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Juin / 30

Vivre au temps du COVID 19 / En Tunisie, des artistes et des solidarités

By / Marc Cheb Sun /

Vivre avec le Covid 19


En Tunisie, des artistes et des solidarités

Le mardi 16 mars, crèches écoles et universités ferment leurs portes en Tunisie. Le dimanche 22 mars 2020 le confinement entre officiellement en vigueur dans ce petit pays à la situation stratégique, au centre du bassin méditerranéen.

Le lundi 4 mai, la phase du déconfinement « ciblé » débute. Entre ces deux dates, la société tunisienne a vécu une expérience unique à l’image d’autres pays à travers le monde. La fête nationale en Tunisie est le 20 mars.

Ramadan commence le 26 mars. Le couvre-feu est en vigueur sur toute la république de 18 heures à 6 heures du matin. Il est interdit de circuler en ville et entre les régions sauf raison impérieuse.

En Tunisie, la Crise, on l’avait vue venir : On suit de près le drame italien. A l’initiative du Ministère de la Culture et de cinq opérateurs privés (La Fondation Rambourg, La Kamel Lazaar Foundation, La Fondation BIAT pour la jeunesse, Tunisie Télécom, le groupe Carrefour) un fonds « Relance-culture » a été mis en place en mars. Ce fonds, à dotation mixte entre secteurs privé et public, réunit les dons et les contributions de tous les individus, entreprises et organisations souhaitant secourir les artistes et intermittents, contribuer à la survie économique et sociale des associations et organismes, soutenir la scène culturelle tunisienne. Le fameux 20 mars, jour de la fête nationale tunisienne, Wafe Belgacem CEO de l’ONG Cultural Funding Watch  et Shiran Ben Abderrazak , Directeur de la Fondation Rambourg, réunissent tout ce que la Tunisie, le Maghreb, et les acteurs culturels partenaires de la Tunisie sur les cinq continents dans un des premiers webinaires sur la plateforme « zoom ».

Le thème? “COVID-19 Crisis & Emergency funding Mechanisms: what action plan for the Cultural and Creative sector?” .

Et puis il y a Gabès Cinema Fen la deuxième édition d’un festival qui promeut les films d’auteur arabes et l’art vidéo .La programmation sous la direction de Fatma Chérif et du directeur artistique Sami Tlili s’est déroulée du 3 au 11 avril sur la plateforme de streaming tunisienne Artify. Elle comportait une sélection de 40 films et 12 œuvres d’art vidéo, accessibles gratuitement en Tunisie et (pour les vidéos) à l’international. La visibilité du festival a été augmentée par 100. (1).Sans être chauvin, c’est une première dans ce monde qui ne tourne pas rond. On se lance des liens de films à voir, on se donne des rendez-vous virtuels pour en discuter, les débats ont lieu dans les familles entre enseignants et étudiants …

Le cinéma en ligne ainsi que d’autres événements mériteraient un article à part entière. (2)

Des initiatives solidaires se mettent en place : des artistes se mettent à fabriquer des masques pour la collectivité : AFCAAR, (l’Association pour l’Accès au Financement et à la Compétitivité de l’Artisanat Rural) dirigée par Héla Annabi et Catherine Gobbi(3) , les marques Gypset Vibes (Hanene El Euch) et Naksha (Latifa Hizem) ont lancé l’opération #masquées et solidaires.

Héla Ammous

Le 20 avril ces trois acteurs proposent des masques « alternatif »s lavables qui viennent en complément des mesures d’hygiène et de distanciation sociale en vigueur pour lutter contre l’épidémie. Ils sont vendus par paquets de 4 masques au prix de 25 dinars(3). L’initiative vient en aide via mandats postaux aux artisanes (les « petites mains » des trois entreprises) qui sont dans le dénuement. Héla Ammous est une artiste qui puise dans les fragments du quotidien pour produire des œuvres d’art. Depuis deux ans, elle travaille sur son projet Hob : Love, Amour, et recueille des mots fleuris dans des calligraphies délicates  dont elle orne les vêtements qu’elle crée : « amour », « jaou », « souriez », « Tunisie » autant de mots qui célèbrent la joie d’être ensemble. Aujourd’hui pour la citer « les mots ne semblent plus revêtir le même sens et sont en quête de redéfinition ». Dire « je t’aime » est souvent synonyme d’éloignement. Les masques en tissu qu’elle propose sont ornés de messages différents (« ilence », « Résiste » « Éloigne-toi », « Ahkili : Raconte ». Elle a participé à la campagne de dons lancée par Manel Amara (journaliste et bloggeuse) pour l’hôpital Salah Azaïez (dédié aux enfants cancéreux) dans le cadre de l’association « One Day One Dream » et à la première cellule d’écoute de soutien psychologique créée en Tunisie et dans le monde arabe, « Ahkili » à l’initiative de Anissa Bouasker , psychiatre.

Mariem Sraïeb et six jeunes créateurs bénéficiaires du projet GTEX-MENATEX Tunisie se sont mobilisés pour fabriquer des masques, bavettes lavables et réutilisables qui respectent les conditions de sécurité. Ces masques sont destinés au staff médical de deuxième ligne, ainsi qu’aux professionnels qui continuent à exercer leurs activités (livreurs, agents de police, etc.…). Le premier bénéficiaire a été le centre de la moelle osseuse de Menzel Bourguiba.

« Dessinez… vous êtes confinés» est aussi une des initiatives artistiques lancées durant le confinement dans le but de permettre aux gens de s’évader un tant soit peu durant cette dure période en stimulant leur créativité.

Derrière cette excellente idée, l’architecte d’intérieur Anissa Bedoui Darmonie qui a pensé à réunir des dessins d’artistes dans un book numérique téléchargeable gratuitement sur internet (https://hdmag.net/dessinez-vous-etes-confines/) et mis à la disposition du grand public. Ce book réunit des œuvres en monochrome sur lesquelles chacun peut intervenir, en travaillant sur un support révélant le style de chaque artiste et en essayant d’y apporter une personnalisation, soit par la couleur, soit par le dessin. A terme, une exposition à l’air libre ou la vente d’un coffret au profit de l’hôpital d’enfants Salah Azaïz . (1000 téléchargements à ce jour : Tunisie, France, Etats Unis).

Héla Lamine est une grande artiste doublée d’une enseignante. Elle enseigne à l’ISBAS, (l’Institut des Beaux Arts de Sousse) en deuxième année. Le thème de son cours est « la lecture de l’Art ». Très vite, en ces temps particuliers où le moral est au plus bas, on demande aux enseignants de se mettre en liaison avec leurs étudiants en explosant leurs forfaits internet : Messenger fait le lien. Les étudiants n’accrochent plus : ils sont rentrés chez eux et sont inquiets. Héla Lamine est dotée d’une grande empathie comme l’on a pu le constater dans son travail autour des naufragés de Kerkennah. Elle propose aux étudiants un challenge : elle adapte celui du #gettygrantchallenge avec succès : lire l’art mais à travers l’histoire de l’art en Tunisie.

On le trouve en suivant ce lien . « Cela leur a permis d’apprendre sous forme ludique, de les rapprocher de nos créateurs, de se rapprocher entre eux (ils se passaient des astuces) » dit-elle avec enthousiasme. Une étudiante a même été confrontée au problème de la vente : un acquéreur s’est manifesté soulevant par là- même des questions qui ne l’avaient jamais préoccupées auparavant : les droits d’auteur, la cote de l’artiste … Le 30 juin, Héla Lamine retrouve ses étudiants dans l’amphithéâtre et fin juillet, c’est l’examen . Entre temps, durant le mois de juillet, les travaux des étudiants seront exposés à la galerie El Birou , à Sousse dans le cadre de la troisième édition du festival d’art urbain organisé par Karim Sghaïer , son fondateur . (3). Se posent d’ores et déjà d’autres problématiques : les tirages, l’encadrement, l’accrochage, la fabrication des cartels … « Mes étudiants ont beaucoup mûri et passeront leurs examens en ayant été des médiateurs et des acteurs culturels, que demander de plus? », se réjouit leur enseignante.

Remarquons que derrière les manifestations listées ci-dessus, Gabès Cinema Fen, Masquées et solidaires , Dessinez, vous êtes confinées,  Ahkili, ainsi que Le lien avec mes étudiants sont des initiatives féminines ce qui met en lumière une des caractéristiques de la Tunisie depuis Elyssa la fondatrice de Carthage : les femmes y jouent un rôle social économique et culturel prépondérant.

 

Edia LESAGE

 

(1)Source : Gabès Cinema Fen

(2) Les galeries, start-up culturelles, sites culturels ont offert une offre en ligne très suivie et de qualité durant la période du confinement en Tunisiequi mériteraient une publication.

(3)U.V. Sousse : est une manifestation artistique urbaine qui réunit plusieurs artistes autour du projet de former les étudiants à la médiation culturelle et d’investir des lieux emblématiques de la ville (minoteries, sardineries abandonnées, médina, musées).

 

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Moses Levy / Islam Soltan

Images

Images d’en tête : (c) Imen Issaoui

Masquées et solidaires : (c) Afcaar.

(c) Gabès Cinema Fen

 (c) Héla Ammous
 (c) GTEX MENATEX
 (c) Ahkili
Dernière image : (c)Islam Soltani
Marc Cheb Sun