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Oct / 18

Court-métrage : sur les rails avec Justhyss

By / Florian Dacheux /

Originaire du XVIIIe arrondissement de Paris, Justhyss signe, avec La Flamme, un court-métrage magistral. Des images en noir et blanc tournées dans Paris, la nuit, dont le fil conducteur est un briquet qui passe de main en main sans vraiment porter chance à ses différents propriétaires. Tel un compte à rebours illustrant cet engrenage bien souvent mêlé au milieu de la drogue et aux rixes inter-quartier. Entretien avec un jeune réalisateur talentueux qui a vécu un véritable parcours du combattant avant de voir son projet aboutir. Une leçon de vie.

Court-métrage : sur les rails avec Justhyss

Suite à la projection privée au mythique cinéma Le Max Linder le 3 octobre 2021, le public dans la salle a exprimé toute son émotion. Qu’avez-vous ressenti ?
Sur le moment, c’était un très grand plaisir de voir mes proches réunis dans la salle. C’était également un immense soulagement de pouvoir enfin leur montrer, 10 ans après le début du projet. Nous avons terminé le tournage en 2020 puis il y a eu la post-production pendant le confinement. Cela fait un an et demi qu’ils attendent de voir le film. J’étais vraiment super content. Et puis il y avait une partie de moi qui n’était pas réellement conscient de ce qui se passait sur l’instant.


D’où vous vient cette idée de ce zippo en or qui passe de main en main ?

C’est tout con. J’ai commencé à fumer vers mes 15-16 ans. A l’époque, je faisais du rap, du graffiti, j’allais en soirée et je me retrouvais souvent avec les briquets d’autres personnes en poche. On a commencé à en rire avec des potes et un jour j’ai lancé cette idée, de réaliser un film autour d’un briquet qui se balade à force de se faire piquer involontairement ou pas. A force d’en parler, l’idée s’est ancrée en moi.


Comment avez-vous développé le concept au cœur d’un contexte cinématographique ?
Il me fallait en effet un contexte et j’ai choisi naturellement celui de Paris, la nuit, et du milieu de la drogue. La Flamme, c’est d’abord l’histoire de plusieurs personnages, en particulier de Momo et Teush, deux frères. A chaque passage du zippo, il y a un rapport de force, du policier entre le toxicomane, du dealer à son vendeur, du grand frère à son petit frère. L’histoire du briquet, c’est un prétexte. Car c’est avant tout l’histoire de Teush qui a fait des choix dans sa vie et qui du coup voit les conséquences de ses actes et de ses choix se répercuter sur son petit frère qui endosse toutes les responsabilités sans en avoir fait le choix.

Photo de tournage, rue Briquet, Paris 18e. © Kohler

Vous avez confié à l’issue de la projection que vous ne cherchiez pas forcément à véhiculer un message mais que votre but premier restait de raconter des histoires. Malgré tout, ce film porte en lui un message de sensibilisation sur les dangers du milieu de la drogue et des rixes…
Oui bien sûr j’en ai totalement conscience. J’ai grandi dans le XVIIIe, et l’histoire que j’ai écrite est profondément liée à mon environnement et à mon vécu. Oui, le film a ce côté sensibilisateur, mais je n’ai pas écrit cette histoire en me disant : il faut que je sensibilise.

 

A force de jouer avec le feu, on se prend le retour de flamme n’est-ce pas, pour reprendre la remarque pleine de justesse de Quentin, l’un de vos amis rencontrés à l’école de cinéma EICAR…
Oui, c’est totalement ça ! Je n’aurais pas dit mieux. Je n’ai pas forcément écrit le film dans ce sens-là. Mais, peut-être qu’inconsciemment, c’est aussi la lecture qu’on peut avoir du film. Chacun retient ce qu’il perçoit. En vérité, La Flamme, il faut le regarder plusieurs fois car il y a pas mal de choses mises en avant. Le retour de flamme, ça concerne avant tout Teush. C’est lui l’élément déclencheur.

« Ce n’est pas mon film. C’est notre film »

Chez D’Ailleurs & D’Ici, nous connaissons bien l’association Espoir 18, une antenne de l’EPJ Nathalie Sarraute dirigé par Mamadou Doucara à qui vous rendez hommage dans le film. Comment définiriez-vous votre relation ?
J’ai rencontré Mamadou à Espoir 18 quand j’avais 14 ans. Je faisais un peu de son puis un ami m’a invité à me rendre à un atelier autour du rap. C’est comme ça que j’ai fait la connaissance de Mamadou. Depuis, il m’a toujours poussé à faire des choses, tel un grand frère qui m’a vu grandir. Dans le quartier de La Chapelle où j’ai grandi, on ne connait pas forcément dans notre entourage des gens qui gèrent des entreprises, des directeurs de structures, etc. Surtout des gens qui viennent du même environnement que nous. Mamadou m’a toujours suivi dans ce que je faisais. Même après le bac, quand j’ai commencé mes études de cinéma, on a continué à se voir. Il voyait qu’on montait des projets. Il m’a poussé à monter mon association, à trouver des financements. De base, La Flamme, je voulais le tourner avec mon Canon 7D et mon Mac. Avec les moyens du bord, en fait. Et à chaque fois, il était derrière moi, pour essayer de trouver des solutions. C’est lui qui m’a mis en connexion avec Cédric Dawny qui était alors élu à la jeunesse dans le 18e.

 

Vous portez ce projet depuis 2010. Le scénario est passé, à l’image du briquet, de main en main. Peut-on dire que votre parcours illustre le fait que rien ne sert de courir et que rien ne vaut les bonnes rencontres au bon moment ?
Totalement, mon film, ce n’est que des rencontres. Cela prouve qu’il ne faut jamais rien lâcher.  Ce n’est pas mon film, c’est notre film. C’est la somme de toutes les personnes qui sont sur le projet, de toutes les énergies, de toutes les personnalités. Tu enlèves une personne de l’équation et le film est différent. J’ai toujours fonctionné à l’instinct. Je veux faire ce métier avec passion. C’est sur un coup de tête que j’ai décidé de faire une école de cinéma après le bac. J’en ai parlé à mon grand-frère qui m’a fait confiance, qui ensuite en parlé à ma mère. Ils m’ont toujours soutenu et cru en moi. Le projet a démarré pendant mes études. Il s’est passé beaucoup de choses depuis. Quand j’ai rencontré Cédric Dawny, je n’étais pas encore prêt, puis nous sommes restés en contact. Il y a eu ensuite ma rencontre avec Mehdi Mockel en 2018, à qui j’avais envoyé un mail sept ans auparavant. Il avait sa boîte de production et quand on s’est rencontré je lui ai reparlé de ce mail (rires). Ensuite, ça a matché entre nous, pour finir par monter ensemble notre association Sur les Rails avec Cédric Dawny, et Yvan Laroui qui a pu réunir une équipe de techniciens avec qui ça s’est super bien passé. Au moment où s’est retrouvé dans l’impossibilité de pouvoir le faire, Yvan a su trouver les solutions pour réaliser le tournage en trois mois.

 

Etes-vous fier du résultat ?
Je suis plus que fier du résultat final et je remercie tous les acteurs, Patrick Mendy, Frédéric Bukolé et Olivier Desautel qui sont présents sur le projet depuis le départ, mais aussi tous les techniciens, et tous les contributeurs qui nous ont aidés à financer le film sur Kickstarter. Je remercie tous les gens impliqués de près ou de loin, mes amis, ma famille, toutes les personnes que je côtoie au jour le jour et à qui je parle de ce film depuis 10 ans. Je remercie ma mère qui me supporte depuis je suis petit et qui m’a encouragé pour aller au bout de mes études, malgré le fait qu’elle me dit tous les jours qu’il faut trouver un CDI. Mais ce n’est pas comme ça que ça se passe (rires). Merci aussi à mon grand-frère. La Flamme, c’est une histoire de transmission. Une histoire fraternelle.

Frédéric Bukolé dans le rôle de Teush pour La Flamme. © Paul Aubry

Y-a-t-il des moments où vous avez été traversé par le doute ?
Complètement. Quand je parle de ce projet maintenant, c’est plus simple, car j’en suis sorti. Il est terminé. Mais les gens ne se rendent pas forcément compte ce que ça représente réellement de trainer un projet sur 10 ans de sa vie. J’ai essayé de le réaliser quatre ou cinq fois. Je me souviens que lors de ma 2e année à l’EICAR, j’ai fait une crise d’angoisse car rien n’avançait. Un ami de l’EICAR voulait produire le court. Je m’étais démener pour la préparation, puis j’avais pris une semaine pour me reposer. A mon retour, mes chefs de postes m’avaient annoncé que rien n’avait avancé. On tournait quelques jours plus tard. Au final, il fallait que je rencontre les bonnes personnes. Mais ça a été compliqué jusqu’au bout, car même trois jours avant le dernier tournage, on n’était même plus sûr de pouvoir le financer comme prévu. On a vécu beaucoup d’émotions fortes. Tu apprends beaucoup des êtres humains. Soit tu es bien entouré, soit tu ne l’es pas.

 

Quel rôle a joué votre grand-frère dans la réalisation de votre rêve ?
Mon frère tenait un vidéo-club. Et si aujourd’hui, je me retrouve à faire du cinéma, c’est notamment grâce à lui. Il m’a donné goût à la culture, au cinéma, à la musique. Quand j’étais au collège, je passais souvent le voir à son vidéo-club. J’ai pu y visionner pas mal de films. Donc, oui, c’est aussi grâce à lui.

« Le noir et blanc permet de figer dans le temps »

Votre film est tourné dans ce Paris nocturne avec des images en noir et blanc, cette pénombre, ce côté sombre. Quelles sont vos influences qui ont guidé votre signature artistique ?
Mon premier choc, c’est La Haine. Je ne comprenais pas pourquoi le film me paraissait actuel alors qu’il était en noir et blanc. Je trouve que le noir et blanc permet de figer dans le temps. Sin City m’a également beaucoup frappé. Dans La Flamme, j’ai aimé jouer avec le noir et blanc tout en mettant en avant ce zippo doré. Si on avait fait le fim en couleurs, le propos n’aurait pas été si fort. C’est pourquoi on a tourné la nuit. J’ai toujours été influencé par la thématique des quartiers nord-américains comme à travers Boyz’n the Hood ou Friday, des films qui parle des conditions de vie et des réalités des quartiers populaires. Souvent, au cinéma, les quartiers populaires sont représentés de manière grossière. C’est un peu trop souvent à côté de la plaque. Ce qui m’intéresse, c’est d’entrer dans un sujet en profondeur et non en surface, afin de mettre en lumière des réalités. Car toutes ces ficelles qui font que des jeunes de cité sont conditionnés à vendre de la drogue ou autre, ça ne vient pas de nulle part. S’ils en viennent à cela, c’est qu’il y a des raisons.

 

Quel regard portez-vous sur notre société et les clivages qui dominent l’actualité et notre époque ?
En vérité, je m’en préoccupe quand tout cela a un impact sur nos vies à l’échelle locale. Si demain le FN passe au pouvoir, tu peux aller militer pendant dix ans, ça ne changera rien. Ce qui compte, c’est d’abord ce qu’il se passe en bas de chez toi, dans ton quartier. Je préfère me concentrer là-dessus. Car avant de penser à changer le monde, il faut penser local.

Patrick Mendy et Frédéric Bukolé (Momo et Teush) – Extrait du film

 

Vous avez fondé en 2018 l’association Sur Les Rails. Quels projets portez-vous ?
Avec Cédric et Medhi, on a décidé de monter cette association, qui est aussi une boîte de production depuis qu’Yvan nous a rejoint, pour monter des projets audiovisuels. Chaque projet est une œuvre à part entière. On fait des fims, des documentaires, des clips ainsi que des vidéos institutionnelles. Comme l’ont très bien dit mes collègues à l’issue de la projection, Sur les Rails, c’est un clin d’œil au XVIIIe, traversé par deux lignes de chemin de fer, avec la Gare du Nord et la Gare de l’Est. C’est un hommage aux cheminots et de notre côté, on met un wagon après l’autre. Actuellement, la locomotive, c’est La Flamme. Mais c’est déjà la fin et le début de quelque chose, puisque nous sommes sur de beaux projets à venir. Nous sommes notamment en train de boucler un documentaire sur l’artiste Jean Ewen qui a gravé une Mercedes tout entière avec un texte qui l’a écrit. Après l’avoir retapée et gravée, l’œuvre va être découpée. Il s’agit d’une performance de A à Z que l’on filme depuis le début. On l’a suivi pendant huit mois. Il s’agit vraiment d’une œuvre hors-norme. Une exposition aura lieu le 4 novembre au Social Club La Montgolfière à Paris Xe.

 

Un dernier mot sur La Flamme ? Quel est son destin en termes de diffusion ?
On a commencé à l’envoyer dans différents festivals via plusieurs plateformes dédiées. On attend des réponses. Le film a été calibré pour, donc, oui, on espère qu’il sera diffusé ailleurs, que ce soit en cinéma ou sur des chaînes de télé. Ma priorité, c’est de le montrer dans le XVIIIe, notamment aux jeunes. Je ne cherche pas un prix ou autre. Je tiens qu’il aille en festival pour récompenser avant tout les efforts de toute l’équipe. En vrai, tant que les gens l’apprécient à sa juste valeur, j’ai déjà gagné.

 

Recueilli par Florian Dacheux 

Olivier Deseautel (Sal) – Extrait du film

Mamadou Doucara, directeur de l’EPJ Nathalie Sarraute, à propos de Justhyss :
« Je le connais depuis qu’il est tout petit. Il a commencé par participer à nos ateliers d’écriture. Il faisait du rap. Ado, il a participé à nos réflexions sur la question des rixes. Il a fait partie du voyage d’études à Chicago. Chez nous, on évite de mettre nos jeunes dans un moule et Justhyss avait une singularité qu’il a su cultiver. Il a cru en ses rêves et s’est donné les moyens pour faire aboutir ses projets avec résilience. C’est un vrai message qu’il envoie aux jeunes de nos quartiers. Rien ne leur est interdit. On compte d’ailleurs organiser des projections de La Flamme dans nos structures en présence de Justhyss. C’est quelqu’un de curieux qui a bataillé. Rien n’était facile. Il montre l’exemple que c’est possible. On parle trop souvent des quartiers en négatif. Il suffit de le rencontrer pour comprendre notre richesse. »

Florian Dacheux