« Le Jeune Imam », l’histoire d’une séparation

Mai / 03

« Le Jeune Imam », l’histoire d’une séparation

By / Oguz Aziz /

Quatrième long métrage de Kim Chapiron, cofondateur de Kourtrajmé, Le Jeune Imam, malgré quelques réserves, est un film touchant sur l’histoire d’un garçon séparé trop jeune de sa mère, qui met en scène des musulmans, loin des clichés anxiogènes sur l’islam.

« Le Jeune Imam », l’histoire d’une séparation

«Pourquoi on t’a envoyé au village ? C’est quoi la très grosse bêtise que tu as faite ? », demande la petite Bintou à son grand-frère. « Rien ne devrait séparer son frère de sa petite sœur », lui répond Ali Diallo de retour en France. Quatrième long métrage de Kim Chapiron (après Sheitan, Dog Pound, et La Crème de la crème), Le Jeune Imam est avant tout l’histoire d’une douloureuse séparation, d’une déchirure, entre un fils et sa mère. Le garçon n’a presque rien fait : il a volé une petite liasse d’argent chez un membre de sa famille. Pour sa mère, madame Diallo, c’est la bêtise de trop. Son choix est radical : son aîné, soma en soninké, ira au Mali, loin des « mauvaises influences » de sa cité. « J’ai honte devant ma famille », se justifie-t-elle devant le chef religieux Boubacar, responsable de la madrasa, l’école coranique, du village. Le petit garçon ne sait pas prier, il doit tout apprendre. Et il trouve finalement du réconfort auprès de son père spirituel et de Dieu, mais loin de la figure et de l’amour maternel.

Autant crever l’abcès tout de suite : il n’y a pas d’affaires de terrorisme ou de radicalisation dans Jeune Imam, contrairement à ce que les spectateurs ont été habitués à voir ces dernières années dans les films et les séries françaises ou américaines. C’est le premier tour de force de Kim Chapiron : les personnages sont des musulmans ordinaires. Comme l’a souligné la chercheuse et critique de cinéma Salima Tenfiche dans l’émission C ce soir sur France 5 lors d’un débat sur le film, la figure du musulman est souvent représentée par la figure de l’aîné pieux et inoffensif, voire de celle du jeune terroriste. Dans ce long métrage, les musulmans, issus des classes populaires, n’incitent aucunement à la peur.
Même s’il n’est pas lui-même musulman, le réalisateur réhabilite d’une certaine manière la spiritualité religieuse qui exerce sur lui une certaine fascination : il rend ses lettres de noblesse à la prière, aux chants. L’arabe résonne mélodieusement. Une beauté se dégage du film. Les personnages sont magnifiquement interprétés, en commerçant par le héros interprété par Abdulah Sissoko et sa mère madame Diallo par Hady Berthe, tout comme les rôles secondaires sont attachants. Frustrant que le film ne soit pas un peu plus long, afin de donner encore plus en chair et en profondeur.

Dans le film, après dix ans au Mali, Ali revient dans sa cité à Montfermeil en Seine-Saint-Denis. Le décor et l’ambiance donnent d’ailleurs l’impression que Le Jeune Imam a lieu dans le même monde que Les Misérables de Ladj Ly, co-scénariste sur le long-métrage de Kim Chapiron.

Le Jeune Imam est un film éminemment social : que faire en France après être resté si longtemps en Afrique ? Ali est diplômé en islamologie et en théologie. Il peut faire « agent de sécurité ou livreur » lui répond une conseillère. Ce sera le système D pour lui. Jeune prodige, grand connaisseur de sa religion, parlant l’arabe, Ali devient le nouveau Jeune imam de la mosquée, qui sert de décor à l’intrigue. Il y prône un islam « apaisé ». Et devient une sorte de guide idéal, tolérant et ouvert, à rebours des images conservatrices. L’islamologue Rachid Benzine a été consultant pour le scénario du film. Et cela s’en ressent.

Mais, et c’est là l’une des critiques que l’on peut faire au film, Ali Diallo devient une sorte d’imam trop parfait et rassurant. Les discriminations que peuvent vivre les musulmans sont évacuées très rapidement. En parallèle, le long métrage montre en images des fidèles lambdas, de milieu populaire, de modestes personnes prêtes à se saigner pour faire le pèlerinage à la Mecque. Et cela fait du bien de voir cette majorité silencieuse des musulmans de France. Des pères, des mères, des jeunes hommes et femmes, qui (sur)vivent, sans faire la une des journaux télévisés. Et surtout, Le Jeune Imam est une histoire d’amour, et peut-être de réconciliation, entre une mère et son fils.

 

Aziz Oguz

 

Illustrations © Lyly Films – Srab Films

Oguz Aziz