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Juin / 28

Séphora Pondi : « J’espère un miracle »

By / Florian Dacheux /

A l’affiche d’ Hécube, pas Hécube présenté dès le 30 juin dans le In d’Avignon – le soir-même du 1er tour des législatives – la comédienne Séphora Pondi, pensionnaire depuis trois ans de La Comédie Française, se confie sur sa trajectoire. D’une MJC de banlieue à la maison de Molière, la Francilienne, 32 ans, a déjà tout connu. Entretien avec une femme qui, sans faire de bruit, bouscule les normes.

Séphora Pondi : « J’espère un miracle »

Est-ce votre premier Festival d’Avignon ?

Mon second. La première fois, c’était en 2019 à la Manufacture pour jouer Désobéir de Julie Berès. J’ai donc une expérience assez mince du Festival d’Avignon. Je suis très heureuse d’être là, de prendre tout ce soleil. Nous sommes arrivés le 22 juin et nous avons démarré les répétitions dès le soir-même à la Carrière de Boulbon.

 

C’est la première collaboration de Tiago Rodrigues, metteur en scène et directeur du Festival d’Avignon, avec la Troupe de la Comédie Française. Il s’empare d’Hécube d’Euripide, l’histoire d’une femme qui a tout perdu et qui réclame justice. Quel rôle interprétez-vous ?

J’en ai plusieurs. J’ai d’abord le rôle du cœur, à la fois le cœur antique et celui des comédiens qui jouent. Je joue le rôle d’une avocate, accessoirement la grande amie de l’héroïne Nadia. Et je joue aussi le rôle d’une employée dans un foyer pour personnes autistes. En vérité, on a tous plusieurs visages, à part Denis qui joue uniquement le procureur et Elsa Lepoivre qui joue Hécube-Nadia.

« La question de la justice est au centre du spectacle »
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Séphora Pondi, pensionnaire de la Comédie-Française © Stéphane Lavoué

Le fait de jouer trois personnages : qu’est-ce que ça apporte à la pièce et qu’est-ce que ça implique pour vous dans votre jeu ?

C’est fait de manière très fluide. Il y a très peu d’effets de rupture. C’est un spectacle très hybride où les histoires s’entremêlent. On joue sur cet effet d’étrangeté et de mystère de passer d’une partition à l’autre un peu ni vu ni connu. Il y a deux histoires mêlées : la trame originelle d’Hécube d’Euripide qui a tout perdu dans la guerre de Troie et qui réclame justice au près d’Agamemnon, qui veut se venger de Polymestor qui a tué son fils, et à côté de cela il y a l’histoire que Tiago a tissé tout autour, qui est celle de Nadia, une femme qui vit une tragédie personnelle alors même qu’elle est en train de répéter Hécube avec sa troupe. Donc il y a deux tragédies qui se répondent. Je n’en dirais pas plus. Et le fait de jouer trois rôles, c‘est très excitant. L’enjeu est de faire en sorte qu’il y ait un effet de tuilage, qu’il n’y ait pas trop de rupture nette, que le spectacle au contraire soit un mélange de ces deux histoires de manière beaucoup plus harmonieuse, presque invisible.

 

En quoi ce spectacle fait écho aux sujets qui nous touchent aujourd’hui en société ?

De manière générale, Tiago Rodriguez a tendance à écrire des pièces qui ont toujours une forte résonance sociale. Il s’inscrit toujours dans un rapport à la politique, pas forcément au sens strict, mais au sens philosophique. Et là en l’occurrence, sans divulgâcher, il y a quand même la question de la responsabilité de l’Etat dans certaines situations tragiques, la question du service public, de l’assistance, du soin, d’une forme de trahison. La question de la justice est au centre du spectacle. Même si en ce moment on traverse une période particulièrement critique, j’ai l’impression que ce spectacle aurait pu avoir lieu et être pertinent 5 ans avant ou 5 ans plus tard.

A propos des législatives : « En tant que personne noire, c’est extrêmement préoccupant. J'en suis à la phase d’effroi. »

Créée par Louis XIV en 1680, la Comédie-Française est aujourd’hui un établissement public national placé sous la tutelle du ministère de la Culture. Si demain le RN est au pouvoir, comment faire théâtre ? Est-ce que c’est une possibilité que vous appréhendez ?

Evidemment, ça me travaille, c’est le moins qu’on puisse dire. En tant que personne noire, c’est extrêmement préoccupant. J’en suis à la phase d’effroi. Pas uniquement pour moi, car j’estime que je reste dans une situation relativement protégée. Forcément, je pense à ma famille, à mon entourage, aux personnes qui me ressemblent, et ça me fragilise.

 

L’été dernier, lors de la dernière édition du Festival d’Avignon, les comédiennes de Carte Noire nommée désir de Rébecca Chaillon ont subi de violentes attaques racistes, verbales et physiques. Comment l’avez-vous vécu ?

Avec beaucoup d’indignation. J’étais assez contente qu’il y ait une réaction rapide et forte de Tiago Rodriguez. Les agressions, qu’elles soient micro ou déclarées, c’est une expérience de tout temps. Ce qui m’inquiète davantage, c’est que ces agressions sont de plus en plus déclarées et offensives. Là, ça a eu lieu dans un endroit censé être un endroit de correction. Mais je trouve que l’équipe de Rébecca Chaillon et elle-même ont réagi avec beaucoup de force et de dignité.

« Il faut réussir à garder quelque chose de soi, ne pas chercher à se conformer »

Si vous deviez regarder dans le rétroviseur, par quelles étapes êtes-vous passé ? Que retenez-vous de votre parcours ?

Cela m’a demandé d’avoir encore plus foi en moi dans la mesure où il pouvait y avoir des difficultés de tout bord. Mes parents n’étaient pas du tout de ce milieu, ni même d’un milieu artistique. Ils étaient assez circonspects par rapport à mon choix : d’une part car c’est un milieu qui peut être très précaire, d’autre part car il y a très peu de personnes non blanches médiatiques. Ils ne comprenaient pas comment m’était venue l’envie. Une fois que j’ai pu obtenir des choses, j’ai avancé, mais c’était compliqué. J’ai d’abord découvert ma passion pour le théâtre au lycée. J’ai ensuite fait une année de fac puis deux ans de théâtre dans une école publique, à l’EDT91 à Evry. Après j’ai eu la chance de participer à la première saison de Premier Acte au Théâtre de la Colline, avant de passer les concours nationaux et de rejoindre l’ERACM à Cannes et Marseille. C’est là que j’ai découvert un milieu différent du mien. C’était davantage une question de classe qu’une question de race. Mine de rien, il y a quand même une grande étanchéité entre mon milieu social d’origine et celui dans lequel je me suis retrouvé, sur l’argent, les codes. Il faut réussir à garder quelque chose de soi, ne pas chercher à se conformer. Evidemment, les choses s’apaisent, se tranquillisent. Mais il y a ce sentiment de ne jamais être totalement être en assise à l’endroit où l’on se trouve. Ce qui n’est pas toujours une mauvaise chose car ça me permet de garder cette urgence à faire ce métier là.

 

Aujourd’hui, considérez-vous la Comédie Française comme une « safe place » ?

C’est une grande institution avec beaucoup de gens, une grande mémoire. Certains sont là depuis des dizaines d’années. Il a fallu quand même y entrer. C’est intimidant, à cause du nombre de pensionnaires, de ma jeunesse, de mon background. Aujourd’hui, ça va très bien. Mais il faut trouver sa place.

« Ce qui m’a aidé, c’est d’être entouré par des amis qui comprenaient les problématiques liées à ma couleur de peau et mon milieu social »

Hécube, pas Hécube, photo de répétition © Christophe Raynaud de Lage

Quels conseils donneriez-vous à la nouvelle génération pour dépasser certains obstacles ?

Ce qui m’a aidé, c’est d’être entouré par des amis du collège ou du lycée. Des amis qui avaient les mêmes objectifs artistiques que moi et qui comprenaient les problématiques liées à ma couleur de peau et mon milieu social. C’est important de garder la confiance et la foi quand il y a un climat délétère. Il y a 15-20 ans, il y avait déjà du racisme. C’était une question en tension. Mais c’était beaucoup moins électrique. Il y avait quand même des espaces pour imaginer. Ce que j’avais tendance à faire, c’était de travailler beaucoup, en ayant une vision relativement nette de ce que j’avais envie de faire. J’allais au-devant des gens avec qui j’avais envie de travailler. J’essayais de faire fructifier ma personne, et pas une autre, pour extraire de moi quelque chose de lumineux, de fort.

 

Vous avez confié un jour être une fan absolue de Buffy Summers, l’héroïne de la série Buffy contre les vampires. En quoi ce personnage vous a-t-il aidé dans votre parcours ?

C’est évident. C’était le timing parfait pour moi cette série. Le facteur chance est très important. C’est pourquoi je me méfie toujours du discours trop méritocratique. Il faut une atmosphère, un environnement, un entourage. Donc grandir en regardant Buffy Summers, c’est grandir avec une héroïne féminine avec une force surnaturelle. Une femme intelligente qui a du pouvoir et qui peut se défendre.

 

A l’heure où on ne sait pas trop où va la France, que peut-on vous et nous souhaiter ?

J’espère un miracle, même si j’ai encore beaucoup d’espoir et de foi.

 

 

Recueilli par Florian Dacheux

Florian Dacheux