Convertis, loin d’une pensée unique

Oct / 30

Convertis, loin d’une pensée unique

By / akim /

Marre d’être montrés du doigt ! Oui, on compte 40 % de convertis parmi les trois mille cent quarante-deux djihadistes recensés par le ministère de l’Intérieur en mars 2015. Ce chiffre inquiétant ferait presque oublier qu’il représente un infime pourcentage de ces nouveaux musulmans, et néglige leur diversité.

Convertis, loin d'une pensée unique

En France, ils seraient aujourd’hui entre cinquante mille, selon Franck Fregosi, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et cent à deux cent mille selon Omero Marongiu Peria, sociologue. Avec quatre mille conversions chaque année, l’islam n’est pas la religion la plus prosélyte. Les églises chrétiennes, notamment évangélistes, intégreraient quatre à sept mille fidèles par an. La religion catholique, à elle seule, en attirerait trois mille, dont 10 % de musulmans (1). Les autorités musulmanes prennent pourtant au sérieux le risque de radicalisation. « Les grandes mosquées et fédérations souhaitent éviter que les convertis ne soient récupérés par les salafistes, notamment du fait d’un sentiment d’isolement », explique Omero Marongiu Peria. Adam est devenu Abd al-Qouddous Jibrîl, serviteur du Très Saint Gabriel, l’ange qui aurait révélé au Prophète les versets du Coran. Il est l’un des animateurs bénévoles de la formation créée par la grande mosquée de Lyon : « Nous souhaitons favoriser une vocation sincère, pas un formalisme stérile. Il s’agit de trouver un équilibre entre foi authentique et contraintes de la vie quotidienne. » Pourquoi ces hommes et femmes choisissent-ils une religion si décriée lorsque la plupart ont connu une éducation catholique ? « On ne peut pas partir de rien, commente Virginie Riva, auteure d’un essai sur les femmes converties à l’islam (2). Beaucoup ont vécu une jeunesse rythmée par des rites religieux. » Baptême, communion, confirmation, catéchisme : c’est le cas de Tristan, trente-quatre ans, qui a grandi près de Valenciennes avec des Marocains, Algériens, Italiens et Polonais. Tristan dit avoir été impressionné par la simplicité et l’humilité de la prière en islam. Comme Francky BeMonkey, freestyler de vingt-quatre ans. Élevé par une mère catholique à Val-de-Reuil, près de Rouen, Francky avait déjà cessé de manger du porc et tenté de faire le ramadan avec ses copains musulmans. Converti officiellement depuis fin 2014, il compte bien réussir à jeûner en 2015 ! Tristan se souvient de son premier ramadan. « Au début on pense qu’on n’y arrivera jamais, mais c’est un moment magnifique. Ça permet de réaliser la vraie valeur des choses, de se mettre en phase avec les personnes les plus pauvres de la

Carole, responsable événementiel.

planète. » Après de nombreuses lectures, Adam a rejoint une communauté de chrétiens convertis au soufisme, cette voie mystique de l’islam. Dans sa quête spirituelle, il s’est aussi renseigné sur l’hindouisme et le bouddhisme. Sylvie, institutrice dans le Val-d’Oise, raconte avoir rencontré une femme convertie au judaïsme pendant ses études. « Elle a dû voir le rabbin deux fois par mois pendant dix ans. Ça m’a semblé très compliqué », explique Sylvie. Face aux clichés, Tristan s’énerve. « Nous ne sommes pas un bloc avec une pensée unique. » Comme d’autres, les convertis hommes et femmes « bricolent » leur propre rapport à la foi. 

«NOUS NE SOMMES PAS UN BLOC AVEC
AVEC UNE PENSÉE UNIQUE.»

Omero Marongiu Peria, sociologue.

Carole, vingt-six ans, fréquente des musulmans qui n’apprécient pas tous la liberté de son mode de vie. Ce qui n’empêche pas cette Nantaise de prier cinq fois par jour, de faire le ramadan et de fréquenter la mosquée quand elle le peut. Responsable en événementiel, elle préfère sa petite robe et ses talons hauts au voile qu’elle juge « trop ostentatoire ». Fils d’une journaliste catholique et d’un éditeur protestant, Jonas a lu les classiques de l’islam, sillonné le Proche et le Moyen-Orient, effectué le pèlerinage à La Mecque. La prière et le ramadan, OK. Mais ce partisan d’un islam light, peace and love aime toujours le saucisson et prendre un pot entre copains. « Pour moi, Dieu s’intéresse à votre rapport à la foi, à l’unicité divine, pas à ce que vous mangez. » En s’investissant dans la société, ces nouveaux musulmans contribuent à faire tomber les barrières. Laure, féministe historique âgée de soixante-quatorze ans, membre du Collectif des féministes pour l’égalité, qui rassemble des femmes, musulmanes ou non, voilées ou pas, se bat « pour l’égalité hommes-femmes, mais aussi entre femmes ». Tristan, fils de gendarme, est aumônier en milieu carcéral et « fier de pouvoir mettre sa foi musulmane au service de son pays ».
Métis franco-ghanéen, Francky BeMonkey souhaite créer le lien entre jeunes de différentes origines et religions, « dans une période où on pousse les gens les uns contre les autres ». Jonas, jeune prof de sciences économiques et sociales en ZEP, encourage ses élèves à prendre leur revanche par la réussite. Sa passion pour le hip hop et sa connaissance de l’islam l’aident à les faire réfléchir sans a priori. Il travaille sur une thèse de philosophie morale dédiée à la tolérance. La plupart partagent un même intérêt pour le dialogue interreligieux et les valeurs humanistes. Ce dont témoigne le parcours d’Omero Marongiu Peria, prédicateur puis responsable de l’organisation de jeunesse de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF). En 1989, il découvre la sociologie et quitte l’UOIF en 2004. Omero plaide pour un islam des Lumières. « Nous, musulmans, devons réinvestir la notion d’Ijtihad : cet effort d’interprétation des Textes à l’aune des réalités contemporaines. »  

 

1. Cf. Désolé Michel, ce n’est pas à l’islam que les Français
se convertissent le plus, site Atlantico, 6 février 2015.
2. Converties, Le Seuil.

RETROUVEZ CET ARTICLE DANS LA REVUE PAPIER NUMÉRO 2

Texte : Véronique Valentino

Photographies : Darnel Lindor, Belka, Anaïs Dombret

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