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Oct / 13

IM’Média, l’agence historique des quartiers populaires

By / Oguz Aziz /

Jeudi 29 juin dernier, l’agence IM’média fêtait ses 40 ans au Forum des images à Paris, avec la projection en avant-première de Une Mémoire vivante, un Patrimoine commun, un montage d’extraits de reportages et documentaires réalisés depuis ses débuts. Il y a 40 ans, à l’automne 1983, ses membres ont notamment suivi l’émergence de la marche pour l’égalité et contre le racisme, mal dite ‘marche des Beurs’, de Marseille à Paris en passant par Vénissieux.

IM’Média, l’agence historique des quartiers populaires

Qui sait qu’il a déjà existé, dès les années 1980, une agence média sur l’immigration, les quartiers populaires et les mouvements sociaux ? Cette agence, nommée IM’Média, a fêté ses 40 ans en juin dernier, avec son lot d’archives documentaires d’une valeur inestimable. L’agence a notamment suivi l’émergence de la marche pour l’égalité et contre le racisme, dit la marche des Beurs, dès 1983. A l’occasion de son anniversaire, l’agence multimédia a sorti le film Une mémoire vivante, un patrimoine commun, qui « retrace des séquences d’histoire des mouvements issus de l’immigration ou des quartiers populaires, qui décèlent une surprenante continuité des luttes, entre espoirs et désillusions ». « C’est une matière vivante, parce que les informations disparaissent, souligne Mogniss H. Abdallah, l’un des fondateurs, avec son frère Samir, de l’agence. Cela fait partie de l’histoire de France. C’est important de pouvoir transmettre tout cela. Il ne faut pas sous-estimer ce qu’on a fait. »

L'AGENCE FRANCE PRESSE DES QUARTIERS...

Raconter l’histoire d’IM’Média, c’est refaire l’histoire des quartiers populaires de ces 40 dernières années. Tout commence aux Minguettes à Vénissieux en juin 1983. Toumi Djaïdja est grièvement blessé au ventre par un policier qui lui tire dessus. Avec son association SOS Minguettes, le jeune homme lance l’idée d’une grande marche pour l’égalité, qui part le 15 octobre de la même année pour arriver à Paris deux mois plus tard, le 3 décembre, où plus de 100 000 personnes marchent dans la capitale. Au même moment, IM’Média organise son premier stage média, à Lyon, avec une vingtaine de jeunes venant de Nanterre, Bordeaux, la banlieue de Saint-Etienne et Marseille. Un stage de deux mois. « Une partie des jeunes était tout le temps fourrée aux Minguettes. Tout ce qui s’est passé aux Minguettes a été filmé », raconte Mogniss, qui mène le stage avec son frère Samir, vidéaste. Cela donne un superbe documentaire d’une vingtaine de minutes, avec des images brutes, filmées par les jeunes stagiaires.

Le stage se termine, mais un réseau national se créé alors. « Il y a par exemple des archives radios inestimables sur la marche de 1983, parce qu’à l’époque les médias ne s’y intéressaient pas », se remémore-t-il. Mogniss envoie des cassettes de Marseille jusqu’à Paris pour passer à la radio. Une autre époque, loin de l’instantanéité des réseaux sociaux d’aujourd’hui. « Comment produire un média indépendant pour soutenir les luttes ? Et se poser la question : quels accès aux grands médias ? Parce qu’on ne voulait pas rester enfermé dans notre bulle. La formule de l’agence de presse a été choisie pour cette raison-là, pour fournir aux médias des contenus écrits, photos, radiographiques ou vidéos », poursuit-il.

Des médias comme Libération ou Témoignage Chrétien commencent à leur acheter des dépêches. IM’Média fonctionne à la manière de l’Agence France Presse des quartiers.

Transmettre cette matière en héritage

Journaliste autodidacte, Mogniss a noué des liens privilégiés avec des habitants des quartiers populaires. Avant IM’Média, il a travaillé pour Sans frontières, un magazine français lancé en mars 1979 comme hebdomadaire de l’immigration, par des anciens du Mouvement des travailleurs arabes (MTA), fondé en 1972. Il est alors marqué par les crimes racistes commis par des voisins, « les tontons flingeurs » comme les appelle Mogniss, ou par des policiers contre des personnes arabes ou noires. Février 1980, le jeune Abdelkader Lareiche est tué d’une balle dans la tête par un gardien d’immeuble dans une cité de Vitry. Lahouri Ben Mohamed dit Houari est un adolescent tué à la cité des Flamants, à Marseille, lors d’une bavure policière le 18 octobre 1980. Le 23 octobre 1982, Abdenbi Guemiah, étudiant de 19 ans, est tué par un voisin alors qu’il se rend chez lui, à la cité de transit Gutenberg (Nanterre). Des drames – aujourd’hui méconnus – qui ont marqué Mogniss H. Abdallah. Il met en lien des familles de victimes de ces crimes dans le collectif des mères de la place Vendôme (1982–1986), qu’il documente journalistiquement et qu’il aide sur le plan militant. IM’Média se fait un nom. En 1989, l’agence coproduit pendant un an l’émission Rencontres sur France 3 sur cette histoire des quartiers populaires, qui vient après l’émission Mosaïques, diffusée de 1977 à̀ 1987. « On avait une totale liberté éditoriale. Mais l’année d’après, il ne voulait produire qu’une émission après l’autre. Le format télé ne nous allait plus. On a alors commencé à produire des documentaires », poursuit Mogniss. En 1993, l’agence sort Y’en a marre de la double peine sur l’expulsion des étrangers et la politique de l’ancien ministre de l’Intérieur Charles Pasqua. La même année sort Douce France, la saga du mouvement beur. Son frère Samir, avec Raffaele Ventura, raconte dans La Balade des sans-papiers l’occupation de l’église Saint-Ambroise à Paris par 300 Africains, le 18 mars 1996. D’autres films sortiront, comme Candidats pour du Beur ? en 2012, mais l’agence produira de moins en moins avec le temps. Aujourd’hui âgé de 66 ans, Mogniss veut transmettre toute cette matière en héritage. Une quarantaine de vidéos est en accès libre sur la chaîne YouTube d’IM’Média. 

 

 

Quand il voit les dernières révoltes, après la mort de Nahel à Nanterre fin juin, il constate que le combat contre l’impunité policière n’est pas terminé, mais il appelle à mettre cette mort dramatique en perspective sur le temps long : « Il y a des choses qui ont changé. Aujourd’hui, il n’y a plus de crimes racistes de la part de voisins, comme dans les années 1970 et 1980. Il y a eu des victoires ».

 

Aziz Oguz

Oguz Aziz