<span class=Préjugés sur le port du voile : une mère témoigne">

Avr / 01

Préjugés sur le port du voile : une mère témoigne

By / Florian Dacheux /

Préjugés sur le port du voile : une mère témoigne

Préjugés sur le port du voile : une mère témoigne

À l’heure où les sénateurs LR remettent sur la table l’interdiction aux mamans voilées d’accompagner les sorties scolaires, prenons quelques instants pour déconstruire les préjugés. Entretien avec Anissa Moumni, fondatrice et présidente de l’association Pluri’Elles à Aubergenville, dans les Yvelines.

 

Deux amendements LR votés au Sénat viennent d’interdire le port de signes religieux aux parents accompagnateurs lors des sorties scolaires. Les mères voilées sont particulièrement prises pour cible. Qu’est-ce que ça vous inspire ?
En tant que mère de trois enfants, j’ai pratiqué beaucoup d’accompagnements scolaires lorsqu’ils étaient en maternelle et en primaire car j’ai été présidente de l’association de parents d’élèves pendant quatre ans. Même si ce sujet avait déjà été soulevé, nous avons toujours été présentes pour les sorties scolaires. On travaillait en étroite collaboration avec les institutrices. On n’a jamais eu de problèmes. C’est bien dommage que ça prenne cette tournure. Les mamans n’ont pas besoin de ça.

Les institutrices sont bien contentes de les avoir sous la main pour les sorties »

Etes-vous inquiètes pour les mères de famille qui portent le voile ?
Oui car c’est tout à fait discriminatoire. Un parent reste un parent. Si une mère porte le voile, une kipa, une croix ou rien du tout, ça reste un parent. Il faut également voir la réalité en face. Beaucoup de ces femmes n’ont pas non plus le droit d’être dans la vie active et de travailler avec leur voile. En général, ce sont des mamans au foyer. Donc les institutrices sont bien contentes de les avoir sous la main pour les sorties scolaires. Si cette loi passe et qu’on les empêche réellement de garder ce petit bout d’activité pour accompagner les enfants, ça va mettre beaucoup de choses en péril. On est en droit de se poser la question si la prochaine étape ne sera pas l’interdiction des mamans voilées d’entrer dans l’école pour assister au conseil de classe, à la réunion parents professeurs, voire même de récupérer leurs enfants tout simplement devant l’école, ou encore tenir un stand pour la kermesse ou apporter des gâteaux pour des goûters.

 

Que pouvez-vous dire aux gens pleins de préjugés sur le port du voile ?  
Tout simplement que ce n’est pas forcément une contrainte. Oui, il y a des femmes qui le portent par soumission mais elles sont une minorité : des cas exceptionnels. Aujourd’hui, nous sommes dans une ère où la femme s’est quand même émancipée et le choix de porter le voile, ou pas, fait aussi partie de son émancipation. C’est un choix personnel. Il y a des femmes qui portent le voile sans avertir personne. Elles en mesurent toutes les conséquences dans la société française. A titre personnel, moi-même je porte le voile et je savais que des portes me seraient fermées. J’ai toujours travaillé mais une fois que l’on porte le voile, on
constate un avant et un après. Le regard des autres porté sur vous n’est plus le même.

 

La France régresse-t-elle selon vous ?
Oui, si l’on compare avec d’autres pays limitrophes. On a l’impression de vivre dans un monde parallèle. Tout ce qui est bloqué en termes de préjugés en France sont des atouts dans d’autres pays. Je pense à la Belgique ou aux Pays-Bas par exemple où je vois bien qu’il y a des femmes qui font vraiment partie de la société civile et citoyenne tout en étant voilées, et ça pose de problème à personne. Au contraire, c’est vu comme une plus-value. Tant que l’on ne comprend pas qu’une femme est une personne à part entière et qu’elle ne doit pas être définie selon sa tenue vestimentaire, on n’avancera pas.

 

Comment faites-vous pour rassurer vos enfants quant à l’avenir ?
Avec mes enfants, il y a et aura toujours le respect des valeurs de la République. Il ne faut pas oublier que l’on vit en France et qu’il faut respecter les lois. Nos choix personnels ne doivent pas interférer avec ou contre les lois. Rester respectueux mais sans renier ses origines ni ses propres valeurs.

Nous sommes déterminées à changer cette image négative »

Avec votre association Pluri’Elles, vous menez des actions solidaires pour lutter contre l’isolement des femmes et de certaines familles monoparentales. Depuis un an et le début de la crise sanitaire, vous n’avez pas arrêté d’être sur le terrain pour venir en aide aux plus fragiles. Et pourtant la stigmatisation continue… Comment l’expliquez-vous ?
Justement, par l’intermédiaire de toutes ces actions, on réussit quand même à montrer petit à petit un autre visage face aux a priori. Très récemment, des personnes à qui on a remis des colis alimentaires étaient très étonnées de me voir moi particulièrement, car je suis la seule femme voilée de l’association. Ils n’ont pas caché leur étonnement. Ils ont soufflé un « Merci beaucoup, jamais j’aurais cru que… » sans finir forcément leur phrase. En vérité, il faut être réaliste. Notre communauté a quand même été victime de tout ce qui a pu arriver en France en matière de terrorisme, notamment en 2015. On a été les victimes de cette image négative. Notre association a d’ailleurs été fondée en 2014 juste avant les attentats à Paris et ailleurs. C’est très mal tombé et étant donné que je suis voilée, cela n’a pas forcément plu à tout le monde. Depuis les attentats, les discriminations et les stigmatisations envers les musulmans s’amplifient, mais je reste bien contente de démontrer le contraire. Aujourd’hui, je coordonne depuis un an un collectif de huit associations solidaires (Collectif 78) basées à Aubergenville, Chanteloup-les-Vignes, Les Mureaux, Limay, Trappes et Mantes-la-Jolie. Nous sommes déterminées à changer cette image négative. Je mets un point d’honneur à bien mettre en avant que Pluri’elles est une association apolitique, non religieuse et ouverte à tout le monde et toutes les communautés.

 

On peut espérer que le vote du Sénat soit rejeté à l’Assemblée Nationale. Cela prouve malgré tout un état d’esprit nauséabond dans les hautes sphères politiques du pays. Quel message avez-vous envie de leur envoyer afin qu’ils aient envie que la France apprenne à vivre avec ses différences ?
Oui, c’est assez déprimant surtout qu’il y a beaucoup de mamans qui aiment s’investir. Ces sorties scolaires sont l’occasion pour elles de montrer qu’elles sont présentes et qu’elles s’intéressent à l’évolution de leurs enfants. On invite tout simplement ces sénateurs à être davantage plus proches du terrain et de la population. Il ne faut pas être déconnecté du terrain quand on veut véhiculer des choses concrètes. Sans avoir peur, ni rester sur des on-dit.

 

Recueilli par Florian Dacheux

Categories : Musulmans de France
Étiquettes : , ,
Florian Dacheux