons à Bordeaux, avant de nous rendre à Lyon, Perpignan ou encore dans différentes villes d’Ile-de-France. De mon côté, je viens de publier L’Histoire de l’islam et des musulmans de France aux Editions Afpi. Nous allons également poursuivre notre travail avec des jeunes de Seine-Saint-Denis via la création d’une pièce de théâtre. Toujours dans cette idée de réaliser des éclairages culturels et citoyens, et de fédérer.

 

Recueilli par Florian Dacheux

(Photo : Noname Photography)

Florian Dacheux